Quand poésie rime avec hérésie

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Tout ce qui brille n’est pas or. Si la soirée poétique, de samedi dernier, a paru lancer mille feux aux yeux éblouis d’un public, qui est tout juste parvenu à garnir les premières rangées de la salle de conférence de la maison de la culture, force, pour l’observateur averti, est de reconnaître que cet éclat était surtout factice, en dépit de quelques étincelles ici et là qui ont sauvé les apparences et donné à ce spectacle un caractère moins terne et moins artificiel. Un critique littéraire y aurait peut être dénoncé une certaine mièvrerie dans la composition qui restait essentiellement classique sans s’astreindre rigoureusement aux règles de la prosodie, quelles, comme chacun sait, confèrent au chant le pouvoir de délivrer un message clair et une émotion assez vive. Or, la poésie a beaucoup évolué aujourd’hui. Si les contraintes ont disparu, si le vers débarrassé de la rime, du comptage des syllabes et autres fioritures  (l’hémistiche, temps forts, enjambement) a gagné en force et en harmonie, c’est grâce aux nouvelles techniques qui visent à la fois à produire de l’émotion plus que du sens. Or, c’est, là toute la différence ressentie lors de la soirée de samedi dernier en écoutant, par exemple, ce poète de Sour El Ghozlane qui a récité trois ou quatre parties d’un long poème, ou encore cet autre de Bordj Bou-Arreridj qui a présenté des fragments tirés d’un de ses deux recueils publiés, et ce petit poème de Rabah B. de Biskra, dont la force d’évocation était sans commune mesure avec les autres chants, bien que ses vers soient de facture classique, ou pour être plus exact, semi classique, car y entre des procédés annonçant le vers libre. D’ailleurs, leur auteur l’a déclaré sans ambages dès sa prise de parole. Le poème s’impose de lui-même, d’un seul coup, comme un chant. Il ne se compose pas. Il s’écrit lui même! Et cette façon d’écrire, résumée laconiquement, magistralement, mais simplement, va rejoindre directement ce que André Breton appelle dans son manifeste sur le surréalisme « l’écriture automatique ». On ne décrit pas. On ne raisonne pas. Car, on n’écrit pas de discours. En poésie, on chante et le chant couvre tout de sa mélodie. Le sens des mots et des phrases s’aligne avec pour unique projet de produire du rythme et de l’harmonie. Non seulement le vers libre crée sa propre musique par l’ampleur de son mouvement et de sa dynamique interne, mais il se révèle, ainsi, supérieur au vers classique surchargé d’ornements, comme les rimes plates, croisées ou embrassés que l’on rencontre chez les poètes classiques français, notamment chez Lamartine ou Musset ou encore Hugo. L’allusion au vers libre faite par ce poète, lors de sa communication, a été trop brève. Car, le temps imparti à cet effet a été lui-même, court. Mais, dans l’esprit de certains de nos poètes, la concision semble être synonyme d’indigence d’esprit et sans rime, pour eux, point de poésie, point de vers cadencés. C’est peut être pour cela que cette soirée a paru plus terne et plus plate, en ce sens que presque tous les poèmes récités, qu’ils aient été puisés dans le registre populaire ou celui, plus soutenu, de la littérature classique, étaient écrits avec la monorime, c’est-à-dire que le même son revient à la fin de chaque vers. Un martyr pour les tympans délicats. Pour l’ambiance, le thème de la conférence faite par un professeur d’université a été d’ordre plus historique que poétique. L’intérêt, dans ce contexte, n’est pas dans le fait de souligner comment s’étaient créées les zaouïas qui avaient pour mission d’enseigner le Coran et de préserver la langue. L’intérêt aurait été de voir comment on pouvait évoluer d’une forme poétique assez rigide et surannée vers une forme à la fois plus souple et plus malléable pour permettre au talent, au génie de créer de la beauté. Autre couac, les débats ont été maigres et sans échanges d’expérience notables. Le but de cette soirée a, surtout, été l’occasion pour certains participants, transformés en l’occurrence en tribuns, de faire de la déclamation. La poésie, c’est beaucoup plus que des mots assemblés avec plus ou moins de réussite. C’est un travail en profondeur sur la langue, une plongée en apnée dans ses abysses pour en tirer non plus de sens, mais infiniment plus de sons, de rythme et de musique. C’est en cela que l’art est essentiellement invention, non simple reproduction ou imitation. C’est pour ne l’avoir pas compris, sans doute, que les organisateurs de cette soirée ont décidé que les poèmes récités soient accompagnés par de la musique produite par un synthétiseur. De la musique sur la de musique en somme ! Une hérésie en poésie.

Aziz Bey

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