Comment reprendre la situation en main ?

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Depuis le milieu de l’été ayant coïncidé avec le moi de Ramadhan, la majorité des ménages algériens sont sur le gril quant aux prix affichés sur le marché des produits alimentaires. La hausse de ces derniers n’a en effet pas connu de répit, allant de sommet en sommet, finissant par ne plus étonner personne. Même la presse à presque cessé de rapporter les nouveaux pics atteints par la pomme de terre, la tomate, le poivron et autres légumes frais. Les légumes secs ne sont pas en reste. À elles seules, les lentilles battent des records, se retrouvant à 150 dinars le kilo. La folle course du contenu du panier de la ménagère a dépassé tout entendement, d’autant plus qu’il s’est inscrit dans la durée. Cette inflation des prix ne répond plus à une quelconque logique d’occasion (fête de l’aïd ou Ramadhan), de saisonnalité (des produits en pleine saison sont déclarés inabordables) ou d’autre contexte particulier. C’est la nouvelle quotidienneté voire fatalité qui s’offre aux Algériens, laissant sur le tapis des couches entières de citoyens qui n’ont aucun moyen d’adoucir ou de changer la situation. L’on a appris l’année passée, à partir d’une étude issue d’une enquête de terrain, que 42% des dépenses des ménages étaient consacrées aux produits alimentaires. Avec la vitesse endiablée de l’envolée des prix au mois de juillet dernier, il ne sera pas exagéré d’avancer que ce taux dépasse aujourd’hui les 60 %. Que reste-t-il pour les dépenses de santé de loyer, d’énergie, de scolarité des enfants ? On passera sous silence la trop ambitieuse idée de la dépense culturelle ou de loisirs, consistant à acheter des livres, à se rendre dans une grande ville pour voir les deniers films projetés ou à se permettre une virée en famille pendant les vacances des enfants. Le salaire est consacré en priorité à l’alimentation, et accessoirement aux dépenses de santé. Les centres de recherches en sciences sociales et les bureaux d’études sont interpellés pour rafraîchir les chiffres et donner plus de précisions sur les tendances qui se dessinent pour les ménages algériens. La violence sociale qui s’étale chaque jour dans la rue, qui montre ses capacités de nuisances dans les écoles et qui prend en otage une jeunesse sans repères, n’est pas tout à fait étrangère à la dégradation du niveau social des familles. Pire, l’ostentation dont fait preuve une certaine classe sociale des biens d’équipements acquis (maisons, voitures, meubles de luxe,…) affiche clairement le hiatus entre les classes et alimente gravement le sentiment de frustration chez les jeunes. La presse nous apprend chaque jour les dérives dont est capable cette dernière, allant de la consommation de la drogue et de l’alcool, jusqu’au meurtre et au suicide. L’embellie financière du pays, qui a permis depuis plus de dix ans de construire de nouvelles infrastructures et de nouveaux équipements publics, a aussi permis à certaines classes sociales de s’enrichir par tous les moyens, légaux et illégaux. Les dispositifs sociaux mis en place par les pouvoirs publics pour amortir le choc des inégalités, du chômage structurel et des effets néfastes de la transition économique, commencent à montrer leurs limites. À commencer par le soutien des prix, procédé généralisé pour tout le monde. Les experts viennent de tirer la sonnette d’alarme, en expliquant que ces soutiens, faisant partie des transferts sociaux consentis sur le budget de l’État, non seulement pèsent lourdement sur ce même budget au point de créer un trou (déficit budgétaire qui se répète depuis trois ans et qui atteint quelques 50 milliards de dollars), mais surtout, ces soutiens voient leurs effets se neutraliser par leur généralisation. La baguette de pain, le litre d’essence, le kilowattheure d’électricité le mètre cube d’eau, sont soutenus pour les pauvres et les riches. Le résultat, on s’en doute, est loin d’être brillant. Il conduit même à une part de gaspillage. La multiplication de climatiseurs en été permise par la modicité du prix de l’électricité est à l’origine de délestage forcés de courant. C’est là une option qui enterre également toute idée d’innovation en matière d’architecture adaptée à l’isolation thermique et contribuant au grand thème de l’économie d’énergie, pourtant mille fois exposé au débat par les hautes autorités du pays. De même, la folie des prix, actuellement observée sur le marché des produits alimentaires, pose franchement la problématique de la régulation commerciale, de la chaîne de distribution et des marchés de proximité. Car, on est arrivé à un point de dérégulation où le producteur au niveau de son exploitation se plaint du prix dérisoire que lui impose le mandataire, et où le consommateur final se plaint et crie au scandale face aux prix affichés dans les marchés et les magasins. Donc, le milieu de la chaîne se sucre impunément sur le dos des deux bouts que sont les consommateurs et les producteurs. L’effet n’est pas uniquement celui de l’instant, mais, pire, celui des prochaines campagnes pendant lesquelles des producteurs seraient dissuadés de continuer leurs activités et contraints d’aller chercher leur pain ailleurs. Qui pourra arrêter cette roue de l’infortune qui abat les espoirs des couches les plus faibles de la société et qui casse l’élan des producteurs, au moment où, sur le plan politique, l’Algérie a plus besoin de sérénité que d’infertiles agitations.

Amar Naït Messaoud

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