Long et exaltant parcours

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Les journalistes algériens tiennent à marquer la Journée mondiale de la liberté de la presse, les uns par une marche, où ils comptent réitérer les revendications socioprofessionnelles et dénoncer la tentation « révisionniste » en matière de liberté d’expression, les autres par des cérémonies de recueillement ou de retrouvailles, permettant d’évaluer le parcours de la presse en Algérie et l’ensemble des activités des autres médias assurant la même mission.

Une certitude est acquise: quelle que soit la manière avec laquelle la corporation tient à marquer cette journée, y compris la présente modeste contribution, les hommes et les femmes de la presse, en Algérie, tiennent à pérenniser un acquis arraché de haute lutte par les enfants d’Octobre 1988. Certains des journalistes exerçant aujourd’hui dans les rédactions de quotidiens, de radios ou de chaînes de télévision étaient à peine nés à cette date-là. La chape de plomb qui a pesé sur la société pendant un quart de siècle, tout en s’inspirant des dictatures similaires de l’époque sévissant en Europe de l’Est et dans les pays du Tiers-monde, bénéficiait des circonstances aggravantes qu’étaient la rente pétrolière, qui permettait d’acheter le silence des masses jusqu’à nouvel ordre (chute des prix du pétrole en 1986), et l’usage coercitif qui était fait de la langue arabe. Une anecdote qui en dit long sur cette dernière « arme » destinée à bâillonner les voix les moins révérencieuses: le journal « La République » d’Oran, quotidien public écrit en langue française et dirigé alors par le talentueux Bachir Rezzoug, disparu en 2008, deviendra en 1976 « Al Djoumhouria », en arabe, en guise de sanction pour des positions jugées alors en « discordance » par rapport à la politique générale du pouvoir de l’époque, particulièrement la révolution agraire. Les caricatures du jeune Tayeb Arab n’avaient ajouté que plus de mordant et d’impénitence à une rédaction qui cadrait peu avec le monolithisme de la pensée.

Les journalistes algériens d’aujourd’hui bénéficient indubitablement du capital hérité des premières plumes qui avaient, dans une adversité extrême, ouvert la voie vers le professionnalisme, l’esprit critique et la liberté d’expression. C’est dans les circonstances les moins favorables qu’avaient émergé les noms de Tahar Djaout, le premier martyr de la corporation, de feu Abdelkrim Djaâd, de Abdou Benziane et d’autres encore dont on ne peut citer ici les noms. Ces hommes et ces femmes ont continué le travail entamé par les Abdelkader Safir, Z’Hor Zerrari et d’autres encore juste après l’Indépendance du pays.

Vingt-huit ans après, l’Algérie entame ce que certains journalistes des années 1990 ont appelé une « aventure intellectuelle », et ce, après la publication de la loi 90-07 du 3 avril 1990 relative à l’information qui, en son article 4, stipule notamment: « L’exercice du droit à l’information est assuré notamment par (…) les titres et organes créés par les personnes physiques ou morales de droit algérien ». Bien que l’article visé cible tous les moyens d’information (radio, télévision, presse écrite [à l’époque, le réseau internet n’existait pas encore]), seule la presse écrite se lancera dans cette aventure. Les journalistes professionnels du secteur public intéressés par la nouvelle perspective bénéficièrent de trois années de salaires afin de contribuer à fonder leurs titres. Une maison de la presse, 1, rue Bachir Attar, qui prendra par la suite le nom du premier journaliste algérien assassiné par les terroristes en mai 1993, Tahar Djaout, sera le point de départ d’un rayonnement qui ne cesse, à ce jour, d’évoluer et de prendre d’autres facettes. 

La subversion terroriste a tenté d’arrêter la liberté de la presse et la liberté tout court. Ce sont des dizaines de journalistes qui tomberont entre 1993 et 1998. Le siège même de la Maison de la presse a été plastiqué le 11 février 1996, entraînant la mort des journalistes Allaoua Aït Mebarek, Mohamed Dorban et Djamel Derraza exerçant au Soir d’Algérie. 

