Le dépistage des cancers, notamment ceux à forte prévalence en Algérie, est une affaire relevant d’une décision politique.
Les médecins et spécialistes sont unanimes à penser que «seul l’Etat, disposant de moyens nécessaires, est à même de démocratiser l’acte de dépistage de toutes les formes du cancer». L’évolution terrifiante des cancers en Algérie suscite une réelle inquiétude dans le milieu médical. L’incidence progressive de certaines tumeurs cancéreuses a d’ailleurs incité les organisateurs de la 3e journée de formation médicale continue, tenue hier à Tizi-Ouzou, sous l’égide de l’association des médecins généralistes libéraux, Amejjay, (le médecin, ndlr) à prévoir deux communications sur le sujet. Pour les praticiens, le langage des chiffres de cette maladie tueuse devra être dépassé pour s’orienter vers la nécessité et l’urgence d’engager des actions de sensibilisation envers les pouvoirs publics et la population, en vue de rendre le dépistage des cancers «une priorité absolue». Ce message a été exprimé par les communicants, le Dr Amar Saâdani, chirurgien au CHU Nedir Mohamed de Tizi-Ouzou, et le Dr Allaoua Boukaouma, médecin généraliste installé à Alger, ayant traité des thèmes inhérents aux cancers. «Nous ne pouvons prétendre à faire le dépistage sans l’implication des pouvoirs publics, seuls à même de mobiliser les moyens nécessaires à la sensibilisation et à l’action de dépistage», a reconnu le Dr Saâdani, spécialiste dans le traitement du cancer colorectale au service de la chirurgie générale du CHU de Tizi-Ouzou. Signalant « la particularité méditerranéenne du cancer colorectale», le Dr Amar Saâdani fera remarquer à ses confrères présents dans l’hémicycle de l’APW, où se sont déroulées les troisièmes journées d’hier, qu’«aucun médecin ne peut prétendre traiter un cancer tout seul», précisant que cela «nécessite un conseil de concertation pluridisciplinaire». Interpellé à ce sujet par un confrère qui se demande si «le nomadisme médical des patients ne peut-être considéré comme l’un des facteurs entravant le dépistage», le chirurgien a fait savoir que «pour lutter contre le nomadisme médical et, par ricochet, permettre une bonne action de dépistage du malade, il faut inciter les pouvoirs publics à imposer la notion du médecin de famille». Le spécialiste en chirurgie générale vient, par cette réponse, poser les jalons d’un débat devant être instauré en Algérie en vue de « revoir en profondeur la carte sanitaire et le rôle de chaque praticien dans le processus médical du citoyen», selon les propos d’un médecin généraliste.
44 000 nouveau cas recensés en 2012
Le lien entre la profession du praticien et son rôle primaire dans le dépistage des cancers a été mis en avant par le Dr Alloua Boukaouma, estimant que «le médecin généraliste a un rôle fondamental dans les stratégies de prévention et de dépistage». Pour le communicant, «le médecin généraliste est le premier à intervenir dans la chaine des professionnels en médecine, puisque c’est lui qui informe ses patients sur les facteurs de risque, les moyens de prévention et de dépistage». C’est pourquoi le Dr Boukaouma insiste sur le fait que «le médecin généraliste doit intégrer, dorénavant, l’acte de dépistage dans sa pratique, comme il l’a fait, auparavant, pour l’acte de prévention». Les dernières statistiques sur la prévalence des cancers en Algérie, présentés par Dr Saâdani et Dr Boukaouma, devront inciter à « étendre les actions de dépistage de cette maladie à tous les types de cancer, notamment colorectal, du col de l’utérus et de la prostate.» L’incidence progressive de certains cancers en Algérie, la disponibilité des tests de dépistage et des traitements incitent à dépister prioritairement le cancer du sein, dont l’incidence est de 9 000 cas par an, le cancer colorectal (1 500 cas/an), du col utérien (1 400 cas/an) et de la prostate (1 236 nouveaux cas/an). Si bien que le Dr Saâdani affirme que le cancer colorectal, s’il est dépisté à temps et soigné peut guérir totalement. L’évolution affreuse de la prévalence du cancer, passant de 30.000 nouveaux cas enregistrés en 2004, à 40 000 en 2011, et à 44.000 nouveaux cas en 2012, annoncés par le ministère de la Santé incite à l’implication de l’ensemble des professionnels de la santé privés ou publics, dans le plan de dépistage que «les pouvoirs publics devraient mettre en œuvre d’une manière globale et efficiente». Certains spécialistes évoquent une progression pouvant atteindre 300 cas/100.000 habitants, soit environ 120.000 nouveaux cas annuellement à enregistrer dans les prochaines années. Ainsi, pour les deux communicants sur la question, «le dépistage nécessite la mobilisation des professionnels et, en première ligne, le médecin généraliste, qui demeure l’un des acteurs clé du système de santé de par son rôle de premier plan en matière d’information et son discours dans l’incitation des patients à réaliser ces dépistages». Mettant en garde contre la survenue de certains cancers avant l’âge de 50 ans, les médecins ayant communiqué sur le sujet ont tenu à rappeler que «l’indicateur clé de l’efficacité du dépistage est la diminution de la mortalité ou de l’incidence spécifique de la pathologie». Le Dr Boukaouma pense qu’à contrario, «le dépistage augmente l’incidence, car il permet de diagnostiquer plus de cas, mais à un stade où la guérison est possible». Enfin, les deux médecins concluent que « ce n’est pas le dépistage qui réduit l’exposition aux facteurs de risque, mais la prévention primaire». Celle-ci échoit nécessairement au médecin généraliste.
M.A.T

