Le chantre illuminé de la Casbah

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Parler de Himoud Brahimi dit Momo, c’est d’une certaine manière évoquer un personnage cosmique aux multiples facettes, aux talents divers et à la spiritualité intense.

Par S. Ait Hamouda

Momo fut un sportif de haut niveau : champion du monde de nage en apnée, il a fait boire la tasse à Johnny Weissmuller, le Tarzan du film du même nom. Il a été le chantre, voire le cœur palpitant de la Casbah. Il a vécu en elle et par elle. Il en est mort de son amour incommensurable pour sa Bahdja et sa Mahroussa (protégée). « Si j’avais à choisir parmi les étoiles pour comparer, le soleil lui-même ne saurait éclipser la lumière du verbe que tu caches. Aucun lieu sacré ni aucune capitale ne saurait réunir ce que, chaque matin, le lever du jour t’offre comme guirlande. Là où le poète dit ce que le coeur enfin fait savoir tout alentour. Là où le poème, comme une miche de pain, caresse la faim de l’intelligence. Là où la confession à tendance à se dépasser pour le bien du prochain. Là où la musique enchante le vent et fait danser les vagues et les poissons. Là où le thé à la menthe trouve la joie dans la théière, par où le liquide coule. Là où le peuple écoute la pierre lui raconter l’odyssée de ses ancêtres. Dans ce périmètre sacré mon Dieu, permets à El Bahdja, El Djazaïr, la grâce.

Plus je m’élève au plus haut des cieux

Mieux je me sens ancré à terre

Plus je me sens ancré à terre

Mieux La Casbah m’éblouit à nouveau. S’il n’y avait pas la mer, nous les enfants d’Alger que serions-nous devenus ? Notre sardine n’est pas comme celle de Marseille. Elle ne bloque pas le port, elle ouvre l’appétit ». Momo avait cette prédisposition toute particulière de dire crûment ses vérités, même celles qui font mal. « Si les gens ont peur de moi, c’est qu’ils ont peur d’eux-mêmes. Ils ont fait de moi un monstre, mais je ne suis qu’un miroir », dit Momo. Sa fille Saliha dresse de lui un portrait tout en tendresse. « Depuis ma tendre enfance, j’ai vécu aux chevilles de mon père dans une atmosphère livresque. Il avait une prédisposition pour les choses de l’esprit et un talent avéré pour tout ce qui flirte avec l’art et la culture de manière générale. Ce qu’il a écrit s’adapte à notre génération. Quand il parle de lui, il parle aussi de nous », confie-t-elle dans un livre dédié à son père. Momo, de son vrai nom Mohamed Brahimi, dit Himoud, a vu le jour le 18 mars 1918 à La Casbah d’Alger, rue des frères Bachagha (ex-rue Klébert), dans une famille algéroise, dont il était l’unique enfant. Son père, El Hadj Ali Brahimi, poète à ses heures perdues, était un riche commerçant, originaire de la commune de Tablat. Sa mère, Doudja Bouhali Chekhagha, originaire de la commune d’Azzefoun, en Kabylie. Dès l’âge de six ans, son instruction est partagée entre l’école coranique de Djamaâ Safir et l’école communale Mathès. En 1931, privilège suprême pour les indigènes, il obtient son certificat d’études. Son père lui répétait : « Mon fils, la liberté est en toi, ce n’est pas l’arme à feu qui fera de toi un homme libre. Ne te fies pas au drapeau, mais apprends le français, prends en le meilleur et reste toi-même. » Adolescent, un drame touche la famille, sa mère décède et il est recueilli par sa grand-mère maternelle. Il est subjugué par les films muets projetés au casino du cinéma « La Perle ». « C’est au cinéma que nous apprîmes le mieux les leçons de la vie. » Au lycée Bugeaud, il se lie d’amitié avec Albert Camus. Il rejoindra très jeune le monde du travail en décrochant « un job » de typographe à l’imprimerie Sebaoun, où une minerve lui broya une partie de la main droite. « C’est dans le fond des eaux que je m’approchais le plus de mon être éternel. » Se disant métaphysicien et l’était à fleur de lèvres, de peau aussi bien dans ces moment de douceur que de vocifération. Un jour au CCF alors qu’il était venu assister à une conférence que donnait Allan Robe Grillet sur le nouveau roman, il avait intervenu dans les débat pour démonter la thèse du conférencier considérant le genre comme « un pis aller, une littérature de paresseux » il apostropha Grillet en ces termes : « Monsieur Grillet ! on vous nomme Grillet mais pour moi vous êtes cuit ! » Et il finit par un rire prolongé et tonitruant. Il était, en effet, la terreur des conférenciers de tous crins. Une fois le directeur du Centre culturel des Industrie chimique, préparant le programme des conférences du mois de Ramadhan, trouva Momo à la terrasse du Novelty en compagnie de son ami Wahid Omari le musicien, il eu l’idée de lui proposer d’animer une conférence sur le thème de son choix. Il l’écouta sans l’interrompre puis il lui rétorqua : « Mon fils, le mois sacré je le consacre à mon créateur. De ce fait, je m’interdis toute manifestation publique. Revenez après le Ramadhan et je verrai ce que je pourrai faire pour vous. »

