Si les jeunes aiment se rendre sur la côte béjaouie pour passer la journée au bord de la mer, sur de belles plages au sable doré les personnes âgées, elles, trouvent leur plaisir dans les eaux chaudes des stations thermales pour soulager des maux que la médecine ne parvient pas à soigner.
Après un hiver ténébreux et froid, période favorisant la poussée des maux rhumatismaux, le printemps constitue la période idéale et recommandée pour les malades préférant les soins thérapeutiques par les eaux bouillantes des stations thermales. Dans cette optique, la station de Sidi Yahia Aâdli, située dans la région d’Ath Aidel, ne désemplit pas, jour et nuit, sollicitée pour les vertus de ses eaux chaudes naturelles. Elle a rendu service à plusieurs générations et ses eaux sont toujours là avec un débit constant, sortant d’un siphon et se déversant dans un bassin où les curistes plongent leurs corps. C’est au carrefour, situé à l’entrée de Biziou, qu’un panneau de signalisation indique que la station thermale de Sidi Yahia Aâdli est située à 15 kms de là. Nous avons pris la route, ce lundi, du CW 23 menant vers Tamokra. Les yeux ne cessent de découvrir des décors indescriptibles, des paysages enchanteurs que nous offre gracieusement la montagne de Gueldamen, qui constitue une grande muraille tournée naturellement vers le flanc Est du Djurdjura et vers la ville d’Akbou. Sur les hauteurs, dominent les garigues, le maquis et les arbres rabougris, formant une verdure éclatante. Au piémont de la montagne, la terre est mise en valeur avec une oliveraie qui s’étale sur une étendue que délimite des villas pavillonnaires éparses, nouvellement construites, alignées tout le long de cette route, formant comme un petit village. Dans le lit de l’oued Soummam, une animation fourmilière, faite par des tracteurs, vide ou pleins de sable tout venant que charge des engins sur leurs bennes. Nous continuons notre route en roulant tout doucement pour profiter des paysages, notamment en traversant le village Tassefart, constitué d’un pâté de maisons dont certaines sont en ruines, abandonnées par leurs propriétaires partis sous d’autres cieux, d’autres maisons rafistolées tiennent encore, habitées par des personnes encore attachées à leurs terres et préférant leur vie de paysans. A côté deux salles en démolition, formant jadis la petite école où la plupart des enfants du village ont entamé leur cursus scolaire il y a 30 ans, pour les plus âgés.
Un coin paradisiaque prisé par les touristes
En continuant notre route, nous tombons nez à nez sur une école construite il y a 20 ans. Un joli édifice ressemblant à une petite ferme de campagne, abandonné à son sort avec les dégradations subies visibles de loin. Un berger faisant paître ses bêtes, nous fera savoir que cet établissement n’a jamais ouvert ses portes. A quelques kilomètres de là un panneau de signalisation indique la sortie et la route qui mène à la station thermale. Nous la prenons en descendant vers l’oued Bousselam, affluent de l’oued Soummam, avec une impatience de découvrir ce coin paradisiaque, très prisé aussi par les touristes à la recherche de détente et de tranquillité. Nous arrivons à un parking bondé de voitures, ce qui atteste d’une grande affluence des visiteurs, ce jour-là. A première vue, ce qui est le plus frappant, c’est l’état d’abandon par les pouvoirs publics de ce « paradis » qui renferme des potentialités touristiques avérées qui contribueraient certainement au développement de la région. La route carrossable s’arrête à ce parking et nous prenons un chemin piétonnier étroit, creusé à même les rocs, d’un flanc abrupt. Sur ce flanc, sont construites des maisonnettes bordant ce chemin et datant de l’ère coloniale, dont la plupart sont tombées en ruines faute d’entretien. Des maisonnettes qui ont fait le bonheur de nos aïeux. A leur époque, les voitures n’existaient pas, ils venaient en famille et en groupe, à pied, pour une villégiature de quelques jours. Ramenant avec eux des denrées alimentaires pour cuisiner et des effets de literie pour dormir, car ils louaient des chambres nues. Aujourd’hui, la clientèle aisée élit domicile dans des hôtels à Akbou et ne vient que la journée pour profiter des bains. Ces maisonnettes sont donc là pour témoigner du temps passé. Le bon vieux temps, si l’on ose dire. Ce chemin sinueux débouche sur une minuscule pièce, construite en dur, qui abrite un café maure où est servie limonade, café thé et sandwichs. Le préposé au comptoir nous fera savoir que la station est gérée par des familles descendantes du Saint Sidi Yahia, le premier qui a découvert le site. « Les recettes sont partagées entre les membres de cette famille et la Zaouia portant le nom de Sidi Yahia, située au chef-lieu de la commune de Tamokra », nous dit-on. Une grotte féerique légendaire, que nous avons voulu découvrir, existe toujours, mais il n’est pas permis aux visiteurs d’y accéder, depuis qu’une femme est tombée du haut de cette falaise et est morte sur le coup. La légende disait qu’une personne qui glisse du haut dans ce trou, et tombe la tête en premier, le faisait pour savoir si elle n’a pas commis un péché. Si par malheur, elle se trouve coincée à l’intérieur, c’est qu’elle en a commis un et qu’elle devait implorer le saint des lieux pour lui pardonner et la libérer. Nous descendons tout en bas, jusqu’à l’oued, pour un bain de jouvence, dans une maisonnette composée de deux minuscules pièces bâties sur un rocher. La porte de la première pièce reste toujours fermée et elle s’ouvre par une poussée pour laisser le passage aux baigneurs qui passent par contingent de 10. Les séances de bain de jouvence se déroulent par intermittence, deux heures pour les hommes et deux autres pour les femmes. Nous entrons dans la salle de bain chauffée à une température élevée. Une fois à l’intérieur, le corps commence à transpirer.
