Ça se fête comment le 1er mai ? On est loin des défilés des chars fleuris et des travailleurs de tous les secteurs en tenues de travail battant le pavé de la rue de l’ALN et défilant joyeusement. Autre temps, autre mœurs. Aujourd’hui, on évoque cette date dédiée au monde du travail timidement. On bâcle cette fête par des marathons, des collations, des réceptions, des hommages aux syndicalistes, des dépôts de gerbes de fleurs sur leur sépulcre et on rentre chez-soi satisfait du devoir accompli d’une célébration expédiée en un geste trois mouvements. Point d’évocation relatant les massacres qui ont eu lieu ce jour-là en Algérie. En fait que s’est-il passé il y a 70 ans, à la même date. La France coloniale s’était illustrée violemment à l’encontre de manifestants algériens célébrant, emblème national en tête, la Fête des travailleurs. A Alger et Oran, des militants du Parti du Peuple Algérien (PPA), des Amis du Manifeste, syndicalistes et de jeunes scouts avaient prévu de défiler pour réclamer la libération de Messali Hadj, déporté la veille (30 avril 1945) à Brazzaville, et celle de militants emprisonnés. Dans ces villes et aussi dans d’autres, les Algériens sortirent massivement pour clamer leur droit d’exister, d’obtenir leur indépendance, et pour que la France suive l’exemple de la Grande-Bretagne qui, après la seconde guerre mondiale, accepta de se retirer de ses colonies. Annie Rey Goldzeiguer, dans son ouvrage intitulé «Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945 : de Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois», publié aux Éditions La Découverte, coll. Textes à l’appui, 2002, 403 p. rapporte que «l’événement avait été minutieusement préparé par les militants algériens avec à leur tête l’homme politique disparu, Ferhat Abbas. Face aux protestataires, écrit-elle, les autorités coloniales mobilisèrent un impressionnant dispositif, autant à Alger, Oran, Sétif que Guelma. L’objectif visait à contrecarrer la marche des manifestants en réprimant par le sang, s’il le fallait, le mouvement. A Alger, la police coloniale réprima sauvagement les manifestants qui défilaient dans le centre de la ville et en banlieue. Annie Rey Goldzeiguer signale que les Européens résidant aux abords de la rue d’Isly, l’actuelle rue Larbi-Ben-M’hidi, tirèrent sur les manifestants, tuant plusieurs d’entre eux. Anne Rey-Goldzeiguer retrace alors minutieusement «l’escalade de la peur et de la haine » dans «la première semaine de mai» (p. 246). À l’occasion du 1er mai, le PPA organisa des manifestations séparées de celles des syndicats, manifestations dans lesquelles devait apparaître le drapeau algérien, mais qui devaient rester pacifiques ; des affrontements se produisirent pourtant, notamment à Alger et à Oran. De nouvelles manifestations furent prévues pour le 8 mai, à l’occasion de la capitulation allemande, afin «de rappeler aux Alliés, encore présents, les revendications algériennes» (p. 286) ; malgré les tentatives de certains éléments du PPA, elles devaient elles aussi rester pacifiques et les responsables des AML et du PPA cherchèrent «la plupart du temps à calmer les choses» (p. 286), «voire à collaborer avec les autorités » (p. 290). Les manifestations eurent lieu massivement dans toute l’Algérie, mais sans aboutir aux violences qui se déchaînèrent dans les régions de Sétif et de Guelma. Après avoir étudié les aspects complexes de la spécificité du quadrilatère constantinois, afin de mieux comprendre comment les manifestations purent y dégénérer, l’auteur retrace, du double point de vue des Algériens et des Européens, non seulement la journée du 8 mai, mais le mouvement insurrectionnel qui se développa les jours suivants et dont elle souligne l’ampleur, ainsi que la répression impitoyable qui s’ensuivit, menée « sans états d’âme » (p. 233) par l’armée, mais aussi par les Européens qui formèrent des milices prêtes à tous les excès, double répression à laquelle succéda une répression policière et judiciaire qui s’étendit à toute l’Algérie. Autrement dit, quelles conclusions pourrions-nous tirer de ces événements annonçant, quelques jours après les massacres du 8 mai 1945, durant lesquels le régime colonial s’adonna à une démonstration de cruauté et d’extrême sauvagerie à l’encontre de manifestants algériens réclamant l’indépendance de leur pays, massacrant 45.000 parmi eux, à Sétif, Guelma, Kherrata, Béjaïa, et d’autres agglomérations du Constantinois. Bien que les plus hautes autorités françaises, à leur tête François Hollande, aient reconnu les brutalités des leurs à l’encontre de manifestations pourtant pacifiques, elles ne sont pas allées jusqu’à la repentance à l’égard du peuple algérien. Il y eut » même ceux qui ont poussé l’outrecuidance en répondant par un bras d’honneur à la demande des Algériens. Que la France se refuse à présenter son mea culpa pour toutes les horreurs commises contre tout un peuple qui ne réclamait rien d’autres que la souveraineté pleine et entière de sa patrie…
Sadek A. H.
