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La terre bouge, les villageois aussi

Les catastrophes se suivent mais ne se ressemblent pas en Kabylie.

Après l’horrible éboulement de rochers à Aokas causant des pertes humaines, puis celui du lieu-dit Amtiq N’tafath sur le Oued Soummam à Smaoun ayant détruit le réseau de Tichy Haf et la CW 21, la commune de Feraoun a eu aussi son lot de dégâts causés par les dernières crues. Un glissement d’au moins 4 hectares de superficie menace les villages Ait Ounir et Iaadenan faisant partie de l’aarch Imlahen et qui a commencé depuis les dernières précipitations à faire craindre le pire aux habitants de cette région. Des murs de maisons lézardés, des fissurations sur les ruelles et les accès et des éboulements à plusieurs endroits sont constatés, alors que le sol glisse dangereusement vers le bas. « Nous ne pouvons dormir par crainte d’être ensevelis par les toits de nos maisons, nous assurons en alternance des gardes de nuit pour surveiller toute anomalie sur nos habitations afin de fuir le pire qui nous guette » diront certains habitants parmi les plus exposés à cet éboulement. Cela dit, il y a 24 familles, selon les services de l’APC, qui sont appelées à quitter leur demeure, alors que les associations locales des deux villages concernés par ce danger parlent d’au moins 30 familles à évacuer.

30 familles à évacuer

Dans cette région de Feraoun les discussions autour de ce phénomène qui risque de rayer de la carte une partie de cette commune tournent autour de ce sujet central, et ce dans les cafés, les bus et les placettes des villages avoisinants. « Nous entendons parler de ce mouvement de terrain à Iadenanen et Ait Ounir depuis des années et nos grands parents nous ont raconté des histoires horrifiantes sur ce lieu maudit en nous disant que des maisonnettes ont été définitivement ensevelies avec leurs occupants par un mont de terre qui avait glissé au milieu du 20éme siècle » dira un septuagénaire qui ne cesse de s’interroger pourquoi depuis des années les pouvoirs publics ne se sont pas penchés au moins à étudier ce phénomène dévastateur. Et voir les moult requêtes adressées par le mouvement associatif local de la région sinistrée à tous les responsables concernés, depuis une décennie, l’on comprend les raisons de la colère et de la peur des habitants des deux villages susnommés.

Le phénomène ne date pas d’aujourd’hui

« Je détiens une copie d’une correspondance adressée par notre association le 7 octobre 2009 pour demander l’intervention immédiate de l’APC après la contestation subite d’une fonte grave au sein du village Iaadenanen, puis des requêtes en série jusqu’à cette dernière envoyée par nos soins le 23 février dernier » explique le président actuel de l’association locale. Les membres du mouvement associatif jugent que si des mesures néanmoins légères ont été prises à temps les dégâts seront minimes aujourd’hui, ils citeront à titre d’exemple le reboisement des sites touchés, la délimitation de la zone vulnérable et l’interdiction de toute construction sur le même site. Aujourd’hui, et en conséquence de l’indifférence des pouvoirs publics qui ont peut être sous estimé le danger, plusieurs habitations ont été construites sur ces terrains en mouvement, et d’autres sont en voie de réalisation et qui peuvent être abandonnées avant leur achèvement, sachant que dans les villages kabyles le foncier à bâtir font vraiment défaut. Outre les dégâts et les menaces sur les demeures, le danger touche aussi les symboles de la mémoire collective des villageois, notamment le cimetière et les salines qui font parties du trésor culturel et économique locale de cette région d’Imlahen, dont le nom est pris de l’existence de sources d’eau salées et de dizaines de bassin d’assèchement servant à l’extraction par évaporation du sel. « L’éboulement risque de nous faire disparaître à jamais, et le comble, nos morts aussi ne sont pas mis à l’écart du danger et de ce monstre qui nous vient du souterrain » pense un autre citoyen de ce lieu où les ossements des morts peuvent apparaître en surface étant donné que le glissement ne cesse de s’approcher à grands pas des tombes. La destruction des salines qui restent sous une grande menace d’éboulement aura à achever définitivement une vie collective et un sens d’habitation commun de centaines de familles autour de ce trésor naturel et économique ancestral. L’heure est tout de même grave et les habitants des deux villages pris en otage par cet énorme éboulement vivent dans l’angoisse mais déterminés à se battre pour sauver la région, car pour eux, c’est une question d’honneur et de dignité de ne pas perdre l’intégrité de leurs villages. L’urgence est de mettre à l’abri les familles dont les maisons menacent ruine puis de trouver les mesures à mettre en œuvre à l’effet de stopper l’avancée dans tous les sens de ces mouvements du sol.

Les autorités bougent enfin !

Et cela n’a pas laissé immobiles, pour cette fois, les pouvoirs publics, à commencer par les responsables locaux qui se sont mobilisés à recenser d’abord les familles les plus exposées et à trouver les moyens de les recaser au cas où leur évacuation s’y imposerait. Une école primaire non occupée, un centre commerciale et peut-être des logements sont préparés à tout éventuel évacuation. La semaine passée, c’était le wali de Bejaïa qui s’est rendu sur les lieux pour constater de visu les dégâts occasionnés et aussi de voir le degré menaçant de cet éboulement. Des recommandations ont été prises sur le champ, et la première est celle d’installer une cellule de crise, avec la collaboration du mouvement associatif local et bien sûr des directions des travaux publics, de l’habitat, de la protection civile, de l’hydraulique et des forêts. Il était aussi question de songer à l’étude géophysique du sol, une étude qui vient d’être menée sur les sites afin de déterminer la gravité et la vulnérabilité immédiate et à long terme de ce phénomène de glissement terrien. Il y va aussi d’une enquête pour déterminer les habitations à évacuer, et par conséquent établir une liste de prochains bénéficiaires aux logements ruraux. Cela dit, les familles aux habitations menacées seront prioritaires au programme prochain du FONAL. C’est le branle-bas du combat qui s’annonce en tout cas dans cette région, sachant que la commune ne possède pas de logements à mettre à la disposition des sinistrés, car, même si le soleil s’affiche pour ces jours printaniers, les plus avertis craignent surtout le phénomène d’érosion qui pourrait accentuer le glissement en plein été. A cet effet, l’élan de solidarité des villageois de la commune reste le seul moyen sur quoi l’on peut compter pour reloger les familles sinistrées, et l’entraide, la solidarité et la mobilisation de tous s’avèrent plus forts que ce glissement, surtout entre les habitants des deux villages voisins et partageant le même destin. Un glissement qui ne peut que renforcer davantage et souder les liens de la communauté comme au bon vieux temps, et comme la si bien chanté le feu Si L’Bachir Amelah, enfant de cette terre qui bouge.

Nadir Touati

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