Mer souterraine: fantasmes et réalités

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Depuis que le colonel libyen, Muammar Al Kadhafi Kadafi, a réalisé son grand aqueduc qui transporte l’eau du Sahara vers Tripoli et Benghazi, l’opinion publique algérienne, éreintée par le problème de la pénurie d’eau et frappée par le gigantisme de l’ouvrage et l’idée innovante qui le soutient, a mis en circulation une fabuleuse idée comme quoi l’eau pompée par les Libyens aux confins de l’Algérie appartient aux deux pays ; un bien commun du moment que la nappe du Sahara qui est exploitée serait la même. Elle chevaucherait sur les terres des deux pays. Au-delà de l’aspect anecdotique de la chose et du sentiment de frustration qui en est à la base, l’exploitation des eaux souterraines du Sahara a, depuis longtemps, été envisagée comme ultime solution pour résoudre le problème d’approvisionnement en eau potable et en eau d’irrigation non seulement du Sud algérien mais aussi des Hauts Plateaux et du Nord. Cependant, au vu des potentialités en eaux de surface et même en eaux souterraines dont disposent les territoires du Nord, le recours aux eaux sahariennes apparaît comme une coquetterie que ne peut- et ne doit- se permettre l’Algérie. Le Nord du pays reçoit, bon an mal an, quelque 12 milliards de mètres cubes de pluies. La politique de mobilisation des ressources hydriques n’a pas été le fort des gouvernements successifs depuis l’indépendance. Hormis les quelques barrages hérités de la colonisation (Beni Bahdel, le Ghrib, Ighil Temda, Erraguène,…), aucun ouvrage hydraulique de cette importance ne fut construit avant la décennie 1990. Le barrage de Djorf Torba de Abadla étant le mauvais exemple à ne pas citer. Ces anciens ouvrages n’ont même pas bénéficié des entretiens nécessaires (protection des bassins versants) qui assureraient leur longévité. Le barrage de Ksob, entre M’sila et Bordj Bou Arréridj, est un exemple éloquent d’une faillite programmée du fait de son envasement presque total. Sur les 12 milliards de mètres cubes de pluviométrie annuelle sur le Nord d’Algérie, il n’était récupéré que 3,8 milliards à la fin du siècle passé. Le reste de l’eau se déversait dans la mer ou, pour les réseaux endoréiques, vers les chotts (El Hodna, Melghigh,…). Ce n’est qu’avec les dernières réalisations que la mobilisation des eaux de surface commence à connaître une nette progression (barrages de Tilesdit et Kouditat, Acerdoune à Bouira, Taksebt à Tizi Ouzou, Medouar à Batna, Tichy-Haf à Béjaïa, Beni Haroun à Mila,…). D’ailleurs, le ministre des Ressources en eau, Abdelmalek Sellal, a envisagé dernièrement un projet de transfert d’eau de certaines ouvrages des montagnes du Tell (Erraguène et Tichy-Haf) sur les Hauts Plateaux de Sétif et M’sila pour l’AEP et pour l’irrigation. Le barrage de Koudiat Acerdoune, quant à lui, desservira dès sa phase opérationnelle, outre Alger, Boumerdès et la vallée de l’Isser, la région de Boughezoul où un projet de Ville-Nouvelle est inscrit.Reste la partie sud du territoire national où les possibilités d’exploitation des eaux de surface sont nulles. En effet, sous ces climats arides, certaines régions ne reçoivent que 10 à 20 millimètres de pluies par an. Les anciens puits creusés par les habitants du Sahara- et qui atteignent parfois jusqu’à 80 m de profondeur-, les forages peu profonds hérités de la période coloniale et les rares sources émergeant à la surface du sol constituent de piètres réserves face à la demande toujours grandissante des populations et des entreprises installées dans la région. Lorsque certaines foreuses de pétrole, travaillant à des profondeurs jamais atteintes auparavant, tirent de l’eau au lieu des huiles pétrolières, l’idée d’une nappe souterraine a jailli avec l’eau. Mais, sous un climat strictement aride comme celui d’Edjélé, In Aménas, Illizi ou Hassi Messaoud, une nappe d’eau, quelle que soit sa profondeur, ne peut avoir pour origine un régime pluvial puisque ce dernier n’existe tout simplement pas. De là, sont venues les premières hypothèses consistant à dire que la nappe en question est constituée d’eaux fossiles piégées dans des structures géologiques assez complexes. Des études ont montré que les eaux du Sahara sont des eaux ‘’géologiques’’ ou fossiles, c’est-à-dire, ayant été emmagasinées lors de la formation des substrats dans lesquelles elles sont piégées. De ce fait, c’est une ressource non renouvelable, comme le pétrole. Des études de l’hydrogéologie du Sahara ont été initiées depuis fort longtemps : BSGT (1894), Gouskof (1946), Karpoff (1952), Cornet (1964). D’autres études ont suivi au cours des années 1970/80, menées par l’UNESCO et le PNUD dans une perspective pratique d’utilisation des eaux du Sahara pour les besoins de l’agriculture en cherchant à en connaître les coûts.Des études relatives au système aquifère saharien, il résulte que deux grands ensembles sont en présence et qui sont parmi les plus grands bassins hydrauliques souterrains du monde : un système aquifère profond appelé Continental intercalaire datant de l’Albien (environ 135 millions d’années) et un autre système appelé Complexe terminal remontant au mio-pliocène (2 à 5 millions d’années). La réserve théorique totale de ces deux systèmes est évaluée à 60.000 milliards de mètres cubes d’eau. Pour donner et illustrer schématiquement l’importance d’un tel volume, on peut supposer qu’avec une consommation annuelle de 5 milliards de mètres cubes (ce qui se rapproche de la consommation algérienne), la réserve du Sahara sera utilisée pendant…12 siècles ! Cela reste, bien sûr, du domaine de la théorie du moment que certaines difficultés d’exploitation surgissent dès que l’on aborde la phase pratique. Les coûts d’exploitation et d’adduction, la valeur stratégique d’une ressource non renouvelable et d’autres facteurs environnementaux (salinité de certains terrains, corrosion du matériel de forage,…) doivent nécessairement limiter l’emploi de eaux souterraines du Sahara. Mais, dans l’état actuel du développement du Sud algérien, l’utilisation de ces eaux demeure restreinte aux entreprises pétrolières et parapétrolières et à l’ébauche d’une agriculture irriguée dans la région d’Adrar. Le nouveau plan de développement décidé par le Conseil des ministres de samedi passé constituera sans doute une amorce pour une exploitation plus efficiente- avec les précautions requises en matière de rationalité- des eaux souterraines du Sud algérien.

A. N. M.

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