Amti Tassaadit ou la poétesse de guerre

Partager

En ce 60ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale, on ne peut, au village Oulkhou de la daïra d’Azeffoun, ne pas avoir une pensée pieuse à la mémoire de Amti Tassadit qui nous a quittés il y a deux ans, en octobre 2012, à l’âge de 97 ans.

Elle a laissé un grand nombre de poèmes relatant les souffrances endurées durant cette lutte pour se libérer du joug colonial. Depuis son jeune âge, elle s’est intéressée à la chanson traditionnelle, à la poésie et à l’Histoire. Durant son enfance, elle avait écouté et fredonné les poèmes laissés par un parent, le vieux Saïd ou Chalal, dont la poésie satirique amusait les hommes et les femmes de sa génération. Jusqu’à la fin de sa vie, longue et très riche en événements, à la fois heureux et très pénibles, Amti Tassaadit est restée lucide. Les années n’ont pas eu raison de sa sagesse et n’ont pas altéré sa mémoire. Elle déclamait avec passion ses poèmes qui en disaient long sur ce qu’elle a vécu pendant la guerre de libération. Dans la région, tout le monde connaît les Isefras n’Tassaadit el hadj Ali qu’on entend reprendre à chaque commémoration des dates historiques. Grâce à son fils Omar qui a eu la bonne idée de l’enregistrer, on peut encore écouter ce riche patrimoine de la voix d’Amti Tassaadit. Amti Tassaadit était issue d’une grande famille de paysans. Son père était un personnage charismatique, il a assumé sa vie durant, les charges d’amine du village. Son éloquence, sa sagesse et son sens de la réplique ont fait de lui le médiateur incontournable. De son temps, les conflits sociaux ne traînaient pas. A cette époque-là la maison de Ammi El Hadj ne désemplissait pas. Il y avait toujours des invités qui arrivaient des villages voisins et parfois de très loin. La jeune adolescente assistait à ces discussions, écoutait ce qui se disait autour d’elle, prenait des leçons de sagesse qui allaient contribuer largement à son éducation et forger sa personnalité. Les bonnes paroles que se disaient ces hommes et ces femmes venus d’un peu partout et qui apportaient des nouvelles sur les événements qui se déroulaient dans le pays éveillèrent sa curiosité. Elle se maria très jeune à Si Arezki du village voisin, Ichalalen, qui dut émigrer vers la France, laissant la jeune épouse s’occuper de la maison et des enfants. Aux premiers jours de la guerre, lorsque son père fut contacté par les responsables du maquis, dont Ali Boulkhou, El Hocine son compagnon de combat et Cheikh Saadi, entre autres, Tassaadit fut la seule femme à être admise à leurs discussions, souvent nocturnes. C’était dans ces conditions que son fils Mohamed qui l’accompagnait fut initié au patriotisme et qui ne tarda pas à intégrer le groupe des premiers maquisards et à rejoindre le Front. Pour Tassaadit commençait alors le temps de la tourmente, des souffrances et de la poésie. Elle fut arrêtée, emmenée au camp et «interrogée». Elle connut la douleur et l’humiliation. On exigeait d’elle qu’elle dise où se trouvait son fils, quels étaient ses compagnons, ses chefs… Tassaadit tint bon, ne lâcha jamais rien et entama une période de résistance qui durera jusqu’à l’indépendance. C’est également de cette époque que datent ses premiers poèmes sur la guerre de libération.

Elle dit :

Asmi dussan sanigal               Lorsque les Sénégalais furent arrivés

D Muhand ay vghan               Ce fut Mohand qu’ils ont réclamé.

Q’vala ar wakham-is               Ils foncèrent droit sur sa maison.

Ghran iyid ar vera                  Ils m’appelèrent dehors

Awid el karta                         Et réclamèrent ma carte

Mmim ar dehkudh ism-is        Ils voulurent que je le dénonce.

 

Vava imi d yesla                    Quand mon père m’entendit

Yefghed s elkheffa                 Précipitamment il sortit

Yetswehiyi id sufus-is             Il me fit signe de la main.

Yenad ur tsagwadh ara           Il me dit de ne pas avoir peur

El courage yelha                    D’être courageuse

Sid Ali bwin yeli-is                 (Même) Sid Ali, ils ont pris sa fille.

I luâathid liotna                     Le lieutenant l’interpella

Yenayas berka                       Et lui dit: «ça suffit !»

Ake tekki dheg mukan-is        Sinon c’est toi qu’on abat à sa place.

Macci dh netsath i nevgha      “Ce n’est pas à elle que nous en voulons

Ar dehku el vadhna               Elle doit nous dire le secret :

Anwa ig tsedun d m-is……      Qui accompagne son fils.”

Ce poème était repris par toutes les femmes de la région, ce qui aiguisa la muse de Amti Tassaadit. L’armée coloniale qui était installée jusque-là  à Tazaghart, au bord de la mer, se déplaça et vint occuper Oulkhou qui devenait désormais avec Ait-Chaffa le deuxième camp de regroupement où toute la population de la région allait être cantonnée pendant toute la durée de la guerre. Amti Tassaadit composait des poèmes qui «coulaient de se bouche comme l’eau de la source». Elle composa un poème d’une dizaine de strophes dans lequel elle raconte la première descente des soldats dans le village.

En voici un extrait :

Asmi dissob liotna               Quand le lieutenant descendit

Ijemâad l âama                   Il rassembla la population

Am yergazen am thilawin.    Les hommes et les femmes

Iwessathid lekmanda           Il avait l’ordre du commandant

Ikmassi-d dâaya                  Et entama sa harangue

Anilith awk dhathmathen.    (En disant): nous devons rester des frères.

Gasmi Akli

Partager