Comment se défaire des camisoles de la pensée ?

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L’inauguration officielle du Festival « Constantine, capitale de la culture arabe », prévue pour ce jeudi, échappera difficilement aux relents de la polémique engagée depuis plusieurs semaines sur cet événement pour lequel le gouvernement a mobilisé 700 milliards de centimes, sous réserve de dépenses imprévues. Si les anciennes controverses- sur le Festival panafricain, « Tlemcen, capitale de la culture islamique,…- s’étaient limitées à l’aspect jugé folklorique et de prestige de toutes ces manifestations onéreuses, lesquelles n’étaient jamais suivies d’une politique permanente en matière d’activité et d’industrie culturelles, cette fois-ci, le point de discorde qui n’a pas eu l’heur de s’élever au niveau d’un débat serein, aborde un aspect fondamental, d’une extrême sensibilité à savoir le fondement identitaire du pays. Le libellé de la manifestation ne semble pas rendre compte de la diversité de la culture algérienne et de l’accumulation historique qui s’y est produite, depuis la protohistoire jusqu’à la wilaya II de la révolution (le Nord-Constantinois). Ce qui était légitiment reproché et sans grand fracas à l’intitulé du festival, à savoir l’occultation pure et simple de la dimension amazighe dans la capitale de… Massinissa, a été précipité perverti et manipulé par l’intervention d’un certain Othmane Saâdi qui, contrairement à la connaissance élémentaire et basique de l’Histoire, déclara que Constantine a toujours été arabe, du temps même des couloirs phéniciens sur la Méditerranée ! Dégoulinant de stupidité et sans doute aussi de sénilité il ira jusqu’à affirmer que les Arabes connaissaient le Brésil et l’Amérique latine en ces moments reculés de l’Antiquité ! Il serait bien dommage que de telles élucubrations fassent capoter une manifestation culturelle nationale supposée travailler au renforcement de l’unité des enfants d’un même pays, étaler les richesses et beautés de son fonds culturel immémorial et rehausser l’attractivité touristique de la région et du pays tout entier. Il en est tout autrement dans l’esprit de ces revanchards, les « tard-venus » de l’Histoire, comme les nomme feu Mostefa Lacheraf; ceux qui tentent de compenser leur déficit d’engagement et leur ignorance crasse par un surcroît de nationalisme stérile.

Que l’on se souvienne du 5 juillet 1999, lorsque le président Bouteflika brisa un tabou- comme tous les tabous qui plombent la mémoire et l’histoire de ce pays-, celui de la présence juive à Constantine. Une ville où cette communauté a été très présente, depuis l’antiquité berbéro-romaine, jusqu’à la guerre de Libération, en passant par les flux andalous de Musulmans et de Juifs chassés par la Reconquistat et trouvant refuge en Afrique du Nord. Le président de la République déclarait sur la place même de la ville, et ce, à l’occasion du 2500e anniversaire de sa fondation : « Il y a lieu de signaler que les habitants juifs, et ils étaient nombreux, ont joué un rôle dans la préservation du patrimoine commun, coutumes, vêtements, arts culinaires et vie artistique ». La ville du Vieux-Rocher avait également donné naissance à l’un des meilleurs représentants de la littérature algérienne francophone, à savoir Malek Heddad. La colonisation y a laissé des œuvres architecturales de haute facture avec lesquelles les extensions actuelles (Aïn El Bey, Ali Mendjelli) auront du mal à rivaliser. Les Turcs aussi y ont laissé leurs empreintes. Mais le fonds historique demeure berbère. Autrement dit, et n’importe quel anthropologue conviendra que, comme il n’y pas de pureté raciale- comme l’a soutenu un penseur humaniste, il y a une seule race, c’est l’Homosapien-, il n’y pas non plus de pureté culturelle. La culture, ce sont les expériences, les pratiques et l’inconscient collectif d’une communauté qui évoluent d’une façon permanente. Et c’est pourquoi l’intitulé de la manifestation culturelle de Constantine, qui se déroulera sur une année, est maladroitement choisi et mis en relief. Constantine, c’est le concentré de toute la culture algérienne qui remonte à plus de 3000 ans, où se sont succédés et brassés plusieurs épisodes : l’épisode amazigh de la Numidie, l’épisode romain puis byzantin avec la religion chrétienne, le schisme donatiste (sorte de rébellion religieuse berbère mue par une revendication d’égalité sociale), la conquête arabe et son apport civilisationel cristallisé dans la religion musulmane, les royaumes berbères musulmans (qui demeurent quasi méconnus auprès des élèves et des étudiants), l’occupation turque, la colonisation française, la guerre d’indépendance et la période postindépendance.

Au vu de ce continuum historique, Constantine, lorsqu’on décide d’y célébrer la culture sous toutes ses déclinaisons et l’effort de l’homme algérien à traverser les siècles, se passerait allègrement de cet ostracisme qui en fait juste une « capitale de la culture arabe ». Constantine est la capitale de la culture algérienne. Du moins, devrait-elle l’être. La ministre de la Culture, Mme Nadia Labidi, avec un grand panache, a essayé autant que faire se peut, de corriger le tir, de sauver la face de ce qui est présenté comme un grand programme engageant tout le gouvernement. Étant sur tous les fronts médiatiques, elle explique que le « programme de cette manifestation consacrera les dimensions amazighe et arabo-musulmane de la ville, notamment à travers les rencontres qui mettront en exergue la dimension historique de la cité ». Cet engagement de sa part est-il suffisant pour effacer le sentiment d’injustice et d’ostracisme affectant un pan entier de la culture et de l’histoire algériennes ?

                                                                   

Amar Naït Messaoud

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