Le ministère de la Culture prépare, pour une échéance très proche mais qui n'est pas encore définitivement arrêtée, une conférence nationale sur la culture. On assure, sur le site web du ministère, que cette rencontre se prépare "activement".
Il s’agit de rassembler tous les acteurs de la vie culturelle artistique en Algérie pour un « débat libre ». L’intérêt que semble développer le ministère de tutelle pour la valorisation de tous les aspects de la culture nationale est à suivre scrupuleusement pour le maintenir dans ses objectifs déclarés de travailler au profit de la société sans s’inscrire dans une temporalité quelconque. En effet, l’Algérie a hérité d’une espèce de folklorisme qui a pour noms campagne, salon, festival, mois (du patrimoine, par exemple, puisqu’on y est du 18 avril au 18 mai), année (de l’Algérie en France, comme on l’a vu il y a quelques années de cela), capitale (de la culture arabe ou islamique), etc. S’il y a une activité ou un domaine de la société qui se prête le moins à de telles échéances budgétivores, c’est bien la culture. Cette dernière est d’abord une donnée anthropologique, faisant partie à la fois de la vie quotidienne, de la société et de l’inconscient collectif. En se déclinant en activités ou en industrie, la culture se donne ainsi les moyens d’être vécue pleinement par la communauté d’être partagée et inscrite dans l’universalité. La prochaine conférence sur la culture, telle qu’elle est présentée par le ministère de tutelle, « répond à la volonté du gouvernement d’être à l’écoute des préoccupations et des besoins du monde des arts et de la culture ». Elle compte aussi associer « la communauté des artistes et des hommes de culture du pays, ainsi que les intervenants dans le secteur culturel, à la mise en œuvre et au développement de la politique culturelle du pays ». L’esprit de concertation que semble dégager la plate-forme préliminaire élaborée par le département de Mme Nadia Labidi a cruellement fait défaut à l’ensemble des politiques publiques mises en œuvre jusqu’à présent. C’est dans une espèce de monologue assourdissant qu’ont évolué les politiques culturelles jusqu’ici, laissant à la marge les acteurs réels de la société depuis la modeste association de quartiers jusqu’aux intervenants majeurs dans les différents domaines de la culture nationale. Cela a abouti non seulement à une neurasthénie générale qui fait table rase des valeurs profondes, créatrices, humanistes et « thérapeutiques » de la culture, mais également à une dépense publique budgétivore qui n’a pas échappé aux séries de scandales qui ont grevé la gestion des deniers publics dans notre pays. Certains soutiens ou aides apportés par exemple au domaine de l’édition lors de festivals à grand renfort d’argent ont même pesé sur la qualité des ouvrages, d’autant qu’il n’y a pas d’autorité morale ou académique qui puisse arbitrer pour les œuvres de valeurs dans le domaine de la production littéraire, théâtrale ou cinématographique. Franchement, l’intitulé de « conférence nationale sur la Culture » demeure teinté d’un préjugé défavorable auquel l’actuelle ministre est, bien entendu, complètement étrangère. Cela rappelle, pour les défenseurs et militants de la culture amazighe des années de plomb, tous les fourvoiements et toutes les diableries du pouvoir politique d’alors, qui avaient consisté à enserrer et contenir la revendication d’une culture nationale authentique dans une espèce d’exotisme de pacotille, et ce, sous le généreux, mais…limité principe de la défense du patrimoine. Voici un vocable qui a régné pendant des années et qui a formé une sorte de barrière difficilement franchissable pour accéder à l’essentiel; à une revendication portée à bout de bras, pendant plusieurs décennies, par des millions de citoyens.
Par-delà les infrastructures et le verbiage
Le premier faux débat qui fut imposé à la société dans ce domaine, c’était en 1976, lors du projet de référendum sur la Charte nationale, sorte de vote concomitante assurée à la Constitution de la même année, venue quelques mois plus tard. À l’époque, sous le Conseil de la révolution et sous le règne du parti unique, il n’y avait de presse autre que gouvernementale. Donc, il n’y avait pas de place pour les caricaturistes de génie comme on en voit aujourd’hui. Cependant, la rue était très repue de gouaille populaire, tournant en dérision tout ce qui ne pouvait pas être supporté par la raison; sinon, ce serait la déraison, la folie. Un fou, ayant été rendu dans cet état par les tortures de l’armée française parce qu’il avait un frère maquisard, criait alors dans la ville de Aïn El Hammam: « après la tarte, la constipation » (entendez: après la Charte, la Constitution). Il n’est pas si fou que ça, Mehenna; c’est son prénom. Le débat sur la Charte nationale, imposé par le FLN de l’époque, se transforma, en Kabylie, en réquisitoire contre la pensée unique et contre la vision de la culture telle qu’elle y fut développée. Un simple prolongement des thèses du congrès de Tripoli où l’on a chanté l’hosanna et lancé des hourras pour l’arabo-bâathisme. La montée de la revendication berbère dans la clandestinité a permis de bien perturber les faux débats culturels de l’époque et de renvoyer les émissaires du parti dans leurs pénates. Le second débat sur la culture a été lancé par le même parti unique au lendemain de l’explosion du 20 avril 1980. C’était un tour de prestidigitation destiné à « calmer le jeu » et à faire gagner du temps au régime politique. Élève de terminale au lycée Mostefa Benboulaid de Aïn El Hammam, j’ai participé au débat présidé par l’ancien directeur de l’ITE de Tizi Ouzou, feu Boukhalfa Bitam. Le point focal de tous les intervenants était la consécration de l’amazighité sous toutes ses déclinaisons: langue, identité et culture. Quelques mois plus tard, le gouvernement sortit sa solution miraculeuse de ce débat: institution d’un secrétariat d’État aux cultures populaires, présidé par l’actuel président de l’APN, Larbi Ould Khelifa, et création d’un Institut des cultures populaires à…Tlemcen. Après tant d’années de fourvoiement et de manœuvres tendant à retarder l’échéance de la reconnaissance de la culture et de l’identité algériennes dans toute leur profondeur historique, l’Algérie ne pouvait plus continuer à se renier. La diversité de la culture algérienne est aujourd’hui bien établie, loin du monolithisme arabo-islamique. Donc, si, aujourd’hui, une conférence nationale sur la culture est organisée, ce n’est pas pour « redéfinir » la culture algérienne. Il s’agit plutôt de mobiliser les moyens qu’il faut pour revivifier cette culture, encourager la production de l’esprit sous toutes ses formes (littérature, théâtre, cinéma, peinture, musique, réhabilitation des sites historiques,…) et hisser cette même production aux valeurs esthétiques universelles qui portent l’empreinte sigillée de l’algérianité. Après tant d’années et de milliards de dinars consacrés aux infrastructures culturelles, il est temps de les rentabiliser, d’y faire vivre la culture algérienne authentique, d’insuffler la curiosité culturelle et l’espoir à une jeunesse en perte de repères, happée par une stérile course aux joujoux technologiques.
Amar Naït Messaoud

