Par Mohamed Bessa
Sur le rejet du projet de loi anti-corruption, on ne sait s’il faille vraiment s’en scandaliser ou s’en résigner comme à une mauvaise nouvelle longtemps attendue. Et s’il convenait tout au contraire de simplement s’en réjouir ? Les députés ont jugé bon de se soustraire à toute forme de contrôle patrimonial, et de se voter du même coup une immunité anti- corruption, au prétexte que cela risquait d’ouvrir la porte à des pressions de l’Administration sur les élus du peuple. En tout cas, c’est l’argument vaguement avancé par ceux d’entre eux qui ont consenti à s’exprimer après le tollé médiatique qui a suivi ce vote. L’explication peut se concevoir quoiqu’on n’ait pas vraiment souvenir d’une APN jalouse de son indépendance. Excepté pour le vote de leurs indemnités où les députés avaient guerroyé pied à pied avec le gouvernement, ce sont les épisodes de vote mécanique des ordonnances qui peuplent l’imaginaire de ceux de nos confrères qui s’infligent encore le devoir de suivre l’écoulement des jours heureux dans ce qui est désormais une “Cour des Miracles” où les aigrefins de tous acabits seront bien inspirés de se réfugier. La dernière en date est celle qui avait justement introduit une préséance de l’Administration sur les élus et qui avait ouvert la voie à la dissolution des assemblées de Kabylie. Le gouvernement lui-même s’était tellement incommodé du caractère a-républicain de cette loi qu’il ne s’est résolu à la présenter qu’en dernière extrémité. Après avoir échoué à créer, par l’appel à la démission spontanée des élus locaux, une situation conforme aux lois en cours. Dans un frémissement de culpabilité, il s’était même trouvé un député pour affirmer avoir arraché à Ouyahia la « promesse » (c’est à dire du vent) que jamais plus ce qu’il venait d’approuver ne sévira au-delà du contexte immédiat de la Kabylie. Sinon, les députés ont, depuis toujours, pris le pli de ne pas demander des comptes au gouvernement : constitutionnelle, la loi de règlement ( un bilan quadriennal de l’utilisation des budgets votés) n’a jamais été présentée au Parlement à ce jour. Mais le rejet de l’article 7, et l’abondante relation faite par la presse, gêne autrement plus les députés. Le chef du groupe MSP est allé, en parfait jésuite, jusqu’à émettre l’hypothèse que les reporters dépêchés en couverture auraient confondu les siens avec ceux du FLN. Ne pas distinguer le MSP du FLN et vice- versa ne manquerait en effet pas de justification et notamment en la circonstance. En fait, dans cette histoire on peut prendre quiconque pour un autre sans préjudice à personne. D’aucuns, qui ont officiellement voté pour le projet du gouvernement pourraient avoir simplement considéré que la besogne étant efficacement faite, il convenait de ne pas en rajouter. Car en panne de projet cohérent, et revenu de tous ses mythes fondateurs, le système politique actuel, n’a plus que la corruption pour cimenter son être et entretenir sa survie. On l’a clairement vu lors des élections partielles, où les partis de la coalition avaient fait miroiter la possibilité d’une insertion dans les circuits de la rente institutionnelle pour s’attacher de nouvelles adhésions et obtenir des suffrages. Et c’est sans surprise que le porte-parole du RND clame, à contresens de l’opinion qui a salué son vote à la Chambre basse, que son parti n’envisage pas de bloquer ce qui reste de cette loi au Sénat où il est majoritaire. »Nous ne sommes pas de nature à bloquer l’Etat algérien », baragouine-t-il dans une tentative de transformer une honteuse abdication des intérêts du pays en un haut fait patriotique. Et c’est pour tout cela qu’il y a peut-être lieu de se réjouir de ce qui s’est passé. Les Algériens ont assisté à un moment de transparence – ce mot est souvent l’antonyme de corruption- et d’affirmation des plus bienvenus dans le contexte brumeux du débat politique national. Pour la construction de la conscience nationale, toutes les vérités sont bonnes à prendre. Y compris celles, sans rémission, de Madani Mezrag et, avant lui, celles du général O. Que les députés s’affublent d’hypocrisie et se défaussent dans tous les sens, indique qu’ils reconnaissent quand même l’existence d’une opinion publique nationale, condition sine qua non d’une vie démocratique, et redoutent sa réprobation. Ils avaient l’occasion de réparer, ils l’ont lamentablement gâché. Se mettre derrière ces quarterons de députés PT ? Qu’ils savourent plutôt le bonheur de leur existence tolérée, ces Trotskistes, ces mécréants ! Jamais nous ne fléchirons devant plus faible que nous. Pour une fois pourtant, la consécration d’un fait berbère, autant célébré à Tizi qu’à Tlemcen, pouvait se concevoir sans le moindre relent particulariste. Non, cette année non plus, Yennayer ne sera pas une fête légale. Sur ce point, l’Algérie est au même niveau que les velléités françaises de « férieriser » l’Aïd-El-Kébir. Au jeudi dernier, il y avait 2969 ans depuis que le berbère Sheshonq envahissait l’Egypte pour inaugurer le règne d’une longue dynastie pharaonique. Sheshonq ? Les manuels scolaires n’en soufflent mot. Comme le ver dans la pomme, la corruption était déjà dans l’Histoire.
M.B.