Journalisme, ce « beau » métier…

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« Mon fils, le journalisme, c’est bien… mais pas en Algérie ! », c’est par cette phrase cinglante que répond un père, quand il apprend que son fils a choisi le journalisme comme profession. 

Il est vrai que la vie d’un journaliste, n’est pas un long fleuve tranquille. Il doit, dans la majeure partie des cas, trimer pour avoir accès à l’information à sa source, afin de rapporter les faits, de la plus fidèle des manières. Une tâche qui, à priori, ne demande pas un effort considérable : aller voir les principaux intéressés, recueillir les informations et les cocher sur du papier.

Bref, pour reprendre une célèbre expression de Victor Hugo : « le journaliste, régurgite le lendemain ce qu’il a appris la veille ». Mais dans les faits, c’est loin d’être le cas. Pour « régurgiter », il faut tout d’abord avoir quelques choses à se mettre sous la dent. Les journalistes, dans leur grande majorité sont confrontés aux sempiternels obstacles de la rétention de l’information de la part des administrations ou bien de la justice ou des services de sécurité.

Haro sur la rétention de l’information !

« Désolé on n’est pas habilité à communiquer ». Cette phrase, tout journaliste, l’a entendue au moins une fois dans sa carrière, si ce n’est pas tous les jours que Dieu fait. Des faits les plus banaux, comme l’inscription d’un projet ou autres sujets liée au développement local, en passant par les faits divers pour arriver aux affaires de terrorismes ou de dilapidation de biens publics. C’est le black-out total ! Les exemples ne manquent malheureusement pas pour illustrer ces carences en matière de communication. A la justice, un service consacré à la communication existe bel et bien, mais il ne fait jamais son travail.

« On n’a rien à vous dire. Adressez-vous au procureur de la République », rétorque-t-on aux journalistes et autres correspondants de presse qui essaient, tant bien que mal, d’obtenir des informations sur telle ou telle affaire. Idem pour les services de police qui ont une étrange façon de communiquer, vous donnant des informations « mortes », si périmées que même l’épicier du coin en connaît les moindres détails.

En effet, il n’est pas rare que l’on distille des communiqués de presse sur des affaires déjà classées, ou encore, que l’on « refourgue » aux journaux des affaires mineures comme l’arrestation d’un dealer en possession de… 2 grammes de drogues. Pour ce qui est des « grosses » affaires, le journaliste peut toujours attendre. Ou il est carrément rabroué par les agents de « l’ordre », les gardiens du secret : « On n’a pas le droit de communiquer pour l’instant et puis, ne restez pas là,; on a du travail. On vous enverra un fax », lancent-ils souvent.

Pour ce qui est des administrations, une source d’information intarissable, notamment pour les journaux qui traitent de l’information de proximité elles préfèrent jouer la carte de l’usure. Comment ? Eh bien, en forçant le journaliste à faire des navettes quotidiennes pour obtenir des bribes d’infos. « Le responsable n’est pas là,; revenez plus tard(…) Il n’est toujours pas là,; prenez une chaise et attendez », nous dira une secrétaire au niveau de la direction de l’emploi de Bouira.

En effet, le journaliste- correspondant, à Bouira, est tenu de faire le pied de grue pour accéder à l’information, au même titre que le simple citoyen venu introduire ou retirer un document. D’ailleurs, l’administré repart longtemps avant que le reporter n’ait réussi à « arracher » son info, parce que le président, le directeur ou le PDG…., bref, le premier responsable de ladite structure est la seul et unique personne autorisée à communiquer avec la presse.

Cela, lorsque certaines administrations ne renvoient pas carrément le journaliste importun au ministère de tutelle ou à la direction générale qui, eux, se trouvent dans la capitale. C’est ce qui est arrivé à un jeune confrère travaillant pour un organe de presse arabophone : « A l’occasion de la journée nationale des personnes handicapées, je me suis présenté au niveau du centre des sourds-muets de Bouira, afin d’avoir de plus amples informations sur la situation de cette frange de la société. A défaut de chargé de communication, j’ai décidé de prendre attache avec le directeur. Et là,; que fut ma surprise de m’entendre dire par ce même directeur : « Je ne parle pas à la presse ! Si vous voulez une déclaration, revenez me voir avec une autorisation du ministère de tutelle », puis, il m’a carrément chassé du centre », a-t-il raconté.

