Le 11 décembre 1960 est incontestablement une date repère, un rendez-vous calendaire d’un peuple, le peuple algérien, avec son destin inéluctable : l’indépendance de l’Algérie et sa libération du joug colonialiste. Ce jour-là De Gaulle était à Tlemcen pour sonder les Algériens sur leurs intentions, surtout par rapport à «la paix des braves», il reçut la réponse des braves à ses propositions. Parce que aussi, ce jour-là la France prit acte de la détermination du peuple à conquérir, quoiqu’il puisse lui en coûter, son indépendance. Pris au hasard, des témoignages tout aussi poignants les uns que les autres, à l’image de celui d’un acteur de ce «Dien Bien Phu psychologique» selon la qualification d’alors d’un officier français: «Venant de la Casbah voisine, les youyous avaient retenti toute la nuit par les fenêtres du dortoir en écho aux manifestations et affrontements qui atteignaient leur paroxysme à Belcourt et au Clos-Salembier. Le lendemain, à la première occasion, je me suis esquivé du lycée Bugeaud (Emir Abdelkader) où j’étais interne pour rejoindre Belcourt. Une fois le square Bresson (Port-Saïd) passé il fallait traverser une enfilade de quartiers européens en état d’alerte où des snippers ultras guettaient aux fenêtres et n’hésitaient pas lorsque la cible leur plaisait. Je n’ai pas une bonne mémoire. Mes souvenirs, comme toujours, se résument à quelques impressions : le goût mêlé du pain chaud et de l’orange que l’on nous distribuait dans une petite cave-mosquée de l’Aqiba, au coin de la rue Marey (Larbi Tebessi), après les assauts. Un groupe de jeunes filles descendant de l’Aqiba, belles au milieu de la foule, criaient les slogans patriotiques face aux gardes mobiles, un peu honteux, qui bloquaient l’accès à la rue de Lyon (Mohamed Belouizdad). Ces gendarmes brutaux, mais relativement débonnaires avaient remplacé les impitoyables et meurtriers paras, retirés après les premiers morts et le début des protestations internationales. Je me souviens aussi de la «tâche» d’interprète que les organisateurs m’avaient confié auprès d’un journaliste Anglo-saxon, à la clinique de Belcourt, où les morts et les blessés étaient acheminés». «Le 11 décembre 1960, ce jour-là nous déjeunons dans la petite cuisine familiale. Alloula, mon frère, présent ce jour-là nous demanda d’écouter les informations à la radio car, selon lui, il y a une nervosité chez les gens ces jours-ci». Justement, la speakerine est sur le point de terminer son commentaire, en langue française : «Des manifestations se déroulent dans le quartier de Belcourt, depuis ce matin… Les forces de sécurité ont encerclé le quartier». Et de poursuivre : «Nous écoutions dans un silence fiévreux. Elle termine par une phrase qui pousse mon frère à réagir : Du moment que la casbah est calme, on peut considérer que l’ordre va aisément être rétabli. Entendant ces mots «la casbah est calme», il s’emporte comme s’il venait d’être défié personnellement. Et alors, criait-il, la Casbah… la Casbah… Est-ce que nous ne sommes pas des hommes, nous ? Nous nous tournons vers lui : il a raison. Il ajoute, donnant des ordres aux femmes, à notre mère, à nos sœurs : Le grand drapeau que vous avez cousu, repassé rangé et caché dans un tiroir, allez le chercher… C’est son jour !» Continuant dans le même ordre d’idée, le narrateur du roman «Disparition de la langue française» de Assia Djebbar se remémore un fragment d’une mémoire éclatée, la journée du 11 décembre 1960, telle qu’elle nous fut racontée par nos aînés. Le 11 décembre 60 est un symbole du peuple algérien, un peuple révolutionnaire comme le souligne une des figures emblématiques de la guerre de libération : «un seul héros, le peuple», a dit Abane Ramdane. Lors d’une journée commémorative, Rédha Malek a déclaré que «Le passé révolutionnaire de l’Algérie est indissociable de la personnalité des Algériens». Le 11 Décembre 1960, les Algériens organisèrent une manifestation pacifique pour réaffirmer le principe de l’autodétermination du peuple algérien contre la politique du Général De Gaulle, visant à maintenir l’Algérie comme étant une partie de la France dans le cadre de l’idée de l’Algérie algérienne et contre la position des colons Français qui cultivaient le rêve de l’Algérie française. Le Front de Libération National (FLN) fit en sorte de s’opposer, à la fois, à la politique de De Gaulle et des colons, vu que ce dernier comptait sur les Français algériens pour soutenir sa politique et organiser des manifestations pour l’accueillir à Ain Témouchent le 9 décembre 1960, et également aux colons qui réagirent à cela par des manifestations pour imposer aux Algériens leur réaction à la politique de De Gaulle qui considérait que l’Algérie appartenait à tous dans le cadre de la France. Le FLN ne fut pas neutre, mais entra dans le conflit avec une force populaire imposante, brandissant le slogan de «Algérie musulmane indépendante» contre celui de De Gaulle «Algérie algérienne» ainsi que celui des colons «Algérie française». Aux manifestations de soutien à la politique de De Gaulle du 9 Décembre, puis celles des colons le 10 du même mois, succédèrent les manifestations populaires sous la direction du FLN le 11 Décembre pour exprimer l’unité du pays et le rassemblement du peuple autour de la révolution, pour revendiquer l’indépendance totale. Des rassemblements populaires des différentes catégories eurent lieu dans les places publiques à travers toutes les villes algériennes (…). Les slogans étaient unifiés autour de la levée du drapeau national. Avec l’intervention des troupes coloniales au plus profond des quartiers arabes, de nombreuses victimes algériennes tombèrent sans que cela n’empêche les manifestants de sortir dans les rues le jour suivant, réclamant l’indépendance. À cette occasion, Farhat Abbès prononça le 16/12/1960 un discours sous forme d’appel dans lequel il loua le courage du peuple et dénonça publiquement la sauvagerie et la tyrannie du colonialisme. Les manifestations populaires avaient mis à nu aux yeux du monde la réalité criminelle et l’horreur du colonialisme français et exprimé l’unité du peuple algérien, sa mobilisation derrière le FLN ainsi que son attachement à ses principes. Au niveau international, les manifestations populaires avaient démontré un soutien sans réserve au FLN. Ainsi, l’ONU fut convaincue de la nécessité d’inscrire à l’ordre du jour de ses travaux le dossier de la question algérienne. Elles eurent également pour conséquence l’élargissement du cercle de soutien au peuple algérien à travers le monde, notamment dans le monde arabe et même en France où les populations avaient organisé des manifestations qui eurent une influence indéniable sur les peuples à travers le monde, d’après les données extraites du CD Histoire d’Algérie, édité par le ministère des Moudjahidine (extrait d’une rédaction de français d’un élève de 3e AS du lycée Boucetta Mustapha de Tkout, rédigée le 22 décembre 2013).
Sadek A.H.