Comme nos vendredis ressemblent tous et partout, dans l’immensité de notre territoire, à un jour de deuil. Nos villes et villages s’arrêtent de respirer la vie. Cadenassé scellé fermé comme une huître, les commerces dédaignant leurs clientèles avant les prêches, puis baissant rideau après. Bien malin sera celui qui arrivera à se dégoter une bouteille d’eau, une baguette de pain ou un sandwich à ces heures sacralisées où le négoce semble interdit. La seule denrée disponible à profusion ce jour reste l’ennui radical, total, sidéral. Même les rues s’imprègnent de cette atmosphère de guigne. Vidées de leur sève, de tout signe vivant. Ce sont des artères mortes qui s’offrent à la vue de celui qui s’aventure à bourlinguer ce jour qui n’en est pas un. Du reste, se balader un vendredi dans Tizi-Ouzou, puisque c’est cette ville qui intéresse notre propos, tient plus du masochisme que de l’instinct du promeneur, forcément, solitaire. Aussi loin que vous mènent vos pas à la découverte de cette Cité c’est la même désolation, le même désert, le même silence insupportable qui vous interpelle, vous agresse et vous malmène. Déjà que les autres jours de la semaine ne sont pas plus lumineux, plus attrayants sauf que ces derniers nous offrent moins l’occasion de nous en rendre compte de leur fluidité laborieuse pour la simple raison que l’occupation, quelle qu’elle soit, active ou pas, détourne notre regard de l’essentielle question de lendemains qui chantent ou déchantent, c’est selon. Pour ceux qui travaillent, les jours ordinaires s’égrènent nonchalamment sans que l’on s’aperçoive ni de leur naissance ni de leur mort. Ils s’écoulent benoîtement avec leur lot de haut et de bas sans laisser de place au cafard. Pas comme le vendredi, jour du seigneur par définition, où l’oisiveté aidant nous plombe aux questionnements les plus ésotériques, les plus abstraits, et ceci expliquant cela, les plus terre à terre. Chemin faisant, nous déchirons l’ennui pour nous frayer un passage au travers de sa chape gluante et oppressante. De temps à autre, un concert de klaxons nous surprend brutalement pour nous rappeler que la vie n’est pas finie pour autant. Il y a des gens qui font la fête. Des épousailles qui se font en même temps que d’autres se défont d’une manière ou d’une autre et c’est ce que nous appelons la vie. L’appel du muezzin éventre le silence pour laisser place au prêche traditionnel du vendredi. C’est à une cacophonie de sermons que le promeneur est invité d’assister. Les hauts parleurs des nombreuses mosquées de la ville s’emmêlent les voix, les vociférations des uns rejoignent celles plus avenantes des autres au firmament caniculaire d’une ville désertée par ses habitants occupés par la prière ou préférant les plages d’Azeffoun ou de Tigzirt ou pour les adeptes de Bacchus qui aiment à trinquer dans les quelques bistrots qui ont choisi de leur ouvrir leurs portes en ce jour de sainteté. Le vendredi est pour nos semaines les jours où nous affrontons dans les corps à corps de l’esprit, de l’âme et des conventions les effets existentiels de nos déboires sans retenu. En ce jour à Tizi-Ouzou, sous la canicule, le vent, la pluie, le vide et l’obsolescence exacerbé il ne demeure, seul, que le temps de la paresse où chacun aiguise à sa manière ses pouvoirs de tester sa volonté à l’inertie des sens. Déambuler comme un être sans but, sans cap, sans destination dans les méandres de l’ennui conceptualisé. C’est un peu cela aller à vau l’eau dans une ville qui peine à se réconcilier avec elle-même, avec ses capacités à retrouver son âme. Les rues se suivent et se ressemblent par leur vide. De temps en temps, on rencontre un homme ou une femme égaré cherchant désespérément qui un magasin qui un café qui un restaurant ouvert, en vain. C’est le vendredi où tout ferme même des fois le bon sens.
S. A.H.