Un autre correspondant de presse dira à ce sujet : « Ils nous font faire le parcours du combattant, autrement on nous fait tourner en bourrique des mois durant, affichant un mépris évident à l’égard du journaliste, par conséquent un mépris aussi face à l’opinion publique. Et si vous osez vous en tenir à une autre source, ils n’hésiteront pas à sortir de leur coquille en vilipendant notre action, celle de ne pas avoir consulté leurs services. », déplorera-t-il, avant d’ajouter : « sur les 45 communes que compte notre wilaya, aucune APC ne dispose d’une cellule ou d’un chargé de communication, en plus ils ne communiquent que rarement, les maires exerçant à leur tour la rétention de l’information ! ». C’est dire qu’en termes de verrouillage en matière de communication, il est difficile de trouver mieux et plus rodé comme dispositif.

Il est pratiquement impossible de faire correctement son travail de journaliste au niveau de la majorité des directions, et des exécutifs de la wilaya de Bouira, et selon les échos, au niveau du territoire national. « La fermeture » quand il s’agit d’informer l’opinion publique est une attitude quasi générale.

L’information centralisée

Dans ces conditions, auprès de qui le journaliste peut-il se tourner afin de récolter ses informations? Eh bien, à Bouira, à l’instar des autres régions du pays, il existe une cellule de communication. Cette dernière est chargée de communiquer à propos de tout ce qui a trait à la wilaya et les activités de son premier magistrat, le wali. Mais à Bouira, et sans doute aussi ailleurs, cette cellule se donne un ton et un temps appropriés, conformément aux prérogatives dont elle est destinataire, ainsi de nombreuses informations ne sont pas de son ressort. Tout journaliste doit, faute d’autres sources, passer par cet organisme de communication.

D’ailleurs, les différentes directions, dépourvues d’attaché(e) de presse, renvoient systématiquement le correspondant vers ladite cellule. C’est une anomalie qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Tout transite par cette cellule ! Les communiqués, les invitations, les conférences de presse. Elle est omniprésente, et certains disent « omnipotente ». La question se pose d’elle-même : cette cellule outrepasse-t-elle ses prérogatives ? S’est-elle arrogée le droit de centraliser l’information à son niveau? Eh bien pas tout à fait! Elle « profite » tout simplement des défaillances ou bien de l’inexistence de la communication auprès des diverses directions et des autres services. C’est une sorte de « monopole » qui s’est créé de facto.

C’est bien connu, la nature a horreur du vide. Le journaliste trouve-t-il les informations dont il a besoin au niveau de cette cellule? Est-elle une véritable base de données? Pas vraiment. Cela dépend de ce que le correspondant recherche. S’il a besoin d’infos sur les activités du wali (sorties, déclarations, instructions), il trouvera forcément son bonheur. Car avant tout, c’est un organisme de la wilaya et son responsable n’est autre que l’attaché de presse du wali. Après tout, son job est de promouvoir son  » patron ».

C’est de bonne guerre ! Mais quand le journaliste tente d’obtenir des informations dépassant ce cadre, les choses sont moins évidentes. Certains reprochent à cette cellule une certaine  » iniquité » dans la distribution de l’info. « Comment accepte-t-on que des correspondants de tel ou tel titre soient informés sur tel ou tel événement et d’autres non? ». A ces accusations, M. Ladjel Latrache, responsable de ladite cellule répond : « Jamais ! On traite tout le monde sur le même pied d’égalité. Dès qu’on a l’info, on la communique à tous, sans exception. », s’est-il défendu.

Questionné à propos de la centralisation de l’information à son niveau, notre interlocuteur admettra à demi-mot que l’organisme dont-il a la charge comble les lacunes en communication des autres directions de l’exécutif : « loin de nous l’idée de centraliser l’information. On sert uniquement de courroie de transmission entre les diverses directions de l’exécutif. Elles communiquent et on transmet. », a-t-il dit.

