Les frères Gaham ou la passion de la chanson

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Les frères Gaham, c’est d’abord une longue carrière artistique bien remplie de succès, puisque elle se poursuit depuis 1988 avec la même régularité dans la réussite.

Liés par le sang autant que par la passion de la chanson, ils chantent pour eux-mêmes et pour le public. Hocine, le plus jeune des frères, chanteur, parolier et compositeur, dit que « cela a commencé à la maison, chaque était un spectacle ». L’aîné Aïssa, enseignant de son état, malgré ses dons et capacités à produire aussi de belles paroles et mélodies, se contente modestement de jouer du synthétiseur, mais avec beaucoup de maestria. Les frères « Graham », comme ils se comme ils aiment à se surnommer par amusement, à cause de la ressemblance de leur nom avec celui de l’écrivain anglais, c’est assurément beaucoup de décibels, d’abord, une bombe, une explosion de sons qui charment l’oreille par leur ordonnance et les variations harmonieuses sur l’échelle modale.  Cet après-midi, malgré le peu de public, à cause de l’horaire puisqu’il était trop tôt en ce jour de semaine du mardi, et bien que l’orchestre était réduit à deux guitares, un synthétiseur et une derbouka, la salle n’a pas été moins enflammée et les jeunes, galvanisés, ont aimé dansé et repris en chœur les refrains des chansons. C’est apparemment une restriction technique liée à une conjoncture économique défavorable. L’orchestre retrouvera sa composition intégrale lorsque les frères auront les moyens de réunir tous les éléments, pour le moment épars. En attendant, ils font avec les moyens de bord, comme ce mardi, où ils ont fait appel à leur jeune cousin pour jouer de la derbouka, et à un voisin, Kamel, à la guitare. C’est aussi comme pour le clip, car il leur serait difficile de se décider à le faire, cela demande une fortune. « Trente millions, c’est excessif », estimait Hocine, quelque peu scandalisé dans l’entretien qu’il nous a accordé après le spectacle. Tous ces obstacles accumulés n’empêchent pas les frères Gaham de capter, en certaines soirées, sur les ondes radio, leurs chansons qui font ainsi le tour du monde, et d’apprendre leur classement dans les hits parades. Au Mexique, par exemple, ils ont été surpris de découvrir qu’ils occupaient la douzième place, devant le chanteur malien, pourtant plus célèbre. C’est que les frères Gaham ont choisi de chanter en français et d’adopter d’autres courants musicaux, comme le reggae, pour varier et enrichir leur répertoire. Ils ont déjà produit six albums où les modes d’expression restent naturellement le kabyle et le français.  À cette soirée, les deux frères ont interprété une douzaine chansons. Si aucune d’elle ne trahi une source claire où s’est abreuvé le génie des deux artistes, même si Bob Marley reste pour eux une icône internationale, un créateur qui a su enrichir le patrimoine musical mondial, il n’en demeure pas moins que le plus jeune des deux  nous dévoile les maîtres qui l’inspirent, comme ce même Bob Marley qui a révolutionné la  musique, Matoub, le rebelle, Idir, Ait Menguellet, les maitres du rythme et de l’harmonie. Mais n’est-ce pas pour chanter la beauté de la Kabylie, de leur village natal d’Aït Laâziz, au nord de Bouira, au plus inconnu hameau de Tizi-Ouzou, et celle de la langue amazighe, qu’ils se sont mis à trois d’abord, puis à deux, le plus jeune ayant choisi le chemin de l’exil pour se lancer dans la chanson ? Le but final étant de jeter, entre le passé et le présent, une passerelle, sans quoi aucune vision claire de l’avenir n’existerait ? N’est-ce pas le rôle de l’artiste-philosophe de montrer et d’éclairer le chemin en délivrant des messages clairs ? C’est, par exemple, le sens de la quatrième chanson, parmi celles chantées cet après-midi, qui évoquait le souvenir des algériens déportés pendant la période coloniale en Guyane et en nouvelle Calédonie. « C’est en mémoire de ces déportés que j’ai choisi cette chanson», expliquait le jeune artiste. « Moi, j’ai quitté mon village », «JSK »… et plein d’autres belles chansons, sont quelques autres titres qui ont composé le programme de ce beau divertissement. Car si ce chanteur aime le rythme et la bonne musique, assez solide pour pouvoir tenir sans support autres que ceux que lui donnent les instruments, il reste qu’il est aussi poète. Et la mélodie, aussi puissante soit-elle, ne noie jamais les paroles qui gardent leur beauté et leur pouvoir spécifique. C’est que la voix grave de Hocine, qui possède de belles inflexions, domine l’orchestre, aussi haut qu’il monte. Le directeur de la Maison de la culture, qui a organisé cette soirée, ne tarissait pas d’éloges à l’égard des deux frères Gaham, que la passion de la chanson, seule, porte et motive.

Aziz B.

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