La presse indépendante s’est dressée comme un des précieux remparts contre l’entreprise de destruction de l’Algérie et de son renvoi à un obscurantisme moyenâgeux. Du même coup, elle a vaillamment résisté à toutes les tentatives venant du pouvoir politique visant à museler la liberté d’expression au nom d’arguments pour le moins indéfendables.

Deux journées pour célébrer le quatrième pouvoir

Aujourd’hui, pour célébrer la liberté de la presse et travailler à sa consécration définitive dans la législation nationale et dans la pratique quotidienne, les journalistes algériens disposent de deux journées: l’une, mondiale, le 3 mai, proclamée depuis 1993 par l’Assemblée générale des Nations Unies; l’autre, nationale, le 22 octobre, instaurée par le président de la République en 2013. Cette floraison de journées à célébrer par les hommes de la presse nationale, lorsqu’on y ajoute la Journée internationale de la déclaration des Droits de l’homme, la fête du Travail et d’autres célébrations connexes, signifie-t-elle que la liberté de la presse a atteint un tel niveau de liberté qu’il y a lieu d’en faire les éloges à tout bout de champ, ou bien, au contraire, que ces journée devraient être l’occasion pour la corporation et la société civile de revendiquer plus de liberté de dignité et de considération pour un métier censé consacrer au moins deux principes majeurs des fondements de la démocratie: la liberté d’informer pour les professionnels du métier et le libre accès à l’information pour tout le monde ? Incontestablement, en Algérie ou ailleurs dans le monde, il n’y a pas de situation idéale par laquelle on pourrait déclarer « clos » le sujet de la liberté de la presse, ce dernier terme étant entendu sous toutes ses déclinaisons (presse écrite, radio, télévision, médias internet). Là où, dans les pays industrialisés, la démocratie a enregistré des pas importants, le libéralisme économique et les grands conflits d’intérêt n’ont pas manqué de rogner des espaces à la liberté d’expression; il est vrai que cela se fait généralement de façon insidieuse, loin des brutalités connues des pays du Sud. L’empire de l’argent a ses propres ressorts pour former l’opinion et faire passer le message de l’idéologie dominante. Le caractère « soft » de la prestidigitation n’enlève rien à la nature pervertie du message transmis et du brouillage de cartes entrepris. Cela s’est vérifié particulièrement à l’occasion des guerres des vingt dernières années menées au nom de la lutte contre le terrorisme dans le monde. L’une des guerres médiatiques des temps modernes, faisant la leçon sur l’intervention « propre » de soldats américains, est assurément celle menée par CNN lors de l’invasion de l’Irak au début des années 1990. Depuis lors, la technologie et, avec elle, les sophistications technico-idéologiques, se sont considérablement accrues.

L’on n’a pas qualifié la presse de quatrième pouvoir juste par une sorte de « lubie » de façon à allonger la liste des pouvoirs secrétés par l’Histoire des sociétés. Depuis que la galaxie Gutenberg (presse papier) a évolué en galaxie Marconi (TV, radio), puis en galaxie numérique à travers le réseau des réseaux (le Web), l’information revêt un caractère stratégique de plus en plus élaboré. Sans doute, le sens de quatrième pouvoir n’a jamais été aussi prégnant et aussi revêtu de sens qu’au cours de ces dernières années.

Pour rendre l’information plus efficace dans la société et mieux l’ancrer dans ses réalités culturelles, l’investissement dans les médias en Tamazight paraît comme une nouvelle tendance qui gagne peu à peu sa place dans le paysage médiatique national. Si les écrits de presse restent encore timides, se réduisant à quelques feuilles hebdomadaires, le gouvernement s’est engagé il y a quelques semaines, dans un projet de site APS dans cette langue et compte aussi mûrir l’idée d’un journal public en Tamazight.

Amar Naït Messaoud 

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