La philo, comme au café

Partager

C’est un nouveau tropisme qui fait jaser les milieux intellectuels parisiens. Après les années des prudentes analyses à gauche, voici venu le temps des hérauts du “parler-vrai”. Sur la crise des banlieues, on aura entendu des propos qu’on n’a pas coutume d’entendre de la bouche d’hommes d’un certain rang intellectuel ou politique. Les “racailles” et autre “nettoyage au Karchër”, du ministre Nicolas Sarkozy font, selon un grand dossier paru dans un récent numéro du Nouvel-Obs, écho tout autant qu’ils prolongent un large glissement de pensée à droite qui, au non de la clarté et de la fin des démagogies, prétend désormais “appeler un chat un chat”. Le très médiatique philosophe Alain Finkielkraut n’hésite pas ainsi, à propos de cette crise des banlieues, à parler dans un entretien à l’hebdomadaire israélien “Haaretz”, d’“Arabes” et de “Noirs” qui seraient en rébellion contre la France écartant ainsi, ou minimisant, les ressorts relevant de la condition économique de ces Français, descendants d’immigrés pour la plupart.Quoique donnant l’impression de reculer après des extraits repris par le Monde, le philosophe ne revendique pas moins une révolte contre la “bien-pensance”. Des politiques mis sur la défensive s’engouffrent dans la brèche ouverte par des intellectuels aussi peu suspects de racisme pour reprendre du poil de la bête. “Non, mais vous avez lu ce qu’a dit Finkielkraut?”, réplique ainsi Philippe De Villiers à un David Poujadas qui notait que ses propos sont proches de ceux de Jean-Marie Le Pen. Le président du Mouvement pour la France assimile, dans une émission sur la chaîne parlementaire, le séjour de Bouteflika au Val de Grâce à un hommage à la colonisation et à une forme d’inconséquence. “En 1962, l’hôpital d’Alger était référencé deuxième au monde et aujourd’hui le président Bouteflika vient se soigner chez nous”, dit-il.Dans cette ambiance où l’élite pensante fait, par un curieux renversement de l’ordre des choses, sienne ce qui jusque-là relève des propos du Café du commerce, c’est la gauche, qui en raison des attendus théoriques qui encadrent sa philosophie, trouve le plus de mal à s’exprimer et surtout à se faire entrendre. Il faut pour cela, comme le note Bernard Kouchner, inverser les termes du débat pour les ramener de la question de l’immigration à la problématique social. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire.Les partisans Nikolas Sarkozy se donnent bonne conscience en estimant que son langage musclé est le seul moyen d’arracher des suffrages à l’extrême-droite qui, pour la première fois de l’histoire, était arrivée au second tour de l’élection présidentielle. Rappelant souvent qu’il est issu lui-même de l’immigration, il évite habilement de s’enfermer dans la case que voudraient bien lui assigner ses contempteurs en n’hésitant pas à s’approprier des idées “progressistes” comme le vote des résidents non-communautaires. Dénoncée par les milieux de gauche qui y voient un Lepenisme à peine voilé, comme l’illustre cet affiche d’Act-up qui, sous un poster de Sarkozy inscrit simplement : “votez Le Pen!”, elle inquiète au sein même de l’UMP. Rompant avec la sacro-sainte règle de la solidarité gouvernemental, le ministre Beur de l’Egalité des chances, qui avait juré de “ne pas être l’Arabe qui cache la forêt”, s’était frontalement attaqué aux propos “outranciers” de son collègue de l’Intérieur. Azouz Beggag qui doit sa nomination à De Villepin traduit toute l’étendue des désaccords au sein-même du sérail politique Chiraquien.Mais la politique de Sarkozy, qui rencontre un certain sentiment d’insécurité largement ressentie par les Français, semble avoir vampirisé de larges pans du paysage médiatique et intellectuel que les “Guignols” se chargent de caricaturer chaque soir. Les intellectuels qui se culpabilisent de ce que les échecs actuels de la société française proviennent de leur incapacité à se faire entendre du plus grand nombre n’hésitent pas à choquer et emprunter des raccourcis qui font le pied de nez à la rigueur universitaire. La loi du 20 février 2004 qui entend glorifier l’épisode colonial participe de cette nouvelle tournure de l’esprit qui prétend parler sans complexe de ce qui a été élevé au rang de tabou par un soi disant terrorisme intellectuel.Attendue sinon sur une repentance, une exorcisation du passé colonial, par une prospection créatrice, comme l’a fait Hollywood pour la guerre du Vietnam, la France s’enlise dans son malaise colonial. Elle trône dans une posture de victimisation de ses anciennes colonies.Cette “hardiesse”, n’engendre pas moins des réactions qui paraissent potentialiser un déchirement profond du tissu social Français. La création, en rupture avec les principes républicains, d’une organisation des Noirs de France (le CRAN) en constitue une manifestation. Les Antilles, un DOM, refusent de recevoir une visite du ministre de l’Intérieur.Le comique Dieudonné s’était pour sa part déjà fourvoyé dans une forme d’ “anti-bien-pensance” en soutenant, dans un étalonnage exécrable des horreurs, que la traite des Noirs était plus grave que la Shoah. La démarche lui vaut un bannissement pure et simple du paysage audiovisuel. Mais la France ne peut agir de même pour des initiatives qui cheminent sur des pentes moins abruptes et qui appellent un certain bénéfice du doute. C’est pour cela que ce bouillonnement, qui inquiète beaucoup, semble préfigurer de nouvelles lignes de démarcation au sein de la société française qui pourraient accoucher, si ce n’est déjà fait, d’une nouvelle segmentation de la pensée politique et philosophique.

M. Bessa

Partager