À la redécouverte de soi

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L’inscription, la semaine passée, du rite festif la S’beiba, pratiqué dans la région de Djanet principalement au cours de l’Achoura, sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’humanité devrait être regardée comme une avancée notable de la culture algérienne, celle qui tire sa sève des temps immémoriaux et qui constitue une continuité historique sur l’aire géographique du Tassili. C’est là une réhabilitation de ce qui constitue un des fondements de l’identité nord-africaine dont le socle primaire est l’amazighité. C’est le comité de l’Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, réuni la semaine passée à Paris, qui a pris cette décision hautement significative et valorisante, non seulement pour le rehaussement de la place de la culture et de l’histoire de l’Algérie dans le concert des nations, mais aussi pour la réhabilitation interne de notre moi national, souvent envahi et avachi par un long complexe de tout ce qui vient de l’étranger. Que la vérité soit dite. Lorsque la télévision nationale nous montrait les images de ces rituels de danses, de gestes, de chants, avec les habits traditionnels de ces populations touarègues, bien des téléspectateurs regardaient les scènes sous l’œil « coupable » de l’exotisme de pacotille, cela lorsqu’ils ne sont pas totalement distraits. Il a fallu la persévérance des concernés, des associations culturelles conscientes de leur mission historique et l’engagement du Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) ainsi que de quelques esprits lucides de l’étranger, pour permettre à ce patrimoine vivant de la culture algérienne d’accéder à la prestigieuse considération de l’Unesco. L’acte acquiert toute son importance non seulement en raison de la profondeur historique de la pratique de la S’beiba, mais aussi du message de paix qu’il charrie et qui trouve toute sa portée dans le contexte mondial d’aujourd’hui marqué par des guerres ouvertes ou latentes et des conflits d’intérêt que l’on tente de présenter comme des conflits de civilisation. En effet, les rituels de la fête de la S’baiba étaient destinés à sceller la paix retrouvée, instaurée par des sages, entre deux tribus de la région du Tassili des Ajjer après une longue période de voisinage belliqueux au cours de la haute antiquité. Après le classement, au cours de ces dernières années, sur la liste de l’Unesco, du précieux chant Ahellil du Gourara, étudié et vulgarisé par feu Mouloud Mammeri, et du légendaire instrument à cordes, l’Imzad, accompagnant jusqu’à ce jour le chant targui, cette partie du grand Sud algérien voit ainsi un autre élément de son authenticité culturelle, la S’beiba, côtoyer le fond culturel et universel de l’humanité et bénéficier de la considération et de la protection de la plus haute instance culturelle du monde, l’Unesco.  S’agissant de la portée interne de ce classement, il est évident qu’elle doit interpeller tout le monde et toutes les instances afin d’en faire non seulement un signe de fierté nationale, mais surtout un instrument pour aller de l’avant en matière de reconnaissance et de promotion du fonds culturel algérien venant du fond des âges. C’est le ministère algérien des Affaires étrangères qui a rendu un communiqué suite à cette procédure de classement, en soulignant que « l’inscription de la Fête de la S’beiba, une pratique ancestrale de la région de Djanet, sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité constitue une reconnaissance du rôle de ce rituel dans le dialogue et la cohésion sociale en contribuant à la paix et au respect mutuel entre les communautés ». Le ministère ajoute qu’il s’agit là d’un « encouragement au maintien des traditions ancestrales de l’Algérie qui favorise l’amélioration de la visibilité du patrimoine culturel immatériel en général ». L’on aurait souhaité que, en plus du ministère des Affaire étrangères, le ministère de la Culture fasse état de la portée d’une telle opération d’inscription sur la liste du patrimoine de l’Unesco, et surtout qu’il en tire les conséquences en matière de soutien dont devrait bénéficier le segment de la culture nationale inhérent à l’histoire ancienne du pays, et ce quels que soient les lieux et les sites qui l’abritent, au sud, au nord, à l’est, au centre ou à l’ouest du pays. Cependant, il se trouve que le sud algérien regorge de vestiges et de repères identitaires très forts, souvent plus parlants et surtout moins touchés par l’action dévastatrice de l’homme. Ainsi, le prolongement africain de l’Algérie se fait à travers ces territoires maternels, foyers d’une grande civilisation contemporaine des Pharaons et de l’ancienne Mésopotamie; certains faciès sont carrément antérieurs à ces deux grandes civilisations. Ce qui se présente aujourd’hui comme un désert, l’un des plus arides espaces de la planète, n’a pas toujours été sous cette forme. Les travaux d’Henri Lhote, de Mendel, de Nadia Mechri Saâda et de Malika Hachid montrent que c’est là un espace humanisé habité et civilisé bien avant que les sociétés les plus proches de la mer Méditerranée s’organisent en États ou en  empires. Aujourd’hui, la perte matérielle de ce patrimoine constitue le musée à ciel ouvert du Hoggar-Tassili, et la partie immatérielle est enracinée dans la mémoire infaillible des habitants de la région; outre dans la mémoire, elle est aussi inscrite dans les pratiques, les gestuelles, les chants et les croyances de ces communautés. Ce qui est aujourd’hui attendu des pouvoir publics, des scientifiques et des associations, c’est de travailler à rendre de plus en plus visible ce patrimoine multimillénaire de l’Algérie, de lui donner les moyens de sa protection, de sa promotion et de sa diffusion, loin de l’exotisme de bas étage tel qu’il est colporté jusqu’ici par les médias, les manuels scolaires et quelques politiciens en mal d’inspiration.

Amar Nait Messaoud

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