Les massacres du 8 mai 1945 et Momo

Il vécut douloureusement les massacres de mai 1945. « Face à la formidable participation des indigènes dans la guerre contre le nazisme, le colon nous récompensa par la tuerie…», dira-t-il. Dépité il largua les amarres et partit à Paris, où il a rencontré des artistes et des intellectuels de renom. « Dès mon retour à Paris, je me suis plongé dans toutes les lectures possibles et imaginables. Spinoza, Kant, Nietszche et même Bronski, alors vous vous rendez compte ! Je me suis aperçu que j’allais vers un cul de sac. Je me suis dit : Momo ou bien le suicide ou bien la langue de tes aïeux. » Le choix a été vite fait et Momo s’attachera depuis à se rapprocher au mieux de son Créateur. Momo joue dans « Les Noces de sable », puis dans « Les Puisatiers du désert » et dans « Pépé le Moko ». Mais c’est dans « Tahya ya didou », de Mohamed Zinet, qu’il crèvera l’écran en s’affirmant comme un acteur romantique doublé d’un poète foisonnant qui laissera des écrits, dont Casbah lumières, où transparaît à chaque fois son amour pour les siens, pour sa ville « Mienne Casbah ».

« Dis-moi pourquoi ton cœur palpite la vie avec ce que je respire

 Et pourquoi dans ton éblouissant regard

 je sens le mien s’attendrir

 Dis-moi pourquoi l’œillet ardent ouvre ses œillades aux plaisirs coquets

 Et pourquoi la rose se déshabille et mêle ses pétales à la gouaille populaire

 Dis-moi pourquoi mienne Casbah

 Le géranium préfère prier sur les tombes. »

Il avait une conviction chevillée pour les soufis Ibn el Arabi et Ibn Mansour El Hallaj et à l’image de ce dernier, il en avait l’aspect et la foi. « J’aime toutes les religions », dira-t-il. Dans sa demeure mauresque à côté du Coran trônait une toile de Salvador Dali présentant Jésus crucifié. Tout est dit sur un homme d’une infinie tolérance. Un surhomme fait d’un seul bloc, entier mais éparse. Qui aimait les roses et les œillets et les fleurs, toutes senteurs confondues, le lui rendaient bien. Il a aimé le Théâtre et il s’y rendait volontiers même quand ce sont des amateurs qui jouaient et il les tançait, les rudoyait. Il aimait aussi les récitals de poésie et de musique. En un mot, il a aimé tout ce qui est beau. Il s’est éteint le 31 mai 1997 dans sa Casbah aimée. Et depuis lors, sa Bahdja pourtant promut par l’UNESCO patrimoine de l’humanité n’a pas cessé de s’effilocher. Momo n’est-il pas un Saint parmi les Saints de sa Mahroussa ?  

S.A.H

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