Durant la soirée du mercredi 31 décembre 2014, les uns accueillaient le nouvel an, chez eux, avec une table agrémentée d’un couscous de circonstance, les autres, dans des établissements fêtards, attendaient que les aiguilles effleurent le « double zéro heure » pour marquer, bruyamment, la transition vers 2015.
Pendant tout ce temps, la morale salafiste, relayée par une presse et des plateaux de télévision moralisateurs, rappelait les uns et les autres à son ordre du temple eunuque. Au final, c’est l’instinct de la vie qui l’emporte sur celui des abysses. Jeudi 1er janvier 2015, la journée est chômée payée. Bouira en profite pour prolonger le plus possible la grasse matinée. 10 heures, la brume commençait à se dissiper laissant place à un soleil timide qui, tout de même, arrivera à bout d’un verglas tenace. Talettat et Tamgout flirtent avec des cumulus imposant une beauté féerique à tout regard se posant sur le Djurdjura. Plus qu’imposer la beauté les monts du Djurdjura suscite l’envie d’aller y admirer, de plus près, le pin d’Alep emmitouflé dans la poudreuse. 10h30 mn, nous ne pouvons résister à la tentation. Le moteur toussote, le temps de chauffer et de dégager le verglas des vitres. Direction Tikjda. La voie dédoublée reliant Bouira à Haïzer n’est que relativement fluide. Des véhicules immatriculés dans quasiment toutes les wilayas du pays se disputent la chaussée. Le site va être saturé on le «craint». Haïzer est derrière. Nous traversons Tighremiwin, Slim et autres hameaux de la région. Les bordures de la chaussée sont enneigées. Le chasse-neige est passé par là. Le véhicule grimpe et perd de sa puissance à mesure que la pente gagne en nombre de degrés. Qu’à cela ne tienne ! Nous ne sommes pas pressés, d’autant plus que l’ascension escargot nous permet d’admirer un paysage que nous n’avions jamais eu le temps de regarder. Onze heures passées, le palier, qui s’étire sur près de 500 mètres et qui rompt au niveau du rond-point de M’Chedallah, est tout particulièrement bondé de monde. Des familles quittent les véhicules pour s’échanger des boulettes de poudreuses, pendant que d’autres immortalisent le moment en cliquant sur des numériques. La vue est imprenable depuis la bordure droite de la chaussée. Les Aït Yala sont à portée de vue. C’est alors que nous nous rendons compte que le barrage de Tilesdit est extraordinairement imposant. Comme quoi, il faut prendre du recul pour mieux «voir». L’on comprend dès lors pourquoi ce barrage a été retenu pour « accueillir » le festival du sport aquatique, un festival qui tournera court dans sa première édition. Jusque-là ce barrage, comme ceux d’Ain Bessem et de Lakhdaria, ne fait que « pomper l’eau », alors qu’une opportunité touristique y est criarde. Seulement, il faudrait que les autorités y prêtent une attention intelligente. Après près d’une quinzaine de minutes de «zyeutage» et autres selfies ratés, nous reprenons la route. La pente s’impose de mieux en mieux, notre véhicule s’y agrippe tant bien que mal. Plus nous montons, plus la neige grignote du goudron. Les coups de freins brusques et autres coups de volant sont déconseillés. L’allure escargot est la mieux indiquée.
Les chemins qui montent
De toute façon, nous n’avons pas trop le choix : plus nous avançons, plus la distance entre les véhicules s’amoindrit. On n’est pas loin du campement de la garde communale. Mais au rythme où nous avançons et à celui avec lequel la poudreuse envahit le bitume, il semble vain d’aller plus loin, encore moins arriver à destination : la station climatique. Ayant tiré la même conclusion, beaucoup de familles préfèrent s’engouffrer dans n’importe quel espace pouvant accueillir leurs véhicules. Cela n’est pas valable pour les véhicules imposants. Mais pas le nôtre. Son gabarit lui permet d’occuper les petits «entre-espaces». Et justement nous en trouvons un. Nous l’occupons et quittons le véhicule. Blancheur immaculée partout. Finalement, on n’y est pas moins bien lotis. Nous nous sommes dit que c’est finalement tant mieux de n’avoir pas atteint en véhicule la station. Nous le ferons à pieds. Nous avons tout de suite ravalé notre idée. Continuer à pieds était impossible. Nous n’étions pas équipés pour ce faire. D’ailleurs, quelques dizaines de pas sur la poudreuse que voilà nos pieds gelés et mouillés. Midi passé le soleil est bien au zénith. Aucun nuage pour le voiler. N’empêche qu’on y gèle à «la goulag». Autre chose que nous n’avions pas prévue : de quoi se remplir la panse. En fait, nous avions prévu de bivouaquer au niveau de la station, là où des gargotes improvisées cèdent des sandwichs plus ou moins mangeables à deux fois leurs prix. Quant au resto de l’hôtel, il ne faut même pas y songer. Non seulement parce que les prix affichés sont inaccessibles mais aussi parce que, en cette période de grande affluence, il n’est pas évident d’y trouver quoi se mettre sous la dent. D’ailleurs, cette problématique «gastronomique» pose problème. Il n’y pas que l’hébergement comme problématique qui se pose aux bourses moyennes. Pourquoi le CNSLT (le complexe national des sports et des loisirs de Tikjda) ne songe pas, comme le ferait n’importe quelle institution économique, à fructifier ses offres de services en direction du plus large public, notamment les bourses les moins gâtées. Tout le monde y trouverait son compte y compris le trésor public. Cela ne serait-il pas envisageable parce que la station est gérée par le ministère des sports, un ministère de fonctionnaires non formés à l’exercice économique ? Dans ce cas, que l’on ouvre le site à l’investisseur privé et spécialisé. N’est-il pas dans la projection de l’Etat de «ne plus servir du café au touriste» ?
Affluence record
13 heures, l’affluence à Tikjda est sans doute record. On éprouve même des difficultés à se mouvoir. Les gosses sont tout particulièrement aux anges. Ils se mettent sur des luges fabriquées maison pour s’écraser, tout souriant, contre de petits monticules blancs. Leurs parents les filment. D’autres familles, prévoyantes celles-là dénichent un petit espace sec et y déposent leur déjeuner qu’elles partagent dans la convivialité. Les amateurs de la montagne n’ont pas oublié leurs skis. Leurs équipements à la main, ils partent à la recherche d’un espace et d’une poudreuse favorable à la glissade. Plus haut, des jeunes inspirés louent des luges et des skis à qui, parmi les novices, serait tenté de s’essayer à la glissade. La luge est louée à 600 dinars le tour, un tout petit tour. 14 heures passées. Encore plus de monde. C’est franchement le bonheur partout. La vie dans toute sa splendeur. Et dire que la gestion médiatique du kidnapping puis de l’assassinat de Gourdel a impliqué le site dans un cafouillage médiatique imprécis. Ce jeudi-là ni Daech ni HamaDaech n’ont droit d’être cités. Le soleil et le blanc immaculé sont plus forts que les abimes. Reste à la République de rentabiliser tout cela. 14heures 30mn. Nous reprenons notre teufteuf. Le retour fait moins toussoter notre véhicule. Il n’en demeure pas moins que descendre sur un bitume enneigé n’est pas de tout repos. Une demi-heure plus loin, nous atteignons Haïzer et… le train-train du quotidien qui va avec.
S. O. A.