C’est avec une émotion et un sens du devoir bien visibles sur leur expression extérieure que le président de l’Association du village de S’dara et le président de l’APC d’El Hachimia ont invité la “Dépêche de Kabylie” à s’enquérir de la situation du carré des martyrs de Laounès, proche du village de S’dara, pour rendre compte de son état de délabrement avancé, 42 ans après sa construction et bientôt cinq ans après le retour de la paix, dans cette contrée enclavée dans la forêt de Ksenna.Déjà, en septembre passé, le président de l’association du village, M. Kouadri Tahar, a saisi par écrit le premier magistrat de la wilaya en lui demandant d’intervenir pour réhabiliter le carré des martyrs de la localité dans lequel sont enterrés 36 chouhada. De même, le maire d’El Hachimia a profité de la présence du wali de Bouira au cours des cérémonies du 11 Décembre dernier qui se sont déroulées dans cette ville et pendant lesquelles il y a eu l’inauguration du nouveau siège de daïra, pour lui demander une intervention conséquente de la wilaya dans ce projet qui honore la localité et la wilaya tout entière.Notre sortie sur le terrain pour approcher la réalité de visu, a été une occasion de vivre des moments forts lors de la restitution de certains faits d’armes, exploits individuels ou collectifs, dans cette région, lors des années terribles de la guerre de Libération nationale. La route, qui monte à partir de S’dara, quitte brusquement le goudron pour plonger dans un semblant de piste crevassée et presque impraticable. La pinède de Ksenna domine les deux côtés de piste. Tahar, fils d’un moudjahid de la localité et frère d’un martyr de la guerre de Libération est élu à la tête de l’association du village de S’dara. En nous accompagnant sur les lieux où sont enterrés 36 martyrs de la Révolution, il nous fait état du profond souhait de l’association de voir ce lieu réhabilité comme un symbole du combat que la région a livré contre l’occupant français et aussi comme un défi au temps et aux dégradations dues à une décennie de terrorisme qui est la négation même du combat libérateur. Pour cela, la première action qu’il faudrait sans doute envisager est l’aménagement de la piste (4 km) qui dessert ce lieu symbolique à partir de la localité de S’dara (ancien douar Laounès). Le pèlerinage des citoyens et les cérémonies officielles qui se dérouleraient en ces lieux seraient grandement facilités.Tahar nous montre un pin d’Alep isolé qui, à lui seul, retient une part de la mémoire collective de la région. Au cours d’une opération de grande envergure effectuée par l’armée française, raconte-t-on, une femme kabyle prénommée H’djila, était montée sur ce pin et attendait de pied ferme le convoi de l’armée qui montait de Oued Ghomara. Arrivée à ce point de passage, une jeep faisant partie du cortège subit les foudres de H’djila en recevant une grenade explosive lâchée par cette femme suspendue à un arbre. Tous les occupants du véhicule furent tués.Cette région est connue par la grande bataille appelée “Bataille de Aïn Bougherzoune” au cours de laquelle des dizaines de militaires français furent éliminés. Les villageois, fiers de l’exploit de leurs aînés, voudraient maintenant réserver un cimetière digne de ce nom aux ossements des martyrs.L’actuel carré des martyrs est effectivement dans un état délabré. Les tombes sont alignées par groupe de six. Le petit aménagement dont a fait l’objet le cimetière en 1963 a atteint ses limites : le revêtement en ciment a carrément disparu, le mur d’enceinte est devenu vétuste, les allées ne sont pas entretenues au point où des herbres sauvages ont complètement envahi la parcelle.Autour de cette butte, la vaste forêt de Ksenna, faisant partie du vaste massif des Bibans, se déploie à vue d’œil et laisse entrevoir des clairières où domine l’activité agricole. Même si les populations ont déserté les lieux pendant la décennie rouge à la suite des exactions terroristes, elles n’ont pas hésité, au cours de ces dernières années à se rendre dans leurs propriétés pour s’adonner à l’agriculture. Tahar nous apprend que la céréaliculture, à elle seule, occupe ici environ 500 ha. Mais, d’autres exploitants ont initié des plantations d’oliviers qui se portent aujourd’hui comme un “charme”.Nous sommes au carrefour de quatre pistes, qui desservent des hameaux et des terrains agricoles. Le maire nous explique leur importance stratégique dans l’activité économique de la région. Leur aménagement permettrait le retour des populations, le renforcement du secteur agricole et la desserte des cantons forestiers dans le cadre des travaux sylvicoles et de la lutte contre les incendies. Il nous apprend également que, dans le cadre de l’aménagement du carré des martyrs, l’APC ne peut débloquer que la dérisoire somme de 400.000 DA. Lui, fils de chahid, voudrait voir ce lieu réhabilité et entouré du respect que l’on doit aux chouhada. Seulement, l’extension du terrain du cimetière devrait se faire sur des terrains privés. Le premier magistrat de la commune et le président de l’association de S’dara pensent, que cela ne devrait pas poser de problème majeur une fois que les propriétaires de ces terrains, auront été sensibilisés à propos de cette action. Les deux responsables sont aussi unanimes à réclamer une intervention globale des pouvoirs publics, pour insuffler une nouvelle dynamique à cette partie de la commune qui a souffert des affres de la guerre de Libération et des exactions terroristes : soutien à l’agriculture et renforcement des infrastructures, particulièrement le réseau routier. Dans ce contexte, l’aménagement et le revêtement de la piste allant du pont de Oued Ghomara à Hammam Ksenna est jugée prioritaire. Cette piste dessert la plupart des parcelles agricoles de Laounès, y compris le massif de Tijdad situé de l’autre côté du cours d’eau.
Amar Naït Messaoud
