Vivre dans un garage…

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À l’orée de 2015, certains citoyens continuent à vivre dans des conditions d’une autre époque. Une époque qu’on croyait révolue, une époque où les êtres humains côtoient les rongeurs et autres bestioles, où les maladies liées à l’insalubrité prolifèrent à une vitesse alarmante.

Les scènes qui vont suivre n’ont pas lieu au fin fond d’un patelin perdu, encore moins dans un petit village anonyme, elles se passent en plein cœur du chef-lieu de la wilaya de Bouira et plus précisément au niveau du quartier des 56 logements, à quelques encablures des administrions de la République, telles que la conservation des forêts, la direction de la culture et la direction de l’équipement. Là des familles «vivotent» encore et toujours dans l’extrême précarité en ayant en guise de «toit» des garages destinés, initialement, à abriter des véhicules ou à servir de «débarras» pour les choses dont on n’a plus besoin. Ces familles vivent ou plutôt survivent grâce à une certaine volonté divine, ou si on veut être plus terre à terre, grâce à leur courage et leur abnégation à tenir coûte que coûte à la vie, malgré ses aléas.

 

9 m² pour cinq personnes…

Accompagné de notre guide, M. Mustapha Hachali, président de l’association des habitants des garages de la cité des 56 logements, il nous a été donné de constater les conditions quasi-inhumaines dans lesquelles subsistent ces familles, au nombre de quinze. D’emblée, M. Hachali nous lancera : «Nous sommes des parias de la société. On est marginalisé et abandonné à notre triste sort. Nous sommes des locataires d’un genre assez particulier, car nous louons des garages d’à peine 9m² pour des sommes exorbitantes qui vont jusqu’à 12 000 DA pour certains». Au détour d’une ruelle, où des amas d’ordures s’entassent allégrement, des canalisations d’eaux fuient de toutes parts et l’aménagement qui fait cruellement défaut, puisqu’il n’y a ni canaux d’assainissement ni réseau d’eau potable et encore moins d’éclairage public, ces locataires ont creusé une fosse septique de laquelle se dégage des odeurs nauséabondes, notre accompagnateur nous présente à l’un des locataires. Il se prénomme Djamel, la cinquantaine bien entamée, la mine déconfite, les yeux cernés et le visage pale, malgré son teint basané. «Soyez les bienvenues dans ma modeste demeure», nous a-t- accueilli. Et pour être modeste, elle l’est vraiment modeste sa demeure, comme il l’a qualifié. À peine rentré à l’intérieur, une étrange odeur de gaz nous a «pris à la gorge». C’est le chauffage à gaz qui dégage une odeur asphyxiante, accentuée par un manque d’aération. «Il est tout le temps allumé. Sinon, on risque de nous retrouver mort de froid», a-t-il expliqué. À ce moment, une petite fille, qui dégage une innocence saisissante, s’est approchée de nous en nous disant d’un air jovial : «Jitou tmedoulna soukna» (vous êtes venus nous donner un logement ?) Son père, ému aux larmes, ne savait plus quoi dire. «Cette petite est handicapée. Elle est née ici, au beau milieu des rats et des reptiles. À chaque fois elle me dit : papa quand est-ce qu’on aura un logement ? Je baisse la tête et je sors. Je ne sais plus quoi lui répondre», nous-t-il déclaré. Pour ce qui est de la «maison» en elle-même, c’est une baraque, un «gourbis». D’ailleurs, une image des plus insupportable nous agresse d’emblée… salon, cuisine, salle de bain et chambre à coucher, tous se retrouvent dans une seule pièce. «Nous sommes cinq à nous entasser dans cette pièce», dira Djamel, avant de laisser éclater sa colère : «Cela fait près de 13 ans que notre situation va de mal en pis, sans qu’aucun responsable ne lève le petit doigt pour nous. Je suis las de cette misère, j’en ai marre de cette vie, assez de voir mes enfants grandir parmi les rats et les moustiques ! Pourquoi tant de mépris, tant de négligence et de souffrance !» Notre interlocuteur, qui est employé à l’APC de Bouira, dit qu’il loue ce taudis pour la coquette somme de 6000 DA/mois. «Avec ma faible paie de fonctionnaire, ajouté aux différentes charges et la pression du propriétaire des lieux qui me menace à chaque fois d’augmenter le loyer ou bien de prendre mes bagages et de m’en aller, je sais plus comment faire», nous dira-t-il.

