Ouvrons nos yeux !

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La Journée internationale de la femme, célébrée hier avec les protocoles d’usage,  où se bousculent folklore et joyeuses mondanités avec le solennel- les trois faisant souvent bon ménage-, il importe de s’arrêter sur la dimension profonde de cette célébration et sur le contexte dans lequel elle se déroule dans notre pays. À la veille de cette célébration, une partie de la presse arabophone algérienne a embouché la trompette du refus des partis de l’Alliance verte au Parcellement de voter l’amendement du Code civil, déposé par le gouvernement sur le bureau de l’APN, portant sur la violence contre les femmes, principalement la violence conjugale. Ce refus, suivi d’une demande de retrait du projet de loi, est arboré comme un trophée de guerre livrée aux «modernistes et laïcs». Cette partie de la presse nationale a convoqué «analystes», théologiens et chroniqueurs pour pourfendre le projet de loi qui se donne pour objectif de protéger la femme contre la violence venant de son mari. Echourouk a même pu mettre ce titre sur l’une des ses «analyses» : «Frappez-les», expression extraite d’une sourate. C’est la manière propre aux partis conservateurs, toujours tentés par l’intégrisme et qui ne pardonnent pas le fait que l’Algérie n’ait pas rejoint le Printemps arabe, de célébrer la Journée internationale de la femme. «Ouvrons nos yeux !», disait Aït Menguellet dans son dernier album. Il avait l’habitude de nous inviter à la réflexion et à l’observation ; aujourd’hui, il ordonne à tout le monde d’ouvrir les yeux sur cette composante qu’est la femme. Un verbe conjugué à la première personne du pluriel et au mode impératif. Sœur, épouse, mère ou tout autre femme, méritent notre respect, notre considération et notre reconnaissance. On peut ne pas adhérer à la politique des quotas, instituée depuis 2008 dans les assemblées élues et se donnant pour objectifs d’initier la parité homme/femme dans un domaine délicat, voire presque tabou, à savoir la politique. On peut considérer que cette façon de faire ne possède pas que des bons côtés. Elle peut facilement privilégier le «tout-venant» féminin dans la composition des listes électorales, pourvu que le nombre exigé par la loi y soit. Il n’y a aucune garantie à ce que ce soient les femmes les plus compétentes et les plus engagées qui soient inscrites sur ces listes. Contrairement aux promotions qui se font dans l’administration- avec, bien entendu, les limites qui affectent aussi bien les hommes que les femmes-, ou dans les entreprises. Dans ces dernières entités, la promotion est généralement fille du mérite. Et l’Algérie commence à avoir ses managers femmes, comme elle a ses médecins spécialistes, ses agronomes, ses ingénieurs en génie civile, ses architectes, ses juges, ses policières, ses artistes, ses cinéastes et ses écrivaines de la gent féminine. Ce sont ces femmes que l’Alliance verte veut exposer impunément à la violence des hommes. Une question hors contexte : que font les partis et les personnes qui se disent démocrates dans la coordination qui les lie avec cette engeance ? Une engeance qui s’est illustrée dans d’autres situations où elle donna le primat à l’idéologie intégriste. «Ouvrons nos yeux !». Depuis les émissions radio à l’ORTF de Taous Amrouche, jusqu’à feu Assia Djebar, en passant par Cherif Kheddam, Nouara, Ben Mohamed, le groupe Djurdjura, Malika Domrane, Hadjira Oulbachir, et bien d’autres artistes et militants (tes) que l’on ne peut pas tous (tes) citer, la littérature, la poésie et la chanson ont bien pris en charge la thématique de la femme, dans la vie domestique de chaque jour, dans les travaux des champs, dans la guerre de Libération, dans le désir de promotion et d’égalité de cette deuxième moitié de l’homme. Cherif Kheddam a été explicite dès les années soixante, en chantant : «Dacu d lahdjab n tharrit ? D nnif ma tkesbit, tartah ingab du hayek» (C’est quoi le voile de la femme libre ? C’est l’honneur, si elle le possède. Elle n’a que faire du voile du corps). Le débat byzantin qui occupe aujourd’hui les plateaux de télévision, les minbars et la presse, notre chanteur l’a tranché au lendemain de la guerre de Libération qui a vu la femme s’impliquer totalement…sans tuteur. Les tentatives de remises en cause des acquis de la femme ainsi que les résidus d’une mentalité non complètement affranchie, ont été dénoncées publiquement pas le groupe Djurdjura (y compris dans le livre de Djura, membre de ce groupe, intitulé Le Voile du silence), par les poèmes de Benmohamed chantés par Nouara, par Idir, par Ali Ideflawen,… etc, contrairement à l’Alliance verte qui tente de garder la femme sous le joug de la tyrannie et de la bêtise. En 2015, on veut nous convaincre que l’homme peut « corriger » sa femme, licitement, ne serait-ce qu’en lui donnant des « petits coups », comme le rappelle le journal cité. Poursuivre juridiquement l’homme pour la violence qu’il exerce sur sa femme, serait «compromettre la cohésion de la famille», selon toujours cette « source » moralisatrice. Indubitablement, la place qu’occupe la femme dans la société renseigne sur le degré de développement de cette dernière et sur ses capacités à affronter les défis de l’avenir. Slimane Azem fait de la femme la «poutre maîtresse de la maison», qui soutient son foyer, protège son ménage, conseille son époux et bâtit la société.  Aujourd’hui, le combat de la femme n’a d’autres choix que de continuer. Face aux retards de certaines institutions à se mettre au diapason de la modernité et surtout face aux relents de conservatisme et de paternalisme qui élisent domicile chez certaines fausses élites.

Amar Naït Messaoud

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