Djoudi Attoumi raconte…

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Jeudi dernier fut organisée une conférence animée par Djoudi Attoumi, Ancien Moudjahid, ancien secrétaire du Colonel Amirouche et auteur de plusieurs livres sur l’histoire de la Révolution algérienne. La rencontre fut présidée par El Hachemi Chabati, responsable des Anciens Moudjahidine à Béjaïa. Elle a eu pour thème « Le Rôle de la Wilaya III dans la Guerre de Libération Nationale ».

Juste avant le démarrage de ladite conférence, Djoudi Attoumi, rencontré dans le hall du Théâtre Régional de Béjaïa, nous a affirmé : « Je suis là pour apporter un témoignage sur l’Histoire, et je répondrai présent à chaque fois que je suis sollicité ».  « La mémoire collective doit entretenir le souvenir des chouhada », a affirmé le conférencier devant un public nombreux, mais essentiellement constitué d’anciens moudjahids, et de veuves de Chahid. Mais il a insisté sur le fait que la célébration de cet événement ne devrait pas se limiter à la seule date du dix-huit Février. En donnant cette conférence, Djoudi Attoumi affirmait qu’il revoyait encore le film des événements qu’il a vécus entre 1956 et 1962. « J’ai vécu tous les événements importants qui se sont déroulés dans cette Wilaya III durant cette période ». Le Moudjahid a rejoint le Maquis à l’âge de dix-sept-ans, et fut tout de suite intégré dans l’équipe que dirigeait Amirouche, aux côtés de Mohand Oulhadj et Mohamedi Saïd. « J’ai un message que je dois transmettre aux jeunes générations », a-t-il dit. Mais justement, de jeunes, il n’en a pas été question, tant ils étaient absents de la conférence. La transmission va avoir du mal à se faire si les responsables des anciens Moudjahids continuent à vivre dans une certaine autarcie, sans faire l’effort d’intégrer les jeunes générations dans leurs activités. Il est grand temps de penser à passer le relais à la génération suivante si on ne veut pas que leur message s’évanouisse dans la nature. La volonté de transmettre est sincère, mais les moyens et les méthodes ne semblent pas suivre. Reprenant sa communication, Djoudi Attoumi a poursuivi en affirmant qu’il n’avait jamais imaginé un jour écrire un livre. Pourtant, les circonstances l’ont conduit à le faire, et même plus d’une fois. « J’ai déjà écrit trois livres. Et un autre est sur le point d’être publié ». La nouvelle publication est intitulée « Le chêne déraciné ». Il s’agira probablement la troisième partie d’une trilogie consacrée au chef historique de la Wilaya III. « On a dit de moi que je suis le biographe d’Amirouche. C’est un honneur pour moi ».  Ajoutant « Je l’ai côtoyé de près et j’ai été formé à ses côtés ». « J’y ai aussi découvert un homme exceptionnel », a-t-il dit. « Tahar Amirouchène était le cerveau de la Wilaya III. Je compte lui consacrer un livre pour le faire connaître et lui rendre hommage ».  Développant sa communication, Djoudi Attoumi a donné quelques détails sur les événements qu’il a vécus. « En Mai 56, il y a eu la plus grande opération de l’Armée française en Wilaya III. C’était l’Opération Dufour, du nom du général français qui la conduisait ». Il avait mobilisé plus de dix mille hommes. C’était effroyable et catastrophique. Nous avons eu plus de mille morts, de la vallée de la Soummam à la région de Sétif ». Dans une autre publication, le conférencier a rendu hommage aux condamnés à morts guillotinés. Ensuite il a parlé des appelés au Service Militaire obligatoire, dès l’âge de dix-huit ans. Beaucoup de jeunes algériens ont refusé de s’y soumettre. « 9235 d’entre eux ont rejoint les rangs de l’ALN dans le Maquis. Mais la plupart ont effectué leur Service militaire dans l’Armée Française, puis sont retournés vivre chez eux comme si de rien n’était . Ils n’ont pas rejoint la Révolution. Et à l’indépendance, certains ont occupé des postes d’honneur dans les rouages de l’Etat Algérien. Ce sont ceux que j’appelle les Imposteurs de l’Histoire ». A cette formule, le public présent a fortement applaudi. DjoudiAttoumi ne prend pas les gants pour les dénoncer. Il prend ses responsabilités et assume ses positions et ses propos : « Ces gens ne méritent pas la citoyenneté algérienne. Il faut les dénoncer. C’est notre devoir de dire la vérité ». N’oubliant pas les femmes, le conférencier déclare devant l’assistance dont la moitié était constituée de femmes, filles de Moudjahid et veuves et filles de Chahid, qu’un de ses livres a été consacré aux femmes qui ont été nombreuses à participer à la Révolution. Il sera publié incessamment.

