Durant la semaine écoulée, lors des discussions dans les cafés dans ces soirées ramadhanesques, il n’est question que des premières figues qui ont fait leur apparition à travers tout le territoire de la localité. « Thassamdhi ! », annonce qu’on a trouvé les premiers fruits sur son figuier comme si un miracle s’était produit. En effet, l’apparition des premières figues annonce le début de la saison de « Lekhrif », chère au chacal qui souhaitait que ça dure deux saisons, comme nous l’avons lu dans les nouvelles de Mouloud Feraoun intitulées « Jours de Kabylie ». Au cours de la soirée du week-end passée, au café du stade de Tighilt Oukerrouche, outre cette bonne nouvelle, il y avait une autre qui circulait en même temps, celle de l’alimentation en eau potable des villages situés au Nord-Est du chef-lieu qui n’ont pas vu une seule goutte couler de leurs robinets depuis des lustres. « Effectivement, j’ai découvert, il y a cinq jours, les premières figues », confiera Aâmi Ali à ses amis, ajoutant que « depuis, c’est avec deux figues fraîches et un verre d’eau ou de lait qu’il rompt le jeûne ». Cependant, dans ce groupe de retraités qui s’assoit toujours en retrait sur la terrasse pour déguster une tasse de café et repartir immédiatement chez eux pour laisser la place à leurs enfants et aux autres jeunes. Ce moment d’évocation de ce que fut leur « Lekhrif », est souvent plus douloureux que réjouissant. Ainsi, pour Si Kaci, retraité et ancien immigré pour qui reste quelques figuiers qu’il tente vaille que vaille de tenir en vie, la malédiction avait frappé la localité en ôtant le grand héritage séculaire laissé par les aïeux, constitué de milliers de figuiers dont les fruits séchés étaient vendus partout, et même à l’étranger d’autant plus qu’il existait des dizaines de collecteurs qui sillonnaient le douar pour les exporter. Hélas, depuis le début des années 80, on ne trouvait pas assez de figues pour répondre aux besoins des villageois. Porté plus sur l’histoire de la révolution qui l’a vraiment marqué et qui lui a laissé des souvenirs impérissables, Dda Amar, également retraité fera remarquer à ses amis qu’il y a une date à ne pas oublier, mais qui malheureusement disparaît de la mémoire collective. Il parle du 25 juillet 1959, jour fatidique où l’armée coloniale, sous les ordres du sinistre colonel Bigeard avait déclenché l’opération « Jumelles », la plus meurtrière des opérations de ratissage menées en Kabylie et qui avait vu ,très tôt dans la matinée, tout le douar encerclé et toutes les crêtes occupées par les parachutistes, avant que les villages ne soient envahis par cette soldatesque déchaînée, alors que dans le ciel, dans un bruit infernal, les hélicoptères dites «bananes » faisaient d’incessants va et viens pour déposer des soldats sur les collines et du matériel pour les bivouacs. Après avoir évoqué leurs souvenirs, les quatre amis qui venaient d’accueillir un autre compère venu de la basse M’Kira, dans la plaine, dirigèrent tout naturellement leur discussion, vers lui. Ce dernier leur apprendra qu’à Tamdikt et dans toute la basse M’Kira, tous les figuiers portaient quelques fruits mûrs, mais il leur annoncera néanmoins que les dernières grandes chaleurs ont eu raison de sa nouvelle plantation de jeunes figuiers. « Je ne pouvais pas les arroser, je suis vraiment seul et mes enfants ne peuvent s’en occuper étant pris chacun par son travail. D’ailleurs, ils m’ont conseillé de ne pas me lancer dans ce projet, mais je voulais surtout ressusciter notre figueraie d’antan, qui a disparu depuis au moins trois décennies », terminera notre fellah avant de prendre congé de ses amis pour descendre dans la vallée.
Essaid Mouas