Par Amar Naït Messaoud
Dans ces foyers les plus ancrés traditionnellement, l’artisanat vit ses moments les plus difficiles, pour ne pas dire qu’il agonise. Le combat du « pot de terre contre le pot de fer », dont nous parlions il y quelques années dans ces mêmes colonnes, à propos du recul de l’économie liée à l’artisanat, écrasée par une fausse modernité alimentée par la seule « vertu » de l’importation, est toujours là; pire, la balance de ce combat penche toujours en faveur de la substitution du produit national authentique par des produits industriels d’importation sans âme. Ni la culture, ni l’économie domestique, les valeurs ancestrales que comportent les produits d’artisanat, ne trouvent leur compte dans cette forme de perversion permise par la facilité de la rente pétrolière. Les quelques hérauts du message ancestral, qui continuent encore à guerroyer contre l’oubli et la perte des valeurs culturelles dans des villages de montagne ou dans certains ateliers installés en ville, méritent tout le respect et toute l’attention de leurs concitoyens et des pouvoirs publics. Ils continuent, en s’investissant dans l’activité artisanale et les produits du terroir, ce combat du pot de terre contre le pot de fer dans des conditions difficiles et avec une fortune adverse. Les comptes-rendus des journalistes qui couvrent les foires et expositions qui eurent lieu généralement en été (bijoux, tapis, poterie, figues, cerises,…) sont largement éloquents dans leur volet relatif aux difficultés que rencontrent ces acteurs esseulés, du moins rarement accompagnés par les structures de l’Etat en charge de ces activités. À examiner de près la nomenclature des activités de l’artisanat traditionnel et des métiers, telle qu’elle déclinée dans le décret exécutif n° 97-140 du 30 avril 1997, on est pris de vertige à la longueur de la liste des métiers que les pouvoirs publics sont censés aider et accompagner pour réhabiliter cette forme d’économie, qui est censée être le complément indispensable de l’économie industrielle. Le décret en question classe les métiers d’artisanat en trois catégories: l’artisanat traditionnel et d’art, l’artisanat de production de biens et l’artisanat de production de services. La nomenclature s’étale sur 62 pages et donne un aperçu sur l’étendue de la gamme qui peut être concernée par ces activités. Cette gamme est expliquée dans l’ « exposé des motif » par « l’évolution économique et technologique qui a touché certaines branches d’activités générant l’apparition, et donc la création de nouveaux métiers » et par « l’extension et le développement de certains métiers », générant de nouvelles activités non répertoriées. Il se trouve que, malgré cet effort d’adaptation de la législation nationale à l’évolution des métiers de l’artisanat, de grandes interrogations persistent quant à l’avenir de ces métiers, d’autant plus que la valorisation attendue pour un certain nombre de produits du terroir n’est pas encore au rendez-vous, du moins tel que souhaité et attendu par les opérateurs sur le terrain. Le département ministériel en charge de l’Artisanat a organisé des assises nationales en novembre 2009 et des séminaires régionaux en avril 2011, débouchant sur la conférence nationale sur l’artisanat en juin de la même année. Ce sont là des rendez-vous institutionnels, ayant aussi impliqué les opérateurs activant sur le terrain, supposés déboucher sur des recommandations pratiques, insérant intelligemment le secteur de l’artisanat dans la grande architecture de l’économie nationale, en vue de créer de la valeur ajoutée et des emplois. « Le programme adopté pour le développement du secteur de l’artisanat et des métiers vise à réunir les conditions nécessaires au développement du secteur et la consolidation de la compétitivité de l’économie nationale dans son ensemble, notamment à travers l’appui aux artisans pour améliorer la production et encourager le savoir-faire et les compétences », est-il signalé dans le Plan d’action du secteur de l’artisanat. Cela n’a apparemment pas suffi dans une conjoncture caractérisée par un faste rentier qui a écrasé les énergies les plus déterminantes. Ni les bijoutiers des Ath Yenni, ni les potiers de Maâtka, ni les cultivateurs des cerisiers de Larbâa Nath Iratène, ni les producteurs de figues des Ath Maâouche, ni les jeunes ayant apporté des idées encore plus innovantes pour investir dans des créneaux en friche, n’ont pu trouver leur compte dans l’environnement institutionnel qui, en principe, leur est dédié.
Expression de l’âme et de la culture algériennes
Cherté de la matière première pour les uns, réticences des banques à accorder des crédits pour d’autres, bureaucratie dans les modes de soutien à certaines activités, difficulté à se placer sur le marché particulièrement lorsque les coûts de production sont élevés, font partie des limites imposées à l’artisanat et aux produits du terroir dans notre pays. Les produits du terroir et leur valorisation est l’axe fondamental, par exemple, de l’unité Issoula de fabrication d’huiles essentielles, de savon artisanal (à partir de grignons d’olives), de cosmétiques, d’huile d’amande d’abricotier,… située à Bechloul, dans la wilaya de Bouira. Pour développer son potentiel, elle sollicite un terrain forestier afin d’y planter des oliviers et des…arganiers. Le ministre de l’Agriculture, en visite la semaine passée dans la wilaya, a rendu visite à cette unité. La gérante a sollicité auprès du ministre ce terrain qu’elle n’arrive pas à acquérir autrement. On ne sait pas la suite qui sera réservée à sa demande. Outre les crédits bancaires, les assiettes foncières et les incitations fiscales, les pouvoirs publics sont attendus aussi par les jeunes promoteurs dans le volet formation. La fédération des artisans Algériens a déjà lancé des formations professionnelles dans près de 400 spécialités et métiers pour des jeunes précocement déscolarisés. Il y a lieu de les renfoncer et de leur accorder un contenu pratique en adéquation avec les potentialités existant dans les différentes régions du pays. En ces temps de grandes interrogations induites par le recul des recettes extérieures, où la diversification économique est devenue le maître-mot, il est plus que nécessaire que les pouvoirs publics et les experts se penchent sérieusement sur le secteur de l’artisanat et des produits du terroir. Générateurs d’emplois et de richesses, ces activités soutiennent aussi le secteur du tourisme et expriment, à leur façon, l’âme, la personnalité l’histoire et la richesse culturelle des Algériens.
A.N.M