Rôle de la Wilaya III

La Wilaya III a joué un grand rôle dans la Révolution. De Gaulle avait d’ailleurs déclaré que « La Kabylie est la citadelle de la rébellion ». Dans cette région, il y avait un grand potentiel de militants en Kabylie. Ces derniers attendaient le grand jour du déclanchement de la guerre. Mais la Wilaya III n’a pas rejoint la Révolution en même temps que les autres, nous apprend Djoudi Attoumi. « La personne qui avait été chargée de transmettre les ordres du déclenchement ne l’a pas fait, par fidélité à Messali Hadj ». C’est Abderrahmane Mira qui a ensuite pris l’initiative de déclencher des actions en Décembre 54, en procédant à des actions de sabotage. Les premiers groupes ont été organisés en février 55, puis Amirouche les a rejoints en Mars – Avril de la même année. « C’est à partir de là que les grandes actions ont commencé ». L’une des premières décisions fut de demander à tous les Algériens exerçant dans l’administration coloniale dans les villages de démissionner, sous peine de représailles. Amirouche était un chef complet. Il avait très bien organisé les maquis, avant même le Congrès de la Soummam, ayant su répartir les tâches et les responsabilités. Les décisions prises lors de ce Congrès ont été très importantes. L’une de ces décisions avait consisté en l’attribution des grades aux responsables militaires. L’idée c’était d’avoir un pouvoir collégial, sans que personne en particulier ne puisse s’en accaparer individuellement. Il y a également eu dans cette wilaya la lutte contre les groupes messalistes, dont le nombre était évalué entre quatre cents et cinq cents combattants. Ils ont tous été chassés hors de la Kabylie. Il y a eu aussi l’affaire dite l’Oiseau Bleu. Lacoste avait organisé une sorte de contre-maquis. Des groupes armés avaient été constitués pour combattre le FLN. Un de ses membres, Ahmed Oudaï en avait informé Krim Belkacem. Le résultat fut que cette opération a été retournée contre ses initiateurs, puisque la plupart de ces groupes ont fini par rejoindre l’ALN. C’était un échec de la stratégie française.

Commandement de la Wilaya III

« Krim Belkacem avait constitué son groupe armé avant 54. Il a été le premier responsable de la Wilaya III. Puis, c’était le tour de Mohamedi Said. Ce dernier avait l’autorité et l’expérience nécessaires. Mais il avait un handicap majeur. Il était grand de taille et en surpoids. Il ne pouvait donc pas se déplacer dans les Maquis. Après le Congrès de la Soummam, nous avons eu la première réunion post Congrès, à Fort National. Nous avons dû nous déplacer nous-mêmes, puisque Mohamedi Saïd ne pouvait pas bouger facilement. Lors de cette réunion, il y a eu une altercation entre Krim Belkacem et lui. Krim lui avait reproché un grave manquement dans la vigilance qui devait entourer ladite réunion. Amirouche a été désigné à sa place ». « C’était l’homme qu’il faut à la place qu’il faut », a déclaré le conférencier. Selon lui, « Il a su organiser et former les bataillons, et il se déplaçait avec facilité et faisait régulièrement la tournée dans les Maquis. Il a su sortir la Wilaya III de son isolement en tissant des liens avec les responsables des autres wilayas, à l’exception d’Ali Kafi avec qui le courant ne passait pas ». Poursuivant son témoignage, Djoudi Attoumi raconte comment Amirouche a pris l’initiative d’organiser une réunion entre les colonels des maquis en décembre 58 à Collo. « Tous étaient venus, à l’exception d’Ali Kafi ». Sans s’attarder sur cet épisode douloureux de l’histoire de la Révolution, le conférencier, sans pour autant esquiver le sujet s’est contenté de rappeler que « c’était Mohamedi Saïd qui a pris l’initiative de l’affaire dite de Melouza ».

Stratégies de l’Armée Coloniale

La France a adopté une nouvelle stratégie appelée la Politique de la Terre Brûlée. Dès l’arrivée de De Gaulle au pouvoir, il a ordonné à l’armée française de mettre à genoux l’ALN pour pouvoir négocier avec le FLN en position de force. L’opération Jumelle a donc été organisée. Plus de soixante mille hommes supplémentaires ont été dépêchés dans la région, pour appuyer les troupes régulières. « Nous avons vécu l’enfer pendant quatre mois », se souvient le conférencier. « Sur les douze mille moudjahidine que comptait la région, nous avons perdu plus de huit mille hommes ». Mais des événements imprévus sont venus soulager les Maquis. « Le putsch des généraux et les rébellions à l’intérieur même de l’Armée française ont affaibli la France qui avait décrété une sorte de cessez-le feu unilatéral. Puis il y a eu les manifestations du onze décembre durant lesquels le peuple a pris en main la Révolution. La population, à cette occasion a affronté l’armée française les mains nues, sans moyens ni armes. Dans une tentative de déstabiliser l’ALN, De gaulle avait imaginé une opération qu’il avait appelée  « La Paix des Braves ». Il avait envisagé de signer une sorte de traité de paix avec des responsables de la Wilaya IV. Mais la tentative d’y associer la Wilaya III avait échoué se heurtant au refus catégorique de ses responsables, faisant capoter l’opération. A cette époque, Michel Rocard qui est devenu plus tard premier ministre de la France dans les années quatre-vingt avait été chargé de faire l’état des Zones d’exclusions imposées par l’Armée Française. Des parties entières de la Kabylie furent évacuées par l’Armée coloniale, et personne n’avait le droit d’y pénétrer. Il avait, dans son rapport fait état de plus de deux millions d’Algériens vivant dans les Centres de Regroupements et des Centres d’Internements. La mort d’Amirouche a été un véritable séisme dans la Wilaya III. Et elle a eu des répercussions sur toute la Révolution Algérienne. Celle-ci est devenue veuve après sa mort. Cette mort a été exploitée psychologiquement par l’Armée coloniale. Un rapport circonstancié a été demandé sur les conséquences psychologiques de la mort d’Amirouche sur le déroulement de la Révolution. »  La conférence s’est ensuite poursuivie, en donnant la parole au public. Djoudi Attoumi a répondu aux questions qui lui ont été posées sur différents sujets, et la conférence s’est terminée dans une atmosphère bon-enfant. Sur ces faits, les organisateurs ont tenu à honorer quelques veuves de Chahid auxquelles ils ont remis des cadeaux symboliques, soulignant le fait que les « Anciens » n’oublient pas les leurs.

N. Si Yani

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