Est-ce le bon déclic ?

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Quels que soient les efforts des défenseurs et des militants de la langue amazighe pour sa promotion sur tous les supports écrits et de la technologie moderne, ils demeurent limités par le caractère bénévole de l'action, empruntant parfois le domaine de l'informel.

Certes, des associations, des maisons d’édition et parfois des personnes ont produit des livres, des prospectus, des vidéos, des films dans cette langue qu’ils comptent hisser au diapason des autre langues en matière de production artistique et pédagogique; cependant, l’effort est souvent dispersé manquant de convergence et faisant face à un vide quasi-total sur le plan institutionnel. Le Haut Commissariat à l’Amazighité fait ce qu’il peut. Un certain dynamisme l’a gagné depuis environ une année, organisant des colloques thématiques et se rapprochant des autres instances chargées de la prise en charge de la langue amazighe, principalement le ministère de l’Éducation et le ministère de la Communication. Depuis le milieu des années 2000, l’on a assisté à un effarant recul de l’enseignement de cette deuxième langue nationale au niveau de plusieurs wilayas qui s’étaient initialement engagées dans cette mission. Toutes les institutions de la République se sentaient impuissantes devant ce phénomène, se contentant de constater et de déplorer. Une argutie a même servi un certain moment pour expliquer maladroitement cette dérive: la demande sociale. On a eu le cynisme et l’outrecuidance de mettre l’accès à la culture et à la langue amazighes devant une situation de « marché » géré par la mécanique infernale de l’offre et de la demande.

On a voulu signifier à la société que l’offre existe- de par la volonté de l’État de mettre les postes budgétaires, les classes et les livres à la disposition des écoles ciblées-, et que seule la « demande sociale » n’a pas suivi! C’est là un concept fourré par lequel certaines parties, cachant à peine leur hostilité à toute cette entreprise de réhabilitation d’une partie importante de l’algérianité se défaussent de leurs responsabilités. 

Projets d’un site APS et d’un journal public en Tamazight

Le sujet de la promotion de Tamazight revient sur la scène à la veille de la célébration du 35e anniversaire du Printemps berbère et du 14e anniversaire du Printemps noir. Le sujet revient par le canal des pouvoirs publics qui comptent lancer « très prochainement » un site d’Algérie Presse Service (APS) en tamazight et qui « souhaitent » la création d’un journal national en Tamazight. Ces deux points ont été abordés jeudi dernier au cours de la signature d’une convention entre le ministère de la Communication et le HCA, portant sur la promotion de la langue amazighe dans les médias nationaux. S’agissant singulièrement d’un journal public en Tamazight que Hamid Grine dit souhaiter, il a sa petite histoire de revendication qui ne date pas de très longtemps. En effet, des journalistes et des animateurs de la culture amazighe ont eu déjà à saisir les autorités du pays pour la création d’un organe en Tamazight, au même titre que les organes publics existant en arabe et en français. Ce fut à l’occasion du 20 avril 2012. Les rédacteurs se sont adressés au ministre de la Communication de l’époque, Nacer Mehal. Aucune suite n’a été réservée au courrier en question, malgré des promesses informelles venant de ce même ministère. L’actuel ministre, Hamid Grine, a été interpellé par des journalistes à propos de cette demande, lors de la visite qu’il a effectuée à Bouira le 12 janvier 2015. Il répondra qu’il n’était pas au courant et qu’il allait vérifier dès son retour à Alger. 

