La saison d’hiver, qui prendra fin dans deux semaines, a montré toute sa rigueur cette année sur les reliefs de Kabylie. Cela s’est produit après un automne caractérisé par des averses brutales et un été caniculaire qui a vu de vastes massifs prendre feu un peu partout. Le « décor » commun à ces trois saisons vécues difficilement par les populations, ce sont ces décharges sauvages, disséminées sur tous les recoins de Kabylie, qui prennent feu en été et obstruent fossés, puisards et caniveaux en hiver. Au printemps, ces « verrues », constituent des échardes immondes dans un espace tout de verdure. Les contraintes des zones de montagne de Kabylie et des massifs voisins de Jijel, Bordj Bou-Arréridj, Sétif et Skikda, sont connues depuis longtemps. Depuis trois ans, elles sont encore bien identifiées, répertoriées et scientifiquement traitées par des études réalisées par le CENEAP (Centre national d’études et d’analyses pour la population et le développement). Le monde associatif, les élus et même les services déconcentrés de l’administration se posent, aujourd’hui, la question de savoir que devient le fonds de la montagne promis depuis des lustres. Les études du CENEAP, réalisées sur demande du ministère de l’Environnement et de l’aménagement du territoire, ne sont pas destinées à être lues d’une façon distraite et archivées. Elles ont pour objectif de délimiter officiellement les communes de montagne, avec des critères scientifiques irréprochables, de diagnostiquer l’état de ces communes sur le plan physique (climat, faune, flore, sol), économique et social (agriculture, industrie, artisanat, infrastructures, potentialités touristiques, chômage, déperdition scolaire, santé services publics, AEP, énergie,… etc.). Ce diagnostic est censé aboutir à des propositions d’aménagement, à orientations en matière d’amélioration des services publics et de financements spécifiques. La société civile et les médias évoquent toujours les fonds du sud et des Hauts Plateaux pour appeler à un certain équilibre régional. Cependant, que l’on sache que les fonds cités ont souffert de beaucoup d’amateurisme et n’ont pas eu la chance de bénéficier d’études comme celles qui sont effectuées pour les zones de montagne. À titre d’exemple: les derniers bilans relatifs aux wilayas du sud, « triturés » par des économistes et certains députés, font état de l’utilisation de seulement 20% du Fonds spécifique à ces wilayas. À cela, plusieurs raisons dont le déficit ou la non maturation des études, n’est pas la moindre. Pour le Fonds de la montagne que tous les citoyens, société civile, élus et administration appellent de leurs vœux, les repères en matière d’allocation commencent à se préciser; d’abord en se basant sur les études du CENEAP, ensuite en prenant en compte toute l’actualité économique et sociale des zones de montagne, avec ses faiblesses, ses avancées, ses potentialités et ses… drames. Les derniers éboulements qui ont affecté des dizaines de tronçons de routes jusqu’à isoler des populations entières, les crues de la Soummam qui ont détruit des conduites d’eau potable récemment réalisées- un demi million d’habitants dans la wilaya de Béjaïa sont sans eau potable depuis une dizaine de jours-, l’enneigement qui avait obstrué en février dernier les voies vers des dizaines de communes sur le Djurdjura et la Bibans, ainsi que d’autres phénomènes naturels spécifiques aux zones de montagne, sont censés être pris en charge par ce Fonds et par une politique nationale cohérente basée sur le Schéma national de l’aménagement du territoire (SNAT).
Développement et décentralisation
De même, les potentialités avérées en matière de développement économique et social devraient être promues vers une exploitation harmonieuse, avec un encadrement et un soutien appuyés des pouvoirs publics. L’artisanat, le tourisme, l’économie verte, l’agriculture de montagne et d’autres créneaux encore ne sont pas des projections qui partent du néant. Il y a une base et des traditions qui ne demandent qu’à être prolongées et prises en charge de façon moderne. Que l’on prenne de cette performance par exemple: le dernier bilan national de la production de lait place la wilaya de Tizi-Ouzou en seconde place après Sétif. En 2014, les éleveurs bovins, au nombre de 4 590, ont pu produire 87 millions de litres de lait de vache, collecté par 142 collecteurs agrées. Lorsqu’on connaît le défi qui se pose à tout le pays en matière de production laitière, on se rend compte de la performance réalisée par les producteurs de la wilaya de Tizi-Ouzou. Une performance qui demande, pourtant, à être améliorée. L’Algérie consomme près de 4 milliards de litres de lait par an. La production nationale ne couvre, cependant, qu’à peine le tiers de ces besoins. Le reste est importé en devises sonnantes et trébuchantes. La moyenne de production par vache demeure très faible dans notre pays, soit 12 litres par jour, alors qu’ailleurs dans le monde, la moyenne tourne autour de 60 litres. Donc, il y a beaucoup d’effort à faire en matière d’amélioration de l’alimentation, y compris de fourrage vert de prairies, là où l’espace le permet. Des efforts aussi à fournir dans les modes d’élevage et de la santé animale. La Kabylie qui fournissait, jusqu’au début des années 1980, la grosse part de liège destiné à la transformation locale et à l’exportation, est aujourd’hui exsangue en la matière au vu des grands incendies qui ont neutralisé ce potentiel. L’emploi direct (extraction de liège) et indirect (atelier de transformation, comme ceux d’Aokas et de Jijel), se comptaient en dizaines de milliers de postes, aujourd’hui perdus. C’est là un créneau qui, s’il est sérieusement pris en charge, pourra redonner à l’Algérie sa place dans le bassin méditerranéen dans le domaine du liège. De même, l’huile d’olive de Kabylie attend sa promotion à l’exportation, avec tous les segments de valorisation que cette ambition comporte. Sur beaucoup de plans, l’actuelle politique des PPDRI (Projets de proximité de développement rural intégré), a montré ses limites, comme l’a reconnu le wali de Tizi-Ouzou, la semaine dernière, au cours du colloque tenu au niveau de l’APW, sous le thème « Économie de montagne et développement local durable en Kabylie ». Sur un autre plan, les zones d’expansion et sites touristiques (ZET) semblent faire du surplace depuis le temps où elles étaient annoncées en grandes pompes, aussi bien à Tizi-Ouzou qu’à Bouira et Béjaïa. Dans certaines régions, le problème du foncier n’a pas encore été réglé. Et pourtant, la notion de zone de montagne perdrait tout son sens si l’activité touristique- avec toutes ses déclinaisons d’écotourisme de montagne, de tourisme balnéaire et thermal, d’aménagement des lacs de barrages- n’arrivait pas à être bien cernée, accompagnée et prise en charge. D’un autre côté le tourisme est loin de pouvoir se satisfaire de structures hôtelières, aussi performantes soient-elles, si la matière première, celle-là même qui attire les flux touristiques, demeure frappée par une sorte d’atonie et de torpeur. Développement de l’artisanat sous toutes ses formes, plages aménagées et propres, sites historiques et naturels réhabilités, musées bien garnis et scientifiquement administrés,… etc., sont autant d’axes sur lesquels devrait se déployer la réflexion sur le tourisme. Une politique rationnelle et bien réfléchie des zones de montagne, c’est inéluctablement aussi une décentralisation avancée des structures administratives et du processus de prise de décision, qui puisse assurer travailler au vrai développement local et permettre l’émergence de la citoyenneté.
Amar Nait Messaoud
