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Ne pas lâcher la proie pour l'ombre

Les activités en relation avec la politique de la promotion de Tamazight sous tous ses aspects (langue, culture, identité) semblent avoir le vent en poupe depuis quelques mois. Le premier point positif, est-on tenté de dire, est que la majorité de ces activités ont été projetées et réalisées dans un cadre universitaire tendu vers la recherche. Le Haut commissariat à l’amazighité (HCA) a servi de cadre institutionnel qui a favorisé et organisé des séminaires, des colloques ou des rencontrent où se sont exprimés des spécialistes algériens ou étrangers versés dans des thématiques inhérentes au domaine amazigh. On se souvient que, dans la perspective de la révision constitutionnelle annoncée depuis deux ans, des intellectuels et des artistes se sont regroupés dans la rédaction d’une pétition pour l’officialisation de tamazight. Le texte a été mis en ligne pour recevoir les adhésions. Cette revendication et cette ambition de faire de Tamazight langue officielle a pris particulièrement du relief après l’introduction, en 2002, de Tamazight comme langue nationale dans la Constitution par le moyen d’un amendement ayant requis un congrès parlementaire (APN et Sénat réunis). Avant et après cette date, les militants et producteurs de Tamazight ne se sont pas contentés de ces revendications. Des livres, des films, des pièces de théâtre et d’autres domaines ont été investis par la langue tamazight. Il est vrai que dans le domaine de l’enseignement, une dommageable régression a été enregistrée dans l’aire géographique initiale qui avait pris en charge cet enseignement. Le prétexte avancé par certains bureaucrates est loin de convaincre les plus hostiles à Tamazight. En effet, il est question d’une « demande sociale » qui ne se serait pas exprimée dans ce sens dans les wilayas en question. Si l’on basait tous les programmes sur une hypothétique demande sociale, beaucoup de matières ou de modules seraient bien remis en cause. Le constat de recul géographique pour l’enseignement de Tamazight a été fait aussi bien par le HCA et le ministère de l’Éducation que par les militants associatifs et les partis politiques. La nouvelle ministre de l’Éducation a promis de porter des correctifs à cette situation et de mieux considérer Tamazight dans les nouveaux programmes. Mais, pour revenir à l’intense activité menée depuis quelques mois dans la recherche de tout ce qui a une relation avec Tamazight (histoire, langue, civilisation, identité), il y a lieu de mettre en relief la complémentarité de tous ces axes, lesquels concourent immanquablement à réhabiliter et à promouvoir un pas fondamental de l’algérianité. Cependant, loin la simple fougue militante, des harangues politiques et des discours sans lendemain, les derniers séminaires organisés par le HCA ont porté sur des choses concrètes. Il s’agit de transformer les difficultés enregistrées sur le terrain de la pratique en axes de réflexion et de recherche. Il en est ainsi du colloque sur Massinissa organisé dans la cité même, Constantine, qui a servi de capitale à ce fondateur de l’État numide, autrement dit de l’État algérien. La connaissance de l’histoire est, en effet, un point fondamental dans le processus de réhabilitation et du renforcement de l’identité; une identité évoluant actuellement dans une modernité problématique faite d’ostracisme interne et de mondialisation envahissante qui brouille tous les repères. Ensuite, sont venus les autres colloques sur la polysémie, la traduction et les genres littéraires. Ce sont là des thématiques importantes, directement liées à la langue, et qui sont issues des grandes préoccupations des praticiens de l’enseignement. Au fur et à mesure de l’avancée de la production littéraire, cinématographique, théâtrale et même journalistique, en Tamazight, surgissent des difficultés inhérentes à la pratique de la langue. Ces mêmes difficultés sont rencontrées par les enseignants et les élèves dans les écoles primaires, dans les collèges et les lycées, ainsi que, bien entendu, dans les universités où est enseignée Tamazight. Contrairement aux premiers mouvements spontanés de certains praticiens ou chercheurs qui travaillaient isolément sur ces questions, mais qui ont le mérité de déblayer le terrain et de montrer le chemin, les rencontres actuelles ont l’avantage d’un échange fructueux d’expériences entre spécialistes, de débats sur les perspectives et les limites de certaines démarches et l’instauration de passerelles qui rendront possible un travail collégial. Les chantiers pour la réhabilitation et la promotion de Tamazight, en tant que langue de travail et de production culturelle, sont nombreux. Ils portent à la fois sur la sémantique et la syntaxe. Ces chantiers vont réellement plus loin, lorsqu’on met sur la table l’ensemble des variantes de Tamazight (kabyle, chaoui, mozabite, targui,…). L’ancienne idée de la standardisation, longtemps mise en avant dans la littérature universitaire relative au sujet de Tamazight, est en train de bénéficier d’un nouveau regard. Cette standardisation se fera sans doute d’elle-même et non d’autorité par la pratique généralisée de Tamazight; pour peu que, justement, il y ait généralisation de la pratique de notre langue dans tous les domaines de la vie. Une partie de ce travail de « standardisation » sera issue aussi de la production littéraire qui commence à acquérir ses lettres de noblesse. Incontestablement, avec les regroupements scientifiques débattant de thématiques spécifiques de Tamazight, la chance est grande de pouvoir quitter les discours creux et les récriminations à tout va, pour braquer les regards sur le plus important, à savoir la production d’une recherche exploitable au profit de la promotion de Tamazight.

Amar Naït Messaoud

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