Par Amar Naït Messaoud
Le monde de la formation, dans toutes ses formules et sous toutes ses déclinaisons, est en train de subir des transformations graduelles, des avancées et des remises en cause, dictées par le contraste flagrant entre la qualité et le niveau de l’enseignement dispensé et les exigences pressantes de l’économie nationale. En effet, une économie qui ne jure désormais que par l’objectif de la diversification ne peut faire l’économie de la ressource humaine appelée à manager et à encadrer ses activités. L’impasse a été entrevue, il y a des années déjà quant à la disponibilité de la matière grise nationale à prendre en charge les transformations économiques en cours et celles qui se profilent à l’horizon. En parlant de la « mise à niveau » du cerveau algérien, le professeur et expert en management, Abdelhak Lamiri, ne fait pas uniquement dans la métaphore. Il fait toucher du doigt aux décideurs et gestionnaires du pays le grand mal dont souffre l’appareil économique. L’occasion de l’embellie financière du pays, qui dure depuis plus d’une dizaine d’année, est bien là pour apporter la preuve que l’argent seul ne travaille pas. Comme il ne fait pas le bonheur du ménage ou du foyer, l’adage populaire le dit si bien, il ne fait pas, non plus, le bonheur d’un pays qui a dilapidé ses ressources humaines, rompu avec le savoir et le savoir-faire et qui se met à manger son blé en herbe. Si l’on fait table rase du principe que la première ressource est l’homme, tout le reste suivra, dans le sens de la perversion rentière qui met au placard les valeurs du travail, le sens ancestral des labeurs et les aptitudes d’adaptation aux transformations du monde moderne. Les plans de développement, échafaudés depuis une quinzaine d’années, ont bien réhabilité et étendu les infrastructures du pays, comme ils ont relativement modernisé certains services publics. Mais la capacité à aller au-delà de cette étape, à construire une économie d’entreprise qui puisse dissiper la trop étouffante dépendance du pays aux ressources fossiles, n’a pas été acquise. Les efforts tendus vers cet objectif ne sont pas uniquement contrariés par les réseaux de l’informel ou la bureaucratie. Ils sont aussi largement contrariés par l’incapacité à mobiliser autour de ces tâches que sont le savoir, l’intelligence et le background, nécessaires à la culture de l’entreprise.
La valeur du diplôme universitaire se cogne, aujourd’hui, à une exigence difficile à satisfaire au niveau du champ économique. Aussi bien le niveau de l’enseignement que les profils assurés par l’Université ne sont à même, dans l’état actuel des choses, de relever le défi d’une véritable relance économique. Les enseignants universitaires expliquent la faiblesse de niveaux des étudiants par un lourd passif qu’ils ont traîné depuis le lycée. Au lycée, on renvoie souvent au collège et à l’école primaire. Et ce n’est pas sans raisons. Mme Nouria Benghebrit, ministre de l’Éducation, qui est en train de faire face à une fronde de type « idéologique » et qui n’a rien de pédagogique, est clair sur ce chapitre. « Tout le système éducatif va à vau-l’eau; des centaines de milliers d’écoliers, de collégiens, de lycéens et de bacheliers ont été sacrifiés pendant des années et des années, et le baccalauréat, dans son état actuel, n’a aucune valeur », soutient-elle. Peut-on être plus direct, plus tranchant et plus vrai ? L’on a l’impression que le verdict sort de la bouche d’une opposante et non d’un ministre. Ce sont là des constats, des regrets, des critiques et des angoisses que la société civile, la presse et les parents d’élèves formulaient presque en catimini, dans une espèce d’underground, où il n’y avait pas d’interlocuteur. Que le dossier soit pris en charge de la façon dont il est annoncé ne peut que réjouir et rassurer tous les acteurs de la société y compris, et sans doute surtout, les intervenants économiques et les capitaines d’industrie qui, aujourd’hui, font face à un déficit de personnel qualifié et de cadres de valeur. La vision de réforme de Mme la ministre présente aussi l’avantage d’intégrer les autres secteurs qui sont en relation avec le sien : l’Enseignement supérieur et la Formation professionnelle. Elle projette de les associer à toutes les démarches de réformes, sachant que ce sont là des maillons d’une chaîne solidaire, travaillant à la formation de l’ouvrier spécialisé du contremaître, de l’ingénieur, du manager et… du citoyen conscient de ses devoirs et de ses droits. Après l’annonce des Assises nationales sur l’éducation, prévues pour le 20 et 21 juillet prochains, le ministre de la Formation et de l’Enseignement professionnels, Noureddine Bedoui, vient, lui aussi, d’annoncer les Assises de la formation professionnelle, qu’il compte faire tenir en octobre 2014, soit deux mois après celles de l’éducation. Mercredi dernier, le projet de loi relatif à l’apprentissage a été adopté par l’Assemblée nationale populaire. Parmi les grandes décisions prises par le département ministériel chargé de la formation professionnelle, celle relative aux micros entreprises financées par l’Ansej, l’Angem ou la Cnac, et qui ne pourront plus revenir à des entrepreneurs sans formation. Le diplôme dans la filière ou dans la branche sollicitée est devenu une obligation. Pour la première fois qu’une vision globale et intégrative vise les trois secteurs de la formation, l’espoir est sans doute permis qu’un rayon de lumière se profile à l’horizon pour ces secteurs et l’ensemble de l’économie nationale, dans l’hypothèse optimiste où l’on ne mettra pas, une nouvelles fois, les bâtons dans les roues à cette noble entreprise au nom de scories d’idéologie ou d’intérêts étroits.
A. N. M.