Sortir de la rente et renouer avec les valeurs du travail

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L'Algérie célèbre cette année le double anniversaire du 24 février- création de l'UGTA en 1956 dans le feu de la guerre de Libération et nationalisation des hydrocarbures en 1971- dans une espèce de paradoxe doublé d'un malaise. Voyons bien: en l'espace de 12 mois, le contexte économique a fait un revirement des plus spectaculaires.

L’année passée, à la veille de pareil anniversaire, soit le 23 février, le gouvernement, la Centrale syndicale et les organisations patronales sortaient plus que satisfaits de la réunion de la tripartite. Tout le monde festoyait d’avoir enterré officiellement l’article 87-bis du code du travail qui, par son mode de calcul, limitait le salaire minimum et les salaires des échelles moyennes de la grille nationale. Une augmentation salariale devait suivre l’abrogation de cet article tant décrié par les travailleurs depuis des années. Cela a été promis pour le début de cette année 2015. Entre-temps, il se passa un « séisme » dans l’économie nationale; séisme qui a pris presque trois mois pour être regardé en tant que tel. La chute des prix du pétrole, que des experts nationaux et étrangers avaient redoutée depuis plusieurs mois suite à la contraction de la demande mondiale, et principalement la Chine et l’Europe où la crise des investissements était bien perceptible, introduisit un niveau langage dans le discours national, à mi-chemin entre l’avertissement et la fausse assurance. Rationalisation des dépenses publiques, austérité rigueur budgétaire, priorisation des projets à maintenir dans le plan quinquennal, limitation des importations aux seuls produits stratégiques non produits en Algérie, etc. Le 24 février continue pourtant, dans la tête des Algériens, à signifier la prospérité acquise par la nationalisation des hydrocarbures et le passage d’un syndicalisme intimement imbriqué à la lutte armée à un syndicalisme « protecteur » des acquis sociaux dus en grande partie à la richesse nationale en hydrocarbures. L’évolution d’une telle ferveur populaire en système rentier- par lequel l’Algérie a abandonné ses autres potentialités économiques, à commencer par l’agriculture et le tourisme, en plus de la formation de la ressource humaine- était sans doute inscrite dans le « destin » de la jeune république algérienne, et cela pour au moins deux raisons: les promesses populistes ayant accompagné la lutte armée, insinuant que l’on pouvait se passer de l’effort et du labeur une fois l’indépendance acquise, et, ensuite, le profil technique et politique du personnel ayant présidé au destin du pays; un profil qui ne répondait pas aux exigences de mobilisation économique, qui pouvait céder- et il a cédé- aux premières sollicitations rentières induites par l’élévation des cours du pétrole à l’échelle mondiale, particulièrement lors de ce qui est appelé le premier choc pétrolier, en 1973, qui a vu le prix de ce produit sur les marchés mondiaux quadrupler en moins d’une année (passant de 3 à 12 dollars). De même, certains choix opérés à l’époque, qui paraissaient d’une grande intelligence et d’un patriotisme irréprochable, se sont avérés par la suite fort contestables, du moins très lacunaires. On constate aujourd’hui le retard des régions pétrolifères du Sud algérien en matière d’emploi et de formation. Autour des sites gaziers et pétroliers, sur plus de 1000 km de rayon, il n’y a aucune école ou centre de formation en géophysique, pétrolochimie ou en hydrocarbures. Des instituts furent créés à Boumerdès pour ces spécialités, sur un site où l’actuelle ville n’existait pas encore. Il est vrai que ces écoles ont formé des cadres de valeur, dont les compétences ont été sollicitées par la suite par les pays du Golfe. Mais, le développement des régions même où sont extraites les matières premières qui nourrissaient, et qui continuent de nourrir les Algériens, a subi de grands retards. À ce jour, l’Algérie ne dispose pas d’une grande ville, digne de ce nom, sur ce territoire. Une ville appelée à recevoir les cadres des compagnies étrangères, ayant des infrastructures hôtelières, scientifiques, technologiques et de télécommunication de premier plan. Le chômage dont se plaignent les jeunes du Sud est en partie dû à ces choix précipités de placer tout l’accompagnement dans le nord, et ne réservant à la partie Sud que les forages.

«Hérésies» et effet boomerang

L’euphorie qui avait accompagné la date du 24 février jusqu’à la fin des années 1970 était aussi liée aux industries pétrochimiques que l’Algérie commençait à installer. Cependant, deux décennies plus tard, on découvre l’amère vérité: l’Algérie importe une grande partie des produits fabriqués à partir du pétrole, comme le plastique et le caoutchouc, souvent auprès de pays qui sont…importateurs de pétrole!  Cette hérésie a fini par toucher même les carburants (essence et gasoil) après l’explosion de la dimension du parc automobile algérien. La facture des carburants achetés de l’étranger a atteint trois milliards de dollars à partir de 2012. Sur tout le grand Sud, qui constitue 80% du territoire national, il n’y a aucune raffinerie. Immanquablement, si la date du 24 février évoque l’effort national de se soustraire à la pression du capitalisme de l’ancienne puissance coloniale, elle met les Algériens, 44 ans après cet événement, devant de nouvelles responsabilités. Celles de sortir définitivement de cet engrenage mortel de la dépendance totale par rapport aux hydrocarbures. C’est à une véritable révolution économique et sociale que les Algériens sont aujourd’hui appelés. Cela demande, bien entendu des efforts sur soi, une nouvelle discipline et nouvelle mentalité. La plus grande partie des problèmes dans lesquels se débat le pays- corruption, clientélisme, exode rural, anarchie urbanistique, désastre écologique, chute vertigineuse du niveau de l’école et de l’université déliquescence de l’administration et érosion de l’autorité de l’État-, est due à ce « régime » économique malsain constituée par la rente pétrolière. L’émergence de la thématique du gaz de schiste, qui a légitimement « effrayé » une partie de l’opinion nationale suite aux grandes inconnues de ses retombées écologiques, a été « récupérée » politiquement par des parties en mal d’ancrage social. Le débat scientifique a été maladroitement évacué au profit d’un positionnement politique que l’on tente d’arborer dans la rue à l’occasion de cette célébration du 24 février. Il est difficile d’admettre que c’est avec de telles exhibitions que l’on pourra faire passer un message politique. Si, à la même date, on fête aussi la création de l’UGTA, syndicat unique jusqu’au début des années 1990, le pluralisme syndical institué par la Constitution et la maturation des luttes sur le terrain, sont supposés travailler pour une autre configuration du front syndical cadrant avec les nouvelles ambitions de diversification économique du pays.

Amar Naït Messaoud

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