La liste des « apostats » ne serait apparemment pas appelée à se fermer avec le nom de Kamal Daoud, chroniqueur et écrivain algérien, qu’un autre Algérien, Abdelfattah Hamadache pour ne pas le nommer, envoie, en 2014, au bûcher. Les Torquemada sont de retour. La liste, nous le craignons, reste ouverte. On vient de l’enrichir avec le nom de Noreddine Boukrouh, un homme politique algérien connu, qui vient de « commettre » des contributions dans un quotidien algérien francophone qui ne plaisent pas à un autre Algérien du nom de Abdelhamid Abdous. Ce dernier, s’exprimant dans l’édition du vendredi dernier du quotidien El Khabar, traite Boukrouh de tous les noms d’oiseau, le qualifiant d’hérétique, et ce, pour avoir proposé une autre vision de l’Islam, un autre regard sur les autres communautés non musulmanes et une relecture du Coran. Toutes proportions gardées en matière de niveau de recherche, c’est en quelque sorte ce que nous propose également feu Mohamed Arkoun, un intellectuel islamologue presque persona non grata dans son pays. Le bal fut ouvert par l’inénarrable Athmane Saâdi, président de l’Association algérienne de défense de la langue arabe, le 12 décembre dernier dans une contribution donnée à El Khabar dans laquelle il s’en prend véhémentement à Kamal Daoud, « ennemi de la langue arabe et de l’islam », sous le titre: « Kamal Daoud,…un Algérien qui a destiné sa plume pour faire la guerre à l’Islam et à la langue arabe ». On n’a sans doute pas besoin de faire défiler les hauts faits d’armes de cet arabiste qui nourrit une haine viscérale à tout ce qui est algérien authentique, amazigh ou arabe algérien. Il n’a d’yeux que pour l’Orient où il était étudiant, nourri et logé par le FLN, alors que les jeunes de son âge étaient au maquis. Bien avant qu’il s’attaque à Boukrouh, le sieur Saâdi s’était illustré par des attaques haineuses, perfides et racistes contre Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, la Kahina (demandant à détruire sa statue à Baghaï, wilaya de Khenchela). Il avait déclaré cette statue kofr, car, écrivait-il, « la Kahina est morte en combattant l’Islam et les Musulmans. Elle a combattu l’entrée de l’Islam dans les Aurès ».
L’inquisition religieuse et arabiste semble reprendre du poil de la bête au moment où le pays vit des moments de grandes interrogations relatives à son avenir immédiat grevé par la dépendance pétrolière qui vient de jouer un mauvais tour aux Algériens. Ce sont les rentiers du système, ceux qui, depuis plus de trente ans, on poussé le pays vers ces choix économiques faits de facilité et de paresse, qui, tentent de couper tout le pays de ses racines, de lui infliger une aliénation culturelle et religieuse et de créer un peuple d’assistés dans tous les domaines. Le parti unique des années 80 avait déjà désigné- par l’ostracisme, l’invective et la marginalisation- les futures cibles des islamistes qui avaient à leur disposition la gâchette à partir de 1992. Et ce fut le cycle infernal des assassinats à le pelle, fauchant la vie à Djaout, Yefsah, Sanhadri, Belkhenchir, Liabès, Alloula et des centaines d’autres hommes de culture et des intellectuels. Dans aucun pays musulman, y compris dans l’Iran de Khomeyni et dans les territoires sous occupation Daech d’aujourd’hui, l’islamisme n’a pu décapiter autant de matière grise et d’espoirs de jeunesse. L’Algérie ressentira encore pendant plusieurs années cette dérive historique qui n’est pas tout à fait étrangère à nos remous et interrogations d’aujourd’hui. L’Algérie a d’autres priorités dans un monde qui avance à la vitesse de la lumière, que de chercher le « sexe des anges » par le biais des fetwas d’importations ou inspirées de l’étranger. L’Algérie qui a échappé difficilement au Printemps arabe n’est pas bien « appréciée » par les porteurs de projets moyenâgeux. À travers la nouvelle conjoncture économique de la baisse des recettes extérieures, ces énergumènes sont tentés de mettre à genoux le pays et ses élites culturelles, artistiques et scientifiques. C’est pourquoi, la mobilisation de tous les patriotes et des franges éclairées de la société est aujourd’hui sollicitée et requise. C’est le combat de la lumière contre l’obscurité de la tolérance contre l’inquisition et de la vie contre la mort.
Amar Naït Messaoud