«Un simple hasard»

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Quel lien secret y a-t-il entre les deux romans d’Amine Zaoui, ’’La soumission’’ et ’’El Malika’’, parus respectivement en 2002 et 2014, et celui de Michel Houellebecq, Soumission, publié en février 2015 et qui a  déjà fait couler beaucoup d’encre en France avant même d’être mis en vente ? Et ce lien se limite-t-il au simple fait que les deux écrivains aient choisi presque le même titre pour leurs livres ? Ou faut-il y voir un rapprochement d’idées entre la soumission de la femme arabe et la soumission purement imaginaire de la France à la loi d’un parti non moins imaginaire des frères musulmans dans un futur proche ? Ou bien faut-il juste y voir une influence réciproque qui a pu s’exercer d’une manière ou d’une autre sur les deux écrivains par le biais de déclarations répercutées à travers la presse écrite et parlée? Tentons une approche comparative pour comprendre ce phénomène littéraire qui a dû agir à l’insu ou, au contraire, au su d’au moins l’un d’eux et dont le résultat est aujourd’hui sous nos yeux : l’analogie plus que frappante de ces trois livres. La soumission d’Amine Zaoui traite de la condition de la femme arabe. Effacée, humiliée, réduite à un objet multiservice, voilà la femme peinte sous ses différents aspects et  ses différents rapports au sein de la famille: rapport au fils, rapport au mari, rapport aux fils d’un autre lit, bref, rapport dans une société patriarcale et machiste. En tant que philosophe, le docteur Amine Zaoui combat les injustices faites à la femme dans un style somptueux et percutant.

’’Soumission’’ dépeint une France où le parti des frères musulmans sort victorieux des urnes en 2022. Son candidat Abbas arrive à l’Elysée et applique la loi islamique. Houellebecq défend une France libre, indépendante et laïque. Dans son livre, il met en garde contre la montée de l’islam dans l’Hexagone. Ce que les arabes, stoppés en 732 à Poitiers, n’ont pas réussi par les armes, le réussiront-ils en 2022 de façon démocratique, c’est à dire par les urnes? L’auteur de ’’La carte et le territoire’’ en fait le pari, purement romanesque, naturellement. Il prend pour argument la vitalité de la communauté musulmane dans l’Hexagone et le déclin démographique de la population autochtone pour appuyer sa thèse d’une France musulmane, donc, soumise, selon lui. On trouvera sans aucun doute la comparaison faible. On pourrait difficilement voir le rapport entre la soumission de la femme arabe esclave d’une tradition millénaire qui pèse sur ses frêles épaules de tout son poids, et un scénario sorti d’un cerveau envahi par la colère autant que par la peur de voir « la douce France » changée en un Etat islamique. A part le titre qui pourrait faire illusion, on n’est pas certain que la ressemblance puisse aller aussi loin. Prenons l’autre livre d’Amine Zaoui paru en 2014 sous le titre ’’El Malika’’. C’est l’histoire d’une veuve kabyle, Sekoura, qui s’éprend d’un chinois et, contre vents et marées, l’épouse. Si la société mal préparée à ce changement de mœurs, se révèle impitoyable pour elle, l’amour, en revanche, lui apporte joie et bonheur. Mais Amine Zaoui n’en reste pas là. Ressuscitant les vieux réflexes de peur vis à vis des étrangers, de xénophobie même, il peint une atmosphère épaisse, où tout devient chinois, grâce à une politique économique et culturelle de plus en plus envahissante. Et l’auteur, partant de ce constat alarmant, de prédire qu’avant la fin de ce siècle l’Algérie serait dirigée par un chinois, ou si l’on veut par un métis. Un pari aussi loufoque, aussi cocasse que celui de Michel Houellebecq. Ce qu’il faut souligner tout de suite, c’est que Amine Zaoui ne peut être accusé de ne pas aimer les Chinois en Algérie. Il n’a rien contre eux. Il est trop avisé pour ne pas savoir de quelle utilité ils sont pour le pays qui a besoin d’un savoir faire de très haut niveau. Mais, curieusement, comme Houellebecq, il ne pouvait s’empêcher de jouer au Cassandre. Il imagine que l’Algérie serait, un jour très lointain, gouvernée par un Chinois, comme Houellebecq pense, dans son roman, que la France pourrait être dirigée par un musulman. Mais alors que le romancier français s’accorde six ou sept ans, l’écrivain algérien se donne un siècle pour espérer voir la fiction se muer en réalité !… Quelle conclusion tirer de tout cela? Les affinités sont évidentes. Et Amine Zaoui interrogé par nos soins à ce sujet ne s’en cache pas. Mais il les attribue au seul hasard, bien qu’il affirme n’avoir pas eu connaissance du contenu de ce livre. Nous ne pouvons qu’en prendre acte. Et comment! L’auteur algérien, en cette curieuse affaire, a toujours disposé d’une longueur d’avance sur le prix Goncourt 2011.

Aziz Bey  

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