Soustraire la culture aux calculs politiciens

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Amar Naït Messaoud

En lieu et place de débats byzantins et d’excessives logorrhées, par lesquels on verse souvent dans les procès d’intention sans en titrer aucun dividende palpable, les avancées pour la culture amazighe sont d’abord celles des producteurs qui enrichissent notre culture par leur création, qu’elle soit littéraire, musicale, théâtrale, pédagogique, scientifique ou autre. Ce que font les artistes et poètes comme Aït Menguellet, depuis presque cinquante ans, ce qu’ont fait les initiateurs, comme les Amrouche, Boulifa, Mammeri, Belaïd Aït Ali, Mouloud Mammeri et d’autres encore dans une contexte de patente adversité et ce qu’ont pu nous prodiguer les Mohia, Benmohamed, Rachid Aliche et d’autres hommes de culture, n’auraient été possibles sans l’abnégation et le sacrifice qui se situent loin et au-dessus des chapelles politiques et des orgueils personnels. Souvent, ce fut des moments difficiles, plongés dans la clandestinité et l’ostracisme. Le résultat est, comme le commande la logique imparable du mouvement de l’histoire, l’un des plus extraordinaires. L’appropriation d’un tel legs et la prise de conscience qui s’en est suivie ont crée une dynamique peu commune dans l’ensemble de l’Afrique du Nord, où la notion d’amazighité est sortie de son complexe et de ses interdits. Les pouvoirs publics n’ont eu de choix que de suivre ce mouvement par la prise en charge progressive des pans de cette culture trois fois millénaire sur le sol maghrébin. Introduite à l’école et à l’université la langue amazighe fit ses premiers pas dans le système pédagogique algérien dans les années 1990. Tout ne pouvait pas baigner dans l’huile. Instaurer un enseignement ex nihilo n’était pas une mince affaire. La tradition pédagogique n’existait pas, tandis qu’existait, et existe toujours, une crasse résistance à la prise en charge de tamazight de la part de certaines franges idéologiques abreuvées au bâthisme le plus aveugle. C’est pourquoi, les avancées enregistrées dans le domaine de l’enseignement, de la communication et de l’industrie culturelle (film, édition,…) ne pouvaient pas passer comme une lettre à la poste. Elles ont requis d’autres combats, contre l’ostracisme culturel, contre la bureaucratie et contre la médiocrité. Ces deux dernières tares, la bureaucratie et la médiocrité ont grevé lourdement le champ culturel national et freiné les élans de la production culturelle qu’elle que soit sa langue d’expression et sa portée sociale.  Dans ce contexte d’adverse fortune, l’on ne peut qu’apprécier et valoriser les prédispositions de certaines énergies au sein même de l’administration et du gouvernement tendues vers d’autres conquêtes culturelles allant dans le sens de la prise en charge de la demande de la société en la matière. À ce titre, les déclarations faites, samedi dernier, à Boumerdès, par la nouvelle ministre de la Culture, Mme Nadia Labidi-Cherabi, relèvent de ces engagements de l’État dont il convient de prendre acte et à la concrétisation desquels il faudra faire participer tous les acteurs concernés par le domaine de la culture. Mme Nadia Labidi a ainsi exprimé lors d’un forum organisé par le Haut Commissariat à l’Amazighité (HCA), portant sur les « efforts des institutions de l’État pour la promotion de Tamazight », « l’engagement de l’État algérien, à travers toutes ses institutions, à soutenir et à accompagner toute activité visant à promouvoir la culture amazighe ». De même, a-t-elle ajouté sa présence à cette manifestation est la preuve d’ « une volonté évidente pour soutenir toutes les composantes de la culture algérienne, dont Tamazight ».  « Promouvoir et mettre en lumière l’âme algérienne », tel est le crédo défendu par Mme la ministre. Elle explique sa vision, tirée sans doute d’un constat que le travail de fond, ce qui justifie même l’existence de l’administration de la Culture et de son budget, n’est pas encore vraiment visible. Elle dira à ce propos: « Il ne suffit pas de construire des structures et commodités; mais encore, faut-il que leur réalisation soit inspirée de l’âme algérienne ».  

Au cours du même événement, Mohamed Talbi, détecteur des libertés et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur, a parlé de la contribution de son département ministériel, particulièrement dans le domaine de l’état civil, visant à « conforter les composantes de l’identité nationale, à l’instar de l’actualisation de la nomenclature des prénoms amazighs dans le fichier officiel national ». Dix-neuf ans après la création du HCA, des avancées tangibles sont enregistrées dans la prise en charge de pans entiers de la culture amazighe. Mais, beaucoup reste à faire. Le recul de l’enseignement de la langue amazighe (10 wilayas actuellement, contre 16 initialement en 1999) est principalement dû à son caractère facultatif, qui s’appuie sur une excentrique « demande sociale », en plus du déficit en matière de formateurs. Sur le plan médiatique, des efforts qualitatifs et quantitatifs sont encore attendus de la part des pouvoirs publics.  La chaîne de télévision publique en tamazight est encore loin des attentes légitimes du public amazighophone.   La tendance, qui se dessine dans ce domaine, est bien cette nécessité impérative de « dépolitiser » la question culturelle, pour qu’elle bénéficie d’une vision plus sereine et plus saine. 

             

A.N.M

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