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Le prix du droit à l'information

Par  Amar Naït Messaoud

L’Algérie célèbre, en ce 3 mai, la Journée mondiale de la liberté de la presse, dans un environnement de plus en plus bariolé fait de dizaines de titres de la presse écrite, de plusieurs chaînes de télévision et de sites électroniques. Un environnement grouillant de toutes ses couleurs, mais posant à la société des questions autrement moins simples à traiter dans l’immédiat. Par exemple, en mettant sur les étalages des buralistes et sur des sites Internet une centaine de titres de journaux, l’Algérie assure-t-elle nécessairement le droit et le libre accès à l’information? Les plus sceptiques compléteraient cette question par une autre, celle de savoir si la dizaine de chaînes TV, émettant actuellement sur Nilsat en tant qu’entreprises algériennes non encore agréées par le ministère de la Communication, contribuent-elles à l’enrichissement du paysage audiovisuel et médiatique national. Dans un environnement en pleine évolution et soumis à des mutations rapides, du fait de l’avancée fulgurante de la technologie, le débat que les Algériens ont couvé sur la presse écrite pendant plus de deux décennies, c’est-à-dire depuis l’avènement du pluralisme politique et médiatique, est puissamment rattrapé par l’autre débat, celui portant sur l’audiovisuel et les sites d’information web. Inévitablement, les prémices de débats, qui n’ont jamais pu évoluer vers des idées mûres devant donner naissance à des structures de gestion, de contrôle et de régulation, sont toujours là et sont censés prendre, aujourd’hui, l’ensemble des questions que la nouvelle technologie a charriées et avec lesquelles notre société commence déjà à se familiariser. Le village planétaire, dont parlait Mac Luhan, est bien là devant nous. La téléphonie mobile 3G, l’Internet fixe 4G, la numérisation de plus en plus poussée de la presse écrite, la multiplication inouïe de chaînes de télévision satellitaires avec une énorme économie de moyens, tout cela pèsera inéluctablement dans le débat pour entrevoir les perspectives d’un accès démocratique à l’information et une professionnalisation impérieuse des organes d’information sous toutes leurs déclinaisons. L’on serait, sans doute, en droit d’espérer, pour l’avenir immédiat et dans un contexte financier florissant, à ce que l’Algérie puisse se hisser au rang de « société de l’information », comme en a connu l’Europe et l’Amérique au milieu du 20ème siècle. Néanmoins, le retard historique dans l’accès à la culture et à l’industrie médiatique, couplé au sous-développement politique du pays, aura pesé de tout son poids, pour ne donner de la presse et du monde de l’information que le côté formel et presque ludique de la chose, sans omettre l’aspect financier, lesquels montrent que le chemin à parcourir vers la professionnalisation des métiers de la communication et vers le libre accès à l’information est encore long et laborieux. Pourtant, des potentialités existent et notre jeunesse est férue de toutes les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Il s’agit de savoir canaliser ses énergies et de s’armer d’une volonté politique ferme pour ce faire. L’Algérie a une expérience de 24 ans dans le pluralisme médiatique lié à la presse écrite. Un regard critique porté sur cette expérience fait ressortir le constat que l’action, l’influence et l’aura de la presse écrite, tout immergée qu’elle est dans la société peuvent être limitées ou remis en cause, aussi bien par les pouvoirs publics, par d’autres forces liées à des idéologies extrémistes (comme l’islamisme armé pendant les années 1990) que par des milieux financiers, détenteurs, par exemple, de la manne publicitaire. Néanmoins, si la hantise était que la presse dite indépendante fût utilisée comme « alibi » démocratique pour un régime politique dont on a nié toute « tentation démocratique », la preuve aujourd’hui est faite qu’il n’en a pas été toujours ainsi, malgré le parcours pas toujours droit de cette même presse. Des parasitages politiques et financiers ont tenté de faire avorter cette belle expérience, fille des émeutes d’octobre 1988. Mais le résultat est que les membres de cette corporation s’enorgueillissent, aujourd’hui, d’avoir accompagné la société durant les moments le plus durs et les plus noirs de la vie de la nation. La corporation en a largement payé le prix, par le sang. La liberté de la presse en Algérie est le résultat des luttes de la société y compris dans le temps du pluralisme politique et de l’ouverture médiatique. Actuellement, outre l’avenir de la presse écrite, qui se pose de façon épineuse partout dans le monde (plusieurs titres ont disparu en Europe dans leur version papier pour ne garder que la version numérique…accessible par abonnement), le monde de l’information en Algérie pose également la problématique de la régularisation des chaînes de télévision satellitaires qui émettent à destination du public algérien, de l’amélioration des conditions sociales des journalistes, particulièrement ceux exerçant dans des titres indépendants, et l’amélioration du contenu par la mise en œuvre d’une politique de formation audacieuse, aussi bien à l’Université que dans les organes même où exercent les journalistes. Le prix du droit à l’information, c’est aussi cela. 

A. N. M.

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