«Revoir mon fils et mourir»

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Tout le village connaît le vieux Keroui Amar. Du temps de sa jeunesse, il était réputé pour son savoir-faire à casser les pierres et à les sculpter. On disait de lui qu’il était la terreur des rochers ! Musclé  et doté d’un corps athlétique, aucun roc ne pouvait lui résister. On le sollicitait pour creuser des puits, pour les terrassements de terrain pour des constructions qui à l’époque se faisaient à la force des bras et avec l’aide d’un matériel rudimentaire comme les pioches, les pelles et les massues. Mais avec l’âge, l’homme se replie de plus en plus sur lui, donnant de lui l’image d’une personne qui a coupé définitivement les amarres avec la vie. Dans ses yeux, presque éteints, la tristesse et la douleur se disputent le regard. Sans même parler, chose qu’il ne fait pas d’ailleurs, on devine que quelque chose le ronge profondément. Un fardeau lui pèse sur la poitrine.  Son visage ridé dicte le désarroi de l’homme face à la mort qui approche et un passé qui le fuit irrémédiablement. A quoi donc peut s’accrocher un individu pour continuer à avancer malgré tout si ce n’est à une faible lueur d’espoir que la vie peut, encore,  réserver des surprises et narguer ses aléas qui souvent nous terrassent ? Pour Keroui Amar c’est le cas en effet. S’il continue à trimballer vaille que vaille son corps vieillissant dans le cours de l’existence et ce à longueur des journées insipides et sans goût c’est qu’un petit espoir subsiste encore dans son cœur : revoir son fils Lounis qui a disparu depuis 19 ans sans donner aucun signe de vie à ce jour. La souffrance silencieuse de Da Amar est à la mesure de cet espoir fou de revoir au moins une fois cet enfant avant de fermer définitivement les yeux. La fugue de Lounis Keroui est survenue par une journée fatidique de mésentente avec son père. Depuis il n’a jamais remis les pieds au village, ni écrit ni téléphoné  à ses parents. Est-il mort ?  Son père voudrait bien le savoir pour au moins faire son deuil et pouvoir ainsi, à son tour, quitter ce monde tranquillement. Est-il vivant ? Alors le revoir une seule fois avant de tirer sa révérence. En nous approchant pour nous parler de sa douleur et de  sa détresse, Da Amar voudrait surtout passer un message à toutes les âmes charitables qui ont peut-être croisé son fils de bien vouloir l’informer et surtout s’ils elles sont en contact avec lui de le prier de revenir au bercail et se réconcilier avec son père avant qu’il ne soit trop tard.

 A. S Amazigh

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