Force doit rester à la clairvoyance et à la pondération

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Le corps du ressortissant français Hervé Gourdel vient d’être retrouvé par les services de sécurité dans la région de Aïn El Hammam. Cela fait presque quatre mois qu’il a été assassiné après qu’il eut été enlevé près de Tikdjda. Au sud du pays, l’armée vient d’éliminer 12 terroristes qui s’apprêtaient à semer la mort plus de vingt ans après le début de la subversion terroriste en Algérie. C’est aussi hier, 16 janvier, que notre pays a commémoré le deuxième anniversaire de l’attaque sanglante, avec prise d’otage, du site gazier de Tiguentourine, qui s’était soldée par plusieurs morts. Même si la décennie noire est derrière nous, l’Algérie continue de temps en temps à ressentir, à échelle réduite et à des occasions irrégulières très espacées dans le temps, les derniers soubresauts de la bête immonde condamnée par l’histoire du pays et par la détermination des Algériens à vivre en paix. Cette actualité des actes terroristes, ou de la commémoration de certains d’entre eux, coïncide avec l’exacerbation du caractère transnational du terrorisme qui vient d’affecter douloureusement la France. Déjà au moment où la Tunisie se cherchait politiquement après la chute de Benali, entre 2012 et 2014, un foyer dangereux s’était formé autour du mont Chaâmbi frontalier de l’Algérie, se greffant ainsi aux tentatives d’incursion de groupes armés libyens nés après la chute de Maâmar Guadafi. Certains médias eurent alors à rappeler les souffrances du peuple algérien pendant la décennie 1990, ainsi que la moquerie et l’outrecuidance de certains dirigeants étrangers qui croyaient que leurs pays étaient à l’abri du terrorisme. L’attaque des Tours jumelles de New York le 11 septembre 2001montra le seuil de force de destruction et de sauvagerie que pouvait atteindre l’extrémisme religieux armé. La France ne pouvait pas se soustraire à la logique de guerre à laquelle sont soumis les groupes terroristes, d’autant plus que ce pays a participé à la lutte antiterroriste un peu partout au Proche-Orient et en Afrique sahélienne. Les « représailles » décidées contre la France ont assurément été précipitées et trouvé une immédiate « justification » dans les dessins satiriques de Charlie Hebdo. Ce dernier, organe satirique impertinent, continuant une tradition journalistique consacrée en tant que métier en France depuis au moins Honoré Daumier au 19e siècle, a suscité moult réactions par ses dessins jugés blasphématoires à l’endroit du prophète de l’Islam. Mais, indubitablement, les réactions épidermiques et chargées d’émotion de la communauté musulmane ont donné longue vie au sujet de prédilection de « Charlistes »; autrement dit, une attitude plus sereine et plus distancée aurait pu faire tomber dans l’oubli ce qui est vu comme une provocation. Mais, cette sérénité et cette distance, réclamée par les organisations qui représentent les Musulmans en France, est-elle possible dans un climat électrique qui ne se limite pas aux seuls dessins de l’hebdomadaire? Au sein même des proches et amis des journalistes assassinés, il commence à s’élever des voix discordantes, comme celle de leur ancien compagnon, cofondateur du journal, Henri Roussel, connu sous le pseudonyme de Delfeil de Ton, qui vient d’accuser le rédacteur en chef Charb, de son vrai nom Stéphane Charbonnier, d’avoir « entraîné ses amis dans la surenchère »; « je t’en veux vraiment Charb », ajoute-il. Cette polémique « intra-muros » ne signifie nullement que le crime est justifié. Cette liberté de ton, que les journalistes ont payée de leur vie, vient d’être saisie par des franges de la population algérienne pour la stigmatiser au nom du respect que l’on doit aux valeurs de la religion. En effet, depuis quelques jours, des affiches ont été collées sur les murs de plusieurs villes d’Algérie appelant à « défendre le Prophète » par des marches et des regroupements. Un journal arabophone appuie encore plus sur le champignon en alimentant une haine gratuite, appelant également à boycotter les produits français.

Double condamnation

Surfant sur la fibre sensible des Algériens, l’on n’hésite pas à créer un climat de stupide tension au moment où la sérénité devrait prévaloir. Pour la journée d’hier, vendredi, des appels à des marches après la prière ont été faits à travers des affiches et par le moyen de certains quotidiens arabophones. Pour répondre à ces appels, le ministère des Affaires religieuses a plutôt suggéré aux imams de consacrer leurs prêches aux valeurs spirituelles portées par le Prophète Mohammed. Le communiqué du ministère précise que le prêche « doit rappeler un ensemble de valeurs et de principes et préciser que rien ne saurait justifier une atteinte à notre créateur, ni à la meilleure de Ses créatures, Mohammad (QSSSL) », tout en tenant à rappeler que « les actes terroristes ayant ciblé certains sites en Occident n’ont pour origine aucun fondement, ni dans la charia’a ni au niveau d’aucune institution musulmane ». En d’autres termes, le ministère condamne à la fois les caricatures et l’acte terroriste qui a visé les journalistes, en signalant la nécessité pour les imams de « ne pas attiser les sensibilités et d’appeler à la retenue et à la sagesse, car, une telle provocation tendancieuse vise à susciter des réactions irraisonnées qui viendraient s’ajouter aux actes terroristes perpétrés récemment et imputés injustement à l’Islam ». Il est vrai que les premières victimes des retombées de l’acte contre Charlie Hebdo sont les Musulmans de France et, sans doute aussi des autres pays européens. Le président François Hollande vient de l’exprimer clairement jeudi dernier au cours d’une visite qu’il a effectuée à l’Institut du Monde arabe (IMA) situé à Paris. L’Algérie se sent concernée à plusieurs titres par ce qui se passe dans l’Hexagone. Les deux présumés terroristes qui s’en sont pris au journal, même s’ils sont citoyens français, on ne cesse de rappeler leurs origines algériennes. La plus forte communauté musulmane de France, entre immigrés et binationaux, est algérienne. Les liens humains, culturels et économiques avec la France sont historiques, multiples et denses, créant une proximité que rien ne peut effacer. Enfin, l’Algérie, sans doute plus que tous les autres pays musulmans et presque dans une espèce d’isolement international, a connu un terrorisme barbare qui lui donne aujourd’hui la capacité de lutter sur le terrain, de conseiller certains autres pays pour prévenir ce phénomène et, enfin, de développer une « empathie » par rapport à ce qu’endurent aujourd’hui les pays affectés par le terrorisme.

Amar Naït Messaoud

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