La demande écrite par des journalistes et des animateurs culturels à l’ancien ministre de la Communication a fait le constat du paysage médiatique national, en soulignant la faible part revenant à la langue amazighe, malgré les efforts de l’État tendus vers la réhabilitation de la culture amazighe sous toutes ses facettes. « Depuis la promulgation de la loi 90-07 du 3 avril 1990 relative à l’information, le paysage médiatique algérien, dans sa variante de presse écrite, a subi une révolution que nous envient bien des pays. Cette mue a projeté au-devant de la scène le droit à l’information et la liberté d’expression, deux acquis démocratiques  obtenus après des sacrifices historiques consentis par les hommes de la profession et la jeunesse de notre pays », est-il écrit en introduction de la demande. Ensuite, il a été relevé la diversité de l’offre informationnelle, particulièrement dans le domaine de la presse écrite, mais limitée aux seules langues arabe et française. « La diversification de l’offre en matière de presse écrite est, incontestablement, liée à l’ouverture de cette activité aux personnes morales de droit privé ; ce qui, dès la fin des années 2000, a conduit l’éventail de la presse algérienne à compter une centaine de titres, entre quotidiens et hebdomadaires dans les deux langues : français et arabe. A ce niveau de réflexion, l’article défini « les », accolé au mot « langues », nous interpelle aujourd’hui puisqu’il limite les langues usitées en Algérie à la première langue nationale consacrée depuis l’indépendance par la Constitution et à celle héritée de la colonisation. Or, la diversité et la richesse de la culture algérienne vont au-delà de ces deux réalités ». Les rédacteurs rappellent dans leur lettre le processus de reconnaissance de Tamazight et les efforts consentis par les pouvoirs publics: « D’une façon officielle, Tamazight est déclarée, depuis 2002, comme seconde langue nationale à côté de l’arabe. La procédure avait requis un amendement constitutionnel intervenu suite à un congrès parlementaire ayant réuni les deux Chambres. Bien avant cette inscription dans la Constitution, Tamazight a fait son entrée dans le système éducatif algérien et dans l’Université à la fin des années 1990. Sur le plan médiatique, le gouvernement a pris en charge ce pan important de la culture nationale en créant une chaîne de télévision (TV4), ouverte aux différentes variantes de Tamazight. Même si cette expérience a un impact au niveau de la société elle demeure visiblement insuffisante au regard des défis charriés par le projet de réhabilitation de la culture amazighe. Le bilan de cette chaîne et des chaînes de radio amazighophones reste en tout cas à faire ». Il a été ainsi relevé la nécessité de promouvoir Tamazight sur des supports écrits, et de dépasser les simples expériences individuelles ou associatives qui manquent de moyens. « Au-delà de l’impérative nécessité du support audiovisuel dans la promotion de Tamazight, la voie et le support de l’écrit s’imposent de plus en plus, entendu que l’un des plus grands défis à relever pour la promotion de cette langue est justement son accès définitif au mode scriptural. Si l’école et l’université interviennent dans ce créneau, cela demeure lacunaire tant qu’un support écrit populaire ne met pas la langue à la portée de ses premiers utilisateurs. C’est pourquoi, dès la libéralisation du champ de la presse écrite en Algérie, des expériences- courtes, disparates, car privées de tout soutien- ont été menées par des collectifs ayant investi les rédactions de quelques journaux de statut privé. Ce fut le cas de l’hebdomadaire L’Hebdo n’Tmurt au début des années 2 000, de quelques revues éphémères et de l’expérience actuelle menée au sein de La Dépêche de Kabylie (un cahier central hebdomadaire de quatre pages) ». 

Des expériences à fructifier

Les auteurs de la lettre insistent sur les besoins d’information en Tamazight que développent les jeunes d’aujourd’hui et sur les débouchés de travail qu’il importe de réserver aux diplômés de l’enseignement universitaire formés en Tamazight: « Ces expériences, aussi modestes soient-elles, ont mis en relief les besoins immenses de la société en matière de lecture de la presse en langue amazighe, particulièrement chez les jeunes élèves étudiant cette langue à l’école et qui sont à la recherche de la matière écrite qui soit régulière, accessible et proche des préoccupations quotidiennes de la société. Ces expériences ont également révélé un autre phénomène, celui de débouchés professionnels que cherchent les diplômés en Tamazight de l’Université. En effet, pour cette catégorie de diplômés, le champ professionnel algérien offre une gamme très limitée de débouchés. L’exercice du métier de journaliste est censé atténuer cette limitation d’horizons ». La responsabilité de l’État dans la promotion de Tamazight est réitérée à l’occasion de cette demande de création d’un journal public en Tamazight: « Il tombe sous le sens que les pouvoirs publics algériens ont une grande responsabilité à assumer dans la mission de réhabilitation et de promotion de Tamazight. L’école, l’université la télévision et la radio sont imparablement des acquis à renforcer et à consolider avec le support de l’écrit que constitue le journal. C’est pourquoi, nous vous sollicitons aujourd’hui en vue de créer un journal quotidien de statut public en Tamazight ». Il est aussi rappelé les missions de service public que sont censés prendre en charge tous les organes publics: « Au même titre qu’El Moudjahid, Horizons, Echaâb, Ennasr et El Djamhouria », cet organe assurera la mission de service public dans une langue que l’Algérie tient à promouvoir et à développer. Toutes les expériences antérieures en la matière- que des équipes motivées et passionnées avaient menées dans des circonstances difficiles- seront investies dans cette nouvelle entreprise en vue d’obtenir un produit à la hauteur des espérances de notre jeunesse et de notre société en général », concluent les rédacteurs de la lettre transmise le 20 avril 2012 au ministre de la Communication, Nacer Mehal.

  Amar Naït Messaoud

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