Une vie au service de la liberté

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Par S. Aït Hamouda

Incontestablement, Henri Curiel demeure, 37 ans après sa disparition le 4 mai 1978, à Paris, une personnalité emblématique de la lutte des peuples pour leur souveraineté et leur liberté. Il a, tout au long de sa vie, été un militant actif et sans concession des causes justes. Iconoclaste, ce juif égyptien n’a été chez lui nulle part. Ce communiste orthodoxe, sans feu ni lieu, a toujours été rejeté là où il allait. Il n’était admis ni des communistes ni des socialistes. Le 4 mai 1978, Henri Curiel est abattu de trois balles, au pied de son ascenseur, en sortant de son immeuble du Ve arrondissement de Paris. Ainsi prenait fin l’un des parcours les plus secrets et les plus passionnants du XXe siècle. Curiel, juif d’Egypte, a fondé les partis communistes égyptien et soudanais. Exilé en France avec un statut d’apatride, il rejoint les réseaux Jeanson pendant la guerre d’Algérie puis crée Solidarité une organisation de soutien aux militants anti-impérialistes de la Terre entière, des soldats américains déserteurs au Vietnam aux militants anti-apartheid. Son assassinat, revendiqué par Delta, un groupe d’anciens de l’OAS, n’a en fait jamais été élucidé. L’enquête de Jean Charles Deniau, menée au SDECE, l’ancêtre de la DGSE, les services secrets français, alors en pleine guerre larvée avec l’Algérie, a levé pour la première fois un coin de voile, sur ce crime d’Etat. Pourquoi a-t-on assassiné Henri Curiel ? Pour Abdellah Zekri, un ancien membre de l’Amicale des Algériens d’Europe, « c’est parce qu’il était l’allié des Algériens et l’ennemi de l’armée française ». « Curiel était le diable. Celui qui a contribué à la défaite politique de la France en Algérie. Il a poignardé l’armée coloniale dans le dos », pensait-il. Pour Gilles Perrault, Curiel était un homme à part : « Il incarnait tout ce que les militaires français et membres de l’OAS ont haï pendant la guerre d’Algérie ».

Un militant des causes justes

Henri Curiel était un militant actif en faveur des droits de l’homme et de l’autodétermination des peuples opprimés : il a soutenu le mouvement sud-africain ANC ; il a également lutté pour la chute des dictatures en Amérique du Sud. Mais son vrai combat, c’est le Proche-Orient. Il a mis toute son énergie pour rapprocher Israéliens et Palestiniens. Quelques semaines avant son assassinat, il voulait retourner en Algérie. Sans doute pour se mettre à l’abri. Et même si la police française a soupçonné l’ex-SDECE d’être derrière la mort de Curiel, son avocat Benoît Domenach reconnaît que le juge d’instruction est constamment freiné dans sa démarche. C’est sans doute un signe que les assassins de Curiel sont au cœur du pouvoir français ou coulent des jours meilleurs sur la Croisette. Le nom d’Henri Curiel est ressorti publiquement ces derniers mois, suite à la parution du « Roman vrai d’un fasciste », signé par Christian Rol. On y apprend que René Resciniti de Says, parachutiste, instructeur militaire et membre de l’Action française, décédé en 2012, aurait, selon ses propres dires, assassiné le militant communiste anticolonialiste, au pied de son ascenseur. En guise de portrait, nous publions un extrait de l’ouvrage de Gilles Perrault, (de son vrai nom Jacques Peyroles, un écrivain et journaliste français, né le 9 mars 1931 à Paris. Il a utilisé le pseudonyme de Gilles Perrault pour ses premiers romans), « Un homme à part », paru en 1984. La scène se déroule à la prison de Fresnes, après son arrestation, en 1960, pour sa participation au réseau Jeanson lors de la Guerre d’Algérie. « Métis de deux sociétés, il a trop pris de chacune pour n’être acceptable à aucune. Contradiction apparemment insoluble. Il va la résoudre en fabriquant du plus avec du moins, en transformant ses handicaps en atouts. Opération possible à condition de se situer à un niveau d’extraordinaire modestie. Car, s’il a rêvé jadis – nous n’en savons rien – d’être le Lénine de l’Égypte, ou plus récemment de s’insérer dans le jeu politique français à un niveau de direction – c’est peu probable &ndash,; ces ambitions sont désormais obsolètes. Il sera homme charnière ». Il est né le 13 septembre 1914 au Caire et est enterré au cimetière du Père-Lachaise. Il est le père du journaliste Alain Guesh. Henri Curiel était  fervent anticolonialiste, passant sa vie à militer en faveur des mouvements de libération nationale, notamment en Afrique. Dès 1956, il s’est consacré à l’indépendance de l’Algérie en créant le Mouvement anticolonialiste français, mais surtout en développant l’action clandestine au sein du « réseau Jeanson » des « porteurs de valises » pour un soutien logistique aux militants de la cause nationale. Il s’était investi à fond dans son action et avait mis à la disposition des Moudjahidine du Front de libération nationale en France toute l’étendue de son savoir-faire en matière de militantisme. Quand le « réseau Jeanson » avait été ébranlé par plusieurs arrestations, en 1960, Henri Curiel avait pris la relève des réseaux de «porteurs de valises» et avait mis en place un réseau similaire qui a porté son nom. « Il a été vraiment un révolutionnaire au sens qu’il a épousé un certain nombre de causes importantes dans le monde, qu’elles soient anticolonialistes ou antifascistes », disait de lui Jean Tabet, militant de la cause nationale et un des responsables au sein du réseau « Curiel » à l’époque. En raison de son engagement en faveur de la l’indépendance de l’Algérie, il a été arrêté le 20 octobre 1960, puis emprisonné 18 mois à Fresnes avant d’être libéré après la signature des accords d’Evian. 

Un assassinat « politique » revendiqué

Henri Curiel poursuivra sa lutte contre le colonialisme en formant des militants pour d’autres causes. Il servira d’intermédiaire, également, dans les années 1970, à des contacts entre pacifistes israéliens et palestiniens, avant son assassinat en 1978. Le feu vert pour le meurtre aurait été donné à ses assassins par Pierre Debizet, le patron du SAC (Action civile unique), la milice du parti gaulliste. En janvier 2013, l’historien Gilles Manceron, en parlant de l’assassinat de Curiel et s’appuyant sur un ensemble d’enquête et de témoignages « récents, crédibles et concordants », avait évoqué la responsabilité du Service français de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) dans cette affaire. M. Manceron avait soutenu que « si un tel assassinat a été commis par le SDECE, il l’a été avec l’aval du président de la République » qui était alors Valéry Giscard d’Estaing. Les archives des services secrets français sont jusqu’ici restées inaccessibles pour mettre la lumière sur ce meurtre entouré de mystère. Le député français écologiste Noël Mamère avait réclamé la création d’une commission d’enquête, ce qui est, a-t-il dit, « une nécessité » pour la mémoire collective, en qualifiant ce crime de « véritable assassinat d’Etat ».

S.A.H. 

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