Ce n’est pas un « scoop », le secteur de la culture à Bouira est au point mort. De l’aveu même du chef de l’exécutif de la wilaya, les projets du secteur rencontrent d’énormes difficultés à voir le jour.
Le wali de Bouira n’impute toutefois pas ce marasme à aucun dirigent. D’ailleurs, lors d’un point de presse, où il a abordé les projets en latence de ce segment, il s’est soigneusement gardé d’incriminer quiconque. « Le secteur va mal. Cependant, je ne vise aucune partie. Nous (l’administration, ndlr), nous avons notre part de responsabilité », dit-il Pourtant, le responsable est tout désigné et ce, de l’avis de tous. Le désormais ex-directeur de la culture de Bouira a, pour ainsi dire, plongé le secteur, dont-il avait la charge, dans une profonde hibernation. Et la responsabilité de l’administration se situe dans le fait qu’elle a laissé faire, sans broncher. L’ex-wali de Bouira, tout comme l’actuel, n’ont pas pris la mesure de la catastrophe qui touchait ce secteur. Aujourd’hui, la wilaya et ses citoyens payent – très cher- ces années de laxisme. Les projets en retard se comptent par dizaines! Rien qu’au niveau du chef-lieu de la wilaya, on ne compte pas moins de quatre chantiers relevant du secteur de la culture qui sont en souffrance : L’annexe de la bibliothèque nationale, le théâtre de verdure, l’institut des beaux-arts et le projet de la réhabilitation du théâtre communal (ex-salle Errich).
150 millions pour une simple réhabilitation
Ce dernier est pour ainsi dire » le symbole » de la mauvaise gestion qui frappe ce secteur. Et pour cause, depuis 2009 date de son inscription, puis en 2010 date de démarrage des travaux, lesquelles ne devaient durer que 8 mois, ce projet s’éternise! D’emblée, on parle bien de réhabilitation et non d’une nouvelle structure. La mythique salle de cinéma Errich existait bel et bien et a fait longtemps le bonheur des cinéphiles, jusqu’à sa fermeture dans les années 90. Cette précision est à retenir, car ce qui suit est plus qu’édifiant et stupéfiant à la fois. Donc en 2009, il a été décidé de réhabiliter cette salle, afin d’en faire un théâtre non pas communal, mais régional. « Grandiose! », se sont (trop vite) réjouis certains. L’inscription a eu lieu durant la même année et l’autorisation de programme (AP), d’un montant estimé à 80 millions de dinars, a été signée en 2010. Au début, les travaux allaient bon train, mais six mois plus tard, ils connaîtront leurs premiers piétinements. Pourtant, l’entreprise tout comme le bureau d’études n’avaient pas à accomplir les douze travaux d’Hercule. Loin de là. Il s’agissait seulement de procéder à l’installation de fauteuils et de sièges adéquats, l’éclairage scénique, traitement acoustique, équipement de machinerie de scène et autres travaux de maçonnerie et de boiserie. Bref, rien de bien extraordinaire. Mais coup de théâtre, sans mauvais jeu de mot, quelque temps après le début du chantier, on demande déjà une rallonge budgétaire, ou pour être plus précis, une réévaluation de l’AP. Et c’est là que le bat blesse et des questions émergent. 80 millions de dinars ne suffisent donc pas pour réhabiliter une bâtisse de moyenne envergure? Quels sont les travaux de réfection qui peuvent engloutir 80 millions de dinars, sois 8 milliards de centimes? Des questions auxquelles les ex-responsables du secteur n’ont sans doute pas cru bon de poser. Quoi qu’il en soit, la réévaluation du projet a été acceptée et validée. Et de combien, a-t-on évalué cette rallonge? Accrochez-vous, ça donne le tournis! 75 autres millions de dinars, soit près du double de la somme initiale. Rien que ça! Une petite addition nous donne le montant de 155 millions de dinars, juste pour une simple opération de réhabilitation. À ce prix là une salle toute neuve et plus vaste aurait été la mieux indiquée. À titre de comparaison, pour 155 millions de dinars, on pouvait construire 60 logements de type F3, d’une superficie de 67 à 70 m2. Il est plus qu’évident que cette réévaluation a été surévaluée. Au détriment, comme toujours, du pauvre contribuable!
