Merci Fouroulou !

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At Rgad aussi festoie la journée n’tmettut. Relookée pour une après-midi féminine plurielle, Chabha le Chignon déclame, aux micros tendus, son bonheur et sa fierté d’être une femme en Algérie. Dezdeg, lui, n’aime pas cette demi-journée spectacle. Il ne l’a jamais aimée. Il lui préfère de loin les souvenances intelligentes et porteuses. Il va voir ses complices et leur dit: 

– Chabha le Chignon et tidukliwin «zwi-tt, rwi-tt» me blasent. Je prends «tamacint n’zman», je m’absente. Je vais du côté de Tizi-Hibel rendre visite à Fouroulou.

– Tu reviens quand ?, demande Sadiya

– Dans pas très longtemps !

Tizi Hibel. Samedi 15 mars 1939. Un tacot bâché s’échine à s’agripper sur une pente, laissant derrière lui un nuage de fumée et de poussière. Le véhicule est dépassé par une vielle femme chargée d’un fardeau de bois secs. La scène fait sourire Dezdeg qui trouve, qu’à part le téléphone portable, Tizi Hibel de 1939 n’est pas très différent d’At Rgad 2015. Le voyageur des At Rgad arrive devant l’école primaire. Il n’entend aucun bruit. Juste le picotement de quelques volatiles fuyant les assauts de quelques mioches et trouvant asile dans la cour. Dezdeg lève les yeux et reconnaît Mouloud Feraoun derrière les vitres d’une fenêtre. Le vieux monte les quelques marches d’escaliers et se retrouve nez à nez devant le jeune Mouloud Feraoun. «i d-turwemth a tilawin !», s’exclame-t-il. Il jette un coup d’œil sur la table qui sert de bureau au fils du pauvre et lit sur une feuille volante : «je me souviens comme si cela datait d’hier…». Dezdeg écrase une petite larme et va s’asseoir sur le bord du lit. Le crayon à la main, Fouroulou, lui, est debout. Il semble préoccupé. Il se dirige vers la fenêtre, scrute l’horizon et revient vers la table. Sans s’asseoir, il cherche une feuille déjà noircie et écrit à sa marge : «la désobéissance est un essai de liberté et un essai de courage. C’est pourquoi il faut la regarder avec amitié». Quelqu’un frappe à la porte. C’est Dehbia, sa femme. «aqla-k te3yid rnu mazal ur teccid ara (t’es fatigué et t’as pas encore mangé)!?», lui reproche-t-elle tendrement. «Tura, aqli-n (une minute, j’arrive)», lui répond-t-il affectueusement. Dehbia sort en laissant la porte entrouverte comme pour lui signifier qu’elle l’attend. Dezdeg n’a pu se retenir : «Merci Fouroulou ! Merci Mouloud Feraoun !» L’écrivain cherche d’où vient la voix et il finit par admettre : «Dehbia a sûrement raison, je dois être fatigué».

T.O.A. [email protected]

PS

«… En fin de compte, les mensonges auront plongé l’Algérie dans un affreux bain de sang : ils n’auront jamais tué que des hommes, et l’Histoire qui retiendra les évènements enregistrera sans doute, pour être digne d’elle-même, notre commune souffrance et notre égal attachement à la terre qui nous a vus naître…» (L’anniversaire)

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