Pour la première fois depuis plusieurs décennies, les citoyens de M’Kira ayant moins de la quarantaine restent médusés devant l’apparition des aires de séchages de figues. En effet, cette pratique avait complètement disparu comme c’était le cas également de milliers de figueraies toutes variétés confondues. « Déjà au début des années 80, j’étais très inquiet d’assister à la disparition de nos figueraies qui entouraient notre village et qui faisaient non seulement notre fierté familiale, mais elles étaient également notre lieu de repos pendant les journées caniculaires durant lesquelles nous nous reposions sous leurs ombre. Je m’étais rendu à l’institut technique d’arboriculture fruitière et de la vigne de Tessala El Merdja à Birtouta pour demander des explications quant à la disparition de nos figueraies qui constituent avec les oliveraies notre principale richesse », nous dira Si Amar, un septuagénaire qui a un amour fou pour les figues. « J’avais subi un véritable interrogatoire de la part des ces spécialistes qui m’avaient reçu aimablement », ajoutera notre interlocuteur qui nous a confié qu’il était resté ébahi lorsqu’il a été conduit dans un bureau où on lui a montré tous les relevés météorologiques des dix dernières années pour lui faire savoir que la sécheresse, dont souffrait le pays, ne datait pas d’une année, mais plutôt depuis sept années au moins. L’autre facteur négatif qui avait influé à la survie des figuiers et qui a sa grande influence est celui du travail de la terre. La vie a complètement changé dans les villages. Les jeunes ne s’intéressent plus au travail de la terre alors que les vieux ne peuvent plus s’occuper de leurs lopins de terre qu’ils ont fini par délaisser malgré eux. Leurs enfants ne se donnent pas la peine de cultiver les figuiers. « En ce qui concerne le travail de la terre, j’avais répondu aux ingénieurs de cet institut qu’il était impossible à nos villageois de l’entreprendre en l’absence d’une paire de boeufs qui était présente au sein de chaque famille alors que pour l’arrosage, il ne fallait même pas penser d’autant plus que les villageois souffrent des pénuries d’eau. Déjà pour se désaltérer, ils achètent des fardeaux d’eau minérale ou s’approvisionnent des fontaines publiques », termine notre interlocuteur qui semble tout de même satisfait du rendement des récoltes de ses figuiers qui lui en reste. Se joignant à nous, un autre amoureux des figues n’hésitera pas à nous confier qu’il avait obligé ces fils à l’aider pour confectionner des claies de séchage. « Je vous jure par Dieu qu’ils avaient ri de moi en leur demandant de m’aider à la réalisation de deux ou trois claies de séchage « Ichardhag » et ils n’ont eu aucune pudeur pour me le faire répéter deux ou trois fois tout en riant à gorges déployés tant le mot leur a paru bizarre », s’indigne-t-il. Et c’était parti avec ces vieux pour parler de tout le lexique relatif aux figues qui ressurgit de la mémoire et que les jeunes générations ignorent. « C’est de cette façon que la langue meurt, c’est en oubliant son lexique et il n’est pas difficile de s’en rendre compte. Qui connaît maintenant ce qu’est un « Aarich » (il reçoit les premières figues sèches avant l’installation de l’aire de séchage appelée) «Tarha », puis lorsqu’il y a une grande quantité de figues séchées, on les place dans ce qu’était appelé « Amissour » avant d’être rangées dans les « Ikhoufène », dira-t-il. Sur notre chemin, un fonctionnaire d’une institution n’hésite pas à venir à notre rencontre. Mis au parfum, il nous a confié son bonheur et toute sa satisfaction de ce retour des figues. « Dieu soit loué malgré que nous n’avons que peu de figuiers, mais nous rendons grâce à Dieu de nous avoir fait revivre les joies d’antan et qui nous permettra de conserver quelques réserves de figues séchées pour les mois à venir et ne pas en acheter des figues importées de Turquie qui sont de moindre qualité que les nôtre et que nous payons au prix fort », nous déclare Si Tahar qui ajouta que pour sécher ces figues, il utilise les cagettes en plastique qui sont plus pratiques que les grandes claies en roseaux, lourdes à déplacer lorsqu’on est seul.
Essaid Mouas