Le BET évincé
Avec autant d’argent et de moyens, on serait tenter de croire que le chantier a pu » décoller » à une vitesse supersonique. Malheureusement, c’est tout à fait le contraire qui s’est produit. Il a fait du surplace pendant plus de deux ans, alors qu’il devait s’achever au bout de 8 mois seulement. Nous sommes presque en juin 2014 et il n’est toujours pas achevé! Certes, il ne reste pas grand-chose, puisque le » gros » des travaux a été péniblement terminé et il ne reste que les travaux de finition et d’équipements. Et là on se retrouve devant un autre problème. Encore un! Le bureau d’études, chargé du suivi des travaux, a fait preuve d’une défaillance manifeste. Il n’était jamais là. Il ne suivait rien et n’était au courant de rien. Pis, il se permet de » zapper » les visites d’inspection du wali, sous couvert de divers prétextes pas très convainquant. À trois reprises, ce BET se dérobe et ne veut en aucun cas se voir confronter au maître d’ouvrage. Selon des sources bien au fait du dossier, il a été à plusieurs reprises, » couvert » par l’ex-directeur de la culture qui, selon certaines indiscrétions émanant de la wilaya, n’entretenait guère de bonnes relations avec le wali de Bouira. Ce dernier lui reprochait son laxisme et sa complaisance vis-à-vis du bureau d’études défaillant. Il faut dire que ce BET n’avait point parmi ses priorités de s’occuper de son projet à Bouira, du fait qu’il aurait, selon des sources bien informées, d’autres affaires à l’étranger. Bref, le théâtre régional de Bouira était le cadet de ses soucis. Avant-hier et lors de sa visite sur site, le wali de Bouira a mis, une fois pour toute, un terme à cette mascarade, en résiliant le contrat de ce bureau d’études. « Où est donc ce bureau d’études fantôme? Je voudrais le voir une fois dans ma vie! », s’exclamera le chef de l’exécutif. Mais comme à son accoutumée, il a fait, une fois de plus, l’impasse sur l’inspection du maître d’ouvrage. Il chargera l’un de ses collaborateurs de » s’excuser » auprès du wali, en arguant le fait qu’il est en déplacement dans la wilaya de Médéa. « Si c’est ainsi, alors je prends la décision suivante : je veux une résiliation du contrat sur le champ! S’il n’est même pas capable d’assumer son travail et bien, je ne veux plus le voir », tranchera le wali. Avant d’ajouter : « Tâchons de trouver un bureau d’étude sérieux et local qui s’intéresse aux projets de la wilaya ».
La » clim » à 28 millions de DA : la wali dit non !
Les péripéties de ce projet ne s’arrêtent pas là! Quand on jette un coup d’œil sur le budget alloué à l’équipement, on se rend compte que les responsables ne font pas dans l’économie des bouts de chandelles. Tant qu’il y a de l’argent du contribuable, jetons y un peu par les fenêtres! Ainsi et selon la fiche technique accordée au volet équipements, ce ne sont pas moins de 125 millions de dinars qui y sont consacrés! 9 millions pour les fauteuils et les sièges, 25 millions pour l’éclairage, 4 millions pour la sonorisation, 24 millions pour la machinerie et 28 millions pour la climatisation. À croire que Bouira aura son Olympia! Sans compter les 17 millions réservés au revêtement du sol et murs et la draperie de scène. Mais ce qui intrigue le plus dans toutes ces sommes faramineuses est, sans conteste, le coût de la climatisation. 28 millions pour climatiser une salle d’à peine 400 m2, à moins qu’on veuille installer une chambre froide, c’est assez exagéré! D’ailleurs, cette somme a fait tiquer le wali de Bouira. « 28 millions pour des climatiseurs? Jamais! Vous vous croyez où? Au Zénith! Non, ces climatiseurs à 28 millions de dinars c’est extrêmement exagéré. Installez plutôt des climatiseurs en armoire, ça fera très bien l’affaire! », a-t-il indiqué. L’affaire aurait pu s’arrêter là si ce n’était l’insistance du chef du projet qui donnait l’impression de tenir à ces climatiseurs, comme à la prunelle de ses yeux. « Mais M. le wali, c’est du haut de gamme, une climatisation centralisée de haut standing », a-t-il argumenté. Mais le premier magistrat de la wilaya a, sans doute, » flairé » l’arnaque, tant il est resté inflexible. « Vous oubliez ces climatiseurs! C’est une absurdité et une aberration. Une climatisation en armoire fera très bien l’affaire. Dieu merci, notre wilaya ne manque pas d’argent, mais il faut savoir le gérer avec sagesse », préconisera-t-il. La climatisation n’est pas la seule dépense, qui est remise en cause, puisque la machinerie de scène aurait également été surévaluée, selon certaines sources. Quoi qu’il en soit, le futur théâtre régional de Bouira a été depuis son inscription une véritable pièce théâtrale. Mélangeant tour à tour le tragique, le comique et même l’absurde.
Ramdane Bourahla