 

«On vit comme des animaux en cage»

À quelques pas de là une autre locataire, Mme Malika, une dame d’un certain âge, mère célibataire qui subvient aux besoins de sa famille et qui «accueille» sa fille mariée divorcée sous son garage, n’a pas hésité à nous proposer de nous faire visiter ce qu’elle qualifie de son «tombeau». «C’est une prison. Non, c’est plutôt une tombe. Le soir, à la tombée de la nuit, on peut vraiment ressentir le véritable sens de l’enfer sur terre…», dira-t-elle. Et d’ajouter : «Durant les jours de pluie, on prie le ciel pour que la toiture ne s’effondre pas sur nos têtes. Sans parler des fils électriques qui pendouillent un peu partout. C’est lamentable !» Cette «mère courage» est fonctionnaire dans une administration, et comme tout salarié elle perçoit une paie quelle juge «minable», insuffisante pour pallier aux frais de loyer qui s’élèvent à 10.000 DA/mois en sus des autres frais de la vie quotidienne. Au sein de la pièce centrale, des sceaux sont disposés un peu partout pour recueillir les gouttes d’eau qui s’échappent de la toiture. La charpente est complètement rongée, les fissures ont creusé des sillons dans les murs. Des fils électriques pendouillent de partout et peuvent être à l’origine d’un drame quasi-inévitable. Tout comme le précédent gourbi visité l’espace vital de ces citoyens n’excède pas les 9m². Tout y est entassé vaisselle, linge, lits… etc. Un si petit espace pour une famille comptant quatre personnes. Au fil des minutes, Mme Malika ne pouvait plus retenir sa colère et son désarroi face à cette situation. «Nous sommes considérés comme des parias par les autorités. On vit comme des animaux en cage», s’est-elle écriée. Et d’enchaîner : «Je paie un loyer de 10 000 DA pour un garage de 9m²! Ce qui fait plus de 1000 DA le mètre carré. Mais que voulez-vous… Ça ou dormir sous les ponts !» Pour sa part, M. Hachali révélera que certains locataires souffrent de certaines maladies respiratoires et autres infections dues à l’insalubrité ambiante. «Notre association a recensé plus d’une cinquantaine de cas de MTH», soulignera-t-il. D’ailleurs, la fille de Mme Malika, au cours de notre entretien, s’est vue prise d’un léger malaise du fait de son insuffisance respiratoire attrapée, selon elle, entre les murs de ce garage. «J’ai des crises d’asthme aiguës, la nuit je ne dors quasiment pas», nous expliquera-t-elle. La mère, très touchée par la situation de sa fille, finira par craquer et de lancer un cinglant : «On risque à tout moment de se faire mordre par des serpents qui trouvent refuge dans les méandres de ces taudis (…) Autant que je sache, on n’est pas des sous-hommes ni même des indigènes. Néanmoins, l’Etat nous traite comme si nous étions des parias, avec mépris et dédain (…) Je suis fatiguée de cette vie misérable. Je vous le dis, jusqu’à présent, nous étions patients et nous avons remis notre triste sort entre les mains des élus et des responsables locaux, mais la patience a des limites».

 

Les autorités interpellées

Que font les autorités pour venir en aide à ces personnes ? Y a-t-il des décisions de prises ? Ou bien les laisse-t-on livrés à leur triste sort ? Et bien d’après nos interlocuteurs, rien ou presque n’a été fait. «On a frappé à toutes les portes, mais personne n’a voulu nous recevoir. Ni le chef de daïra, ni le maire et encore moins le wali», nous a-t-on certifié. « Le maire est homme invisible. À chaque fois qu’on se présente à lui, il n’est pas là même les jours de réception. Le chef de daïra, nous a explicitement dit de nous plus aller le voir. À qui doit-on s’adresser alors ? À qui ?» s’interrogera M. Djamel. Mme Malika confira qu’elle a saisi, par écrit avec des accusés de réception, l’ensemble des responsables locaux afin qu’ils se penchent sur son cas, mais en vain. «Tout le monde est au courant de notre situation, mais personne ne fait rien. On nous laisse mourir à petit feu, dans l’indifférence générale» dira-t-elle. M. Mustapha Hachali, en sa qualité de président d’association, lance un cri de SOS aux divers responsables de la wilaya. «Nous ne demandons pas l’impossible aux autorités, nous exigeons simplement que le wali nous reçoive et s’engage à nous inscrire dans les futurs plans de recasement. Cela fait des années qu’on prend notre mal en patience. On est encore prêt à attendre, mais à une seule condition que les autorités locales nous donnent une garantie écrite ou verbale que notre cas soit pris en considération».

Ramdane Bourahla

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