A quand une maison de la presse à Bouira?

Mais cette cellule de communication sert également de « refuge » pour les journalistes sans bureau fixe, les SDF comme on les appelle. En effet, nombreux sont les correspondants de presse de différents journaux qui sillonnent le territoire de la wilaya de Bouira, à la recherche de l’information. De Lakhdaria, à l’extrême- ouest, en passant par Hadjra Zergua, au sud d’Aghbalou, et jusqu’à Aïn-Bessem, le correspondant sillonne sans cesse ce vaste territoire.

Mis à part quelques gros titres de la presse nationale, beaucoup de correspondants ne disposent toujours pas de bureaux où exercer leur métier. Cette catégorie de journalistes, correspondants de presse ou pigistes, est, il faut bien le dire, marginalisée, surexploitée et sous-payée par leurs éditeurs. Ces derniers, sans scrupules, n’ont cure des conditions de travail de leurs « salariés ».

Tout ce qui les intéresse, c’est l’argent de la publicité et accessoirement l’information. Ces journalistes n’ont, pour leur plus grande majorité aucune couverture sociale, aucuns frais de mission ni de transport, et le « papier » qui leur sert d’ordre de mission n’est souvent pas reconnu par les autorités. Certains d’entre eux, se qualifient même d’esclaves à la merci de leurs employeurs : « à leurs yeux, on est des moins que rien. Juste des signatures sur un papier. Ils nous refusent la moindre assurance, on travaille sans aucune couverture. Bref, on est livrés à nous-même », ont-ils déclaré.

Cette situation pousse certains d’entre eux à songer à quitter la corporation du journalisme : « Si c’était à refaire… J’opterai pour un autre métier. D’ailleurs, je songe sérieusement à jeter l’éponge. », dira un correspondant que nous avons rencontré au niveau de la cellule de communication de la wilaya. Un autre, exaspéré par sa situation qu’il n’hésite pas à qualifier de misérable lâchera : « Je passe mon temps à chercher l’info où elle se trouve. Qu’il pleuve, qu’il neige ou sous un soleil de plomb, je dois envoyer quelque chose à ma rédaction. Le tout pour des miettes et, de surcroît, on m’exige de récolter de la pub ! Je n’en peux plus, ce genre de vie est un calvaire. Le journalisme dans ce pays, c’est de la foutaise ! », s’est-il exclamé d’un ton de colère.

Interrogé sur une éventuelle location de bureau, notre interlocuteur soulignera, d’un air désabusé : « Oui, je l’ai suggérée à plusieurs reprises ! On me dit OK, mais à une seule condition… que je paie la location, l’eau et l’électricité de ma poche ! Déjà que je touche une misère… ». D’autres journalistes disent, un brin d’amertume au fond de la gorge : « Nous avons appris beaucoup de choses à travers ses longues années d’expérience, de lutte et de sacrifices. Nous avons appris à nous mêler des affaires des autres et à oublier, voire à abandonner nos propres affaires. Aujourd’hui, beaucoup de nos confrères, vivent dans des conditions des plus lamentables, sans logement ou sans famille ! Mais bon, être journaliste, aujourd’hui, c’est avoir une pensée en marche comme le soldat en guerre ». A travers tout ce qui a été dit et les divers témoignages recueillis, il est aisé de se faire une idée sur la situation de ce qu’on appelle hypocritement « le quatrième pouvoir ».

Rétention de l’information, misère et précarité sont les lots quotidiens de ces hommes et femmes qui ont choisi ce métier. Pourtant, tous les textes et toutes les législations du monde, y compris la nôtre, consacrent le droit du journaliste à accéder à l’information, pour permettre aux citoyens de savoir ce qui se passe dans son pays et sa région et de les publier en connaissance de cause. Or, force est de reconnaître que l’accès à l’information a nettement régressé à Bouira et ailleurs, notamment depuis que, sous différents prétextes et au travers de divers stratagèmes, des responsables locaux et d’autres se sont arrogés le droit de restreindre la communication et l’information sur les activités et le fonctionnement de leurs structures.

Ramdane.B / Oussama.K

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