Les nouveaux défis des luttes syndicales

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Le 12e congrès de l’Union générale des travailleurs algériens, qui s’est achevé hier, s’est tenu dans un contexte de multiples interrogations du monde du travail et de la société en général, du fait du recul drastique des recettes extérieures du pays depuis environ quatre mois. Aucune partie ne peut s’avancer sur les cours du baril pour les prochains mois, même si certains milieux prévoient un probable regain des prix du pétrole sur les marchés mondiaux. Le fait est que, pour l’Algérie, des questions qui ne cessaient d’être posées depuis plusieurs années sur la dépendance de son économie par rapport à la rente pétrolière, viennent d’être portées à leur sommet et d’être justifiées par la nouvelle réalité. L’UGTA, qui a toujours porté le discours de la production nationale, qui a exprimé des réserves sur l’Accord d’association avec l’Union Européenne et qui juge que l’adhésion à l’Organisation mondiale du Commerce n’est pas une priorité évolue actuellement sur un terrain où le pluralisme syndical, consacré par la loi, est devenu une réalité. Cependant, la maturité des luttes, souvent retardée par une transition économique quelque brouillée et par un usage de la rente peu soucieux de la rationalité économique, n’a pas encore atteint le niveau d’une compétition syndicale pluraliste et loyale qui n’ait d’objectif que la défense des droits des travailleurs. Dans une économie ouverte aux quatre vents, rongée par l’informel et l’importation à tout-va, les intérêts des lobbyistes son énormes. On l’a constaté dans une séquence dangereuse, celle de la première semaine de janvier 2011- cela fait exactement quatre ans, jour pour jour, lorsque des jeunes étaient sortis dans la rue pour dresser des barricades et porter atteinte à l’ordre public dans le contexte de la fièvre de ce qui était appelé le Printemps arabe. Ces journées de protestations, dites de « l’huile du sucre », étaient loin de se puiser leur source et leur élan dans des revendications populaires bien légitimes. Ce fut une manipulation à grande échelle que reconnaîtra à la télévision le Premier ministre d’alors, Ahmed Ouyahia. Ce dernier dira que le pays est devenu otage des lobbys de l’importation et de l’informel. Ce sont eux qui ont renvoyé sine die l’obligation de payement par chèque à partir de 500 000 dinars, prévu pour mars 2011. Le gouvernement vient de réactiver le projet à partir du montant d’un million de dinars pour les transactions immobilières et les gros équipements. Dans pareille situation où la structuration de l’économie nationale n’est pas encore complètement achevée, le rôle des syndicats est plus que problématique. Il est soumis à toutes les pressions et autres aléas. Cependant, depuis le milieu des années 2000, l’UGTA a pris sur elle de défendre le secteur public économique, s’opposant même aux opérations de privatisations des entités publiques. Il s’avérera par la suite qu’un grand nombre de ces entreprises publiques, cédées aux opérateurs privés, n’ont pas respecté les cahiers de charges signés par eux et par l’administration. Des travailleurs ont été licenciés contre l’esprit et la lettre du cahier de charges; des unités ont été détournées de leur vocation. Pire, certaines privatisations n’ont servi qu’à s’accaparer de l’assiette foncière. On ne perce là aucun secret, puisqu’un rapport, pour le président de la République, a été élaboré à l’époque dans ce sens par le Premier ministre lui-même, Ahmed Ouyahia. L’UGTA a fait un « passage à vide » au milieu des années 1990, lorsque le pays était soumis au régime du plan d’ajustement structurel (PAS) dicté à l’Algérie par le FMI. Elle a eu beaucoup de mal à intervenir face à la fermeture des entreprises publiques et au licenciement de milliers de travailleurs. Elle n’a pas pu, non plus, s’opposer à la libéralisation des prix des produits de première nécessité ayant intervenu à la même période, toujours sous les injonctions du PAS. Pour deux raisons : D’abord, c’était là presque une « fatalité » vers laquelle ont mené les choix économiques des années 70 et 80 du siècle dernier, ayant instauré la fameuse dépendance pétrolière. La crise du prix du pétrole de 1986 à laquelle étaient greffées de féroces luttes de sérail sous le parti unique, amena l’explosion d’octobre 1988 et jeta le pays dans les bras de ses créanciers. Ensuite, le contexte sécuritaire de l’époque, caractérisé par une subversion terroriste à grande échelle, que certains n’hésitent pas aujourd’hui à appeler guerre civile, ne pouvait pas permettre le « luxe » de luttes syndicales au sens strict du terme. Le souci de survie du pays et de la nation a fait jouer à l’UGTA un rôle politique qui la plaça du côté des patriotes qui luttaient les armes à la main. Sans doute, aujourd’hui, des individus s’autorisent de faire le grief à la Centrale syndicale de faire de la politique au lieu de se limiter à sa tâche syndicale. Ce serait une position dictée par un certain confort intellectuel qui exclut toutes les grandes interrogations et les impératives réflexions sur une période noire, sans doute la plus noire, de l’Algérie contemporaine. Sur le terrain, l’UGTA est, aujourd’hui, attendue pour accompagner les évolutions de l’économie algérienne qui devront s’amorcer dans les prochains mois. Les travailleurs algériens comprennent peut-être la fragilité de l’économie nationale. Ils savent que la vie du pays est liée à la courbe qui dessine le prix du pétrole. En revanche, il leur sera difficile d’accepter des sacrifices inégaux ou inéquitables. Pour rebondir sur une bonne base, chercher d’autres alternatives de diversification économique qui ne subissent pas les aléas d’un marché mondial capricieux et géré par des lobbys, l’économie algérienne a besoin d’accompagnement social qui ne fasse pas de discrimination dans le partage des charges et des bénéfices. Et c’est à ce titre, que le rôle de l’UGTA et, avec elle, l’ensemble des autres syndicats, est fortement sollicité par les travailleurs et l’ensemble forces sociales du pays.

Amar Naït Messaoud

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