Les habitués et les autres…
L’eau est tellement chaude, que rares sont ceux qui se permettent de tremper tout leur corps dans le bassin. Sinon, la plupart se limitent à plonger les pieds ou s’asseoir juste sur le bord et se mouiller le corps avec cette eau chaude à l’aide des mains. Une fois le bain terminé les baigneurs se dirigent vers la salle de relaxation, servant aussi de lieu de discussion, comme celle animée par un vieillard qui racontait comment il choyait cette station thermale. « Quand j’était petit, j’accompagnais mes parents qui venaient soigner leurs maux. Les premiers temps, je ne me baignais pas, je me contentais de nager dans la rivière et de visiter les alentours. Avec le temps, je fréquentais petit à petit la salle pour bain. Maintenant, à mon âge, je viens par nécessité pour soigner mes rhumatismes, comme venaient autrefois le faire mes parents. Moi aussi je ne peux plus venir seul. Je me fais accompagner pas mon fils », a expliqué le septuagénaire. La clientèle de la station thermale est diversifiée. Chacun vient pour un objectif bien précis, à l’exemple de ces femmes rurales, souvent cloîtrées à la maison, qui trouvent un malin plaisir à sortir de leur cocon pour aller à la rencontre d’autres femmes venant d’autres cieux, comme le signale une femme âgée accompagnée de ses filles. « La station thermale a toujours été utilisée par les femmes pour des bains pour des soins thérapeutiques, mais le plaisir essentiel, nous le trouvons dans les rencontres avec d’autres femmes, où nous apprenons à découvrir les traditions d’autres régions par le biais des conversations que nous nous engageons. Il arrive, parfois, que nous nouons des connaissances qui aboutissent à un mariage d’une fille ou d’un garçon… etc. », dira cette dame, apparemment habituée des lieux. Un jeune couple, accosté sur le chemin, a révélé que sa présence sur le lieu était juste pour changer d’air. « J’habite à Akbou, une ville qui prend de l’ampleur avec toutes les nuisances et la pollution engendrées. Donc, pour fuir tout ce brouhaha, les encombrements, les klaxons stridents provoquant le stress, je viens avec ma petite famille ici pour se reposer. Ça nous fait du bien de vivre ces moments en cette nature sauvage, à l’ombre de la montagne où on n’y voit que ciel et terre, mais point de façades enfumées. La tranquillité des lieux est très propice à la détente, ce qui m’attire, et en plus, c’est à moindre frais, puisque je ne paye rien. Je prends des photos et, parfois, je filme quand il y a beaucoup de monde. Des photos et films que je garde comme souvenirs ou que j’envoie à mes amis, surtout ceux qui sont à l’étranger, façon de rehausser l’image de notre région sur le plan touristique, et leur montrer qu’il fait aussi bon vivre chez nous, avec des coins paradisiaques qui pullulent », a souligné le jeune père de famille. Un autre décor s’offre à nous. Ce sont trois pécheurs à la canne, qui jettent les hameçons dans un grand étang. Pour satisfaire notre curiosité on est descendu jusqu’à l’oued prendre place à coté d’eux et voir comme ils opèrent. « Il faut vraiment s’armer d’une grande patience pour pécher. Il m’arrive de retourner à la maison le récipient plein, de quoi vraiment faire régaler toute la famille d’un repas copieux de poissons. Mais des fois, je retourne bredouille. Mais le plaisir pour moi est d’oublier mes soucis en me concentrant sur la pêche. Je me repose et je retourne en forme à la maison », a déclaré l’un des pêcheurs.
La station n’a pas bénéficié d’une once d’investissement
Mais la question que nous nous posons est la suivante : Comment se fait-il, que plus de 50ans après l’indépendance, cette station thermale, qui faisait le bonheur des générations passées, n’a pas bénéficié d’une once d’investissement ? Pourtant, il n’y a pas si longtemps, on parlait d’une étude de faisabilité pour la réhabilitation de cette station thermale aux eaux bienfaitrices. Un projet qui reste au stade de la rumeur. Vu l’importance de ce site qui rend service aux curistes et aux touristes, la construction d’un complexe thermale s’impose, comme en ont bénéficié toutes les stations thermales du pays. Construire des bungalows, un hôtel d’une cinquantaine de chambres, un restaurant et un café dignes de ce nom, élargir la route et les parkings… Ce ne sera que justice rendue pour les habitués de ce coin édénique. Des infrastructures qui profiteront aussi à l’Etat de par l’impôt à percevoir des commerces, et aux communes environnantes qui verront le chômage atténué par des recrutements qui s’offriront aux jeunes chômeurs.
Cette région, qui a été le porte-drapeau de l’insurrection d’avril 1871, et qui a sacrifié les meilleurs de ses enfants durant la guerre de libération, mérite bien des égards et l’octroi d’investissements qui sortiraient la population de la misère.
L.Beddar