Aït Bouadha, ce petit bourg dans la municipalité d’Azazga sur les hauteurs de Kabylie, aura sans doute vécu, hier, un jour mémorable de son histoire, avec cette virée, mise sous les feux de la rampe, de Yacine Brahim, l’enfant prodige de la sélection nationale de football et du FC Porto.
Cette localité dont sont issus la maman et les oncles maternels de ce « bout d’homme » propulsé plus que jamais sous les projecteurs, le revendique désormais manifestement. Elle a d’ailleurs prévu les choses en grand pour sa venue. Loin du cérémonial officiel pompeux, en dépit de la présence du chef de daïra, le village l’a voulu toutefois une visite, une fête, un grand moment de partage en famille, entre voisins, entre villageois… Une récompense, une reconnaissance, un chapeau bas des siens en somme ! Et Yacine y a adhéré visiblement pleinement. Le geste lui est allé vraisemblablement doit au cœur. En témoigne sa présence au rendez-vous en toute simplicité avec toute sa famille ! Papa, maman, le petit frère, la grand-mère… tous étaient là avec lui. Et pourtant, ce n’était pas évident. Yacine aurait pu être à mille lieux de là et pourquoi pas à Berlin pour la finale de la Ligue des champions, surtout qu’on lui prête des touches avec les Bavarois entre autres ! Mais entre la passion et le cœur, les choses ont été vite tranchées pour lui. Parmi ses proches, on avoue qu’il n’a pas été facile de caser le rendez-vous, mais il fallait le faire : Pour maman et pour ses origines et tout ce village qui s’est mobilisé pour lui, notamment ces jeunes qui ont tout claqué des jours durant pour lui rendre cette journée la plus agréable possible. Et à la veille de l’examen du bac s’il vous plait ! Aït Bouadha s’est mis sens dessus dessous rien que pour lui. Comité d’accueil, comité de vigilance, comité de village en alerte, banderoles, brassards, posters à l’effigie de Yacine, les femmes et les jeunes filles dans leurs plus beaux atours, offrande… Une véritable fiesta en l’honneur du joueur qui a eu du mal à se mouvoir au milieu de la foule présente. Mais cela ne l’a pas du tout agacé. Bien au contraire, joyeux et submergé par le plaisir, Yacine s’est même laissé aller à quelques pas de danse en compagnie de sa grand-mère, à mi-chemin, lorsqu’il se rendait à pied à la tête d’une procession, de l’école qui abritait les festivités prévues pour la circonstance au dispensaire de la localité. Saïd Belkalem, le coéquipier en sélection, de la région limitrophe (Mekla), présent à l’évènement, a beaucoup apprécié le spectacle. La foule aussi. Elle a scandé Yacine, elle l’a acclamé les jeunes et moins jeunes se sont bousculés pour lui, les femmes ont célébré sa venue par des youyous… Jamais sans doute le village n’aura vécu une journée aussi mouvementée. Et pourtant Yacine est déjà venu ici, ses parents aussi. Le papa révèle même, en aparté qu’il a effectué sa première visite à Ath Bouadha avant même qu’il ne soit marié à maman Brahimi. « C’était en 1986, à ce moment-là j’étais en liaison avec ma femme mais pas encore marié. Je suis venu pour un malheureux évènement, la mort de mon beau-père ». La maman de son côté parle d’une renaissance avec cet hommage rendu à Yacine : « Vous savez, tout ce que je dis aujourd’hui c’est sous le coup de l’émotion. Je suis comblée et merci à tous ». Voilà tout est dans les deux mots. Car si vous poussez plus loin, maman Brahimi, arborant un sourire large, des yeux écarquillés et brillants, ne répond qu’avec des larmes de joie et d’enchantement. C’est ce qu’on appelle être étranglée de bonheur. Le fiston, plus habitué aux crépitements des flashs lui, se veut plus zen. Du moins, il arrive souvent à reprendre le dessus sur ses émotions, pour saluer avec modestie, tous et toutes, là où le comité d’organisation le guidait. Il a été très serein quand il annonçait ses projets pour le village face aux médias, venus en nombre pour l’occasion. « Encore une fois Azul fellawen, et merci d’être présents et de m’accompagner. Nous sommes là dans le centre de santé du village, un lieu très important pour toutes les personnes qui vivent ici. Avec la contribution de Condor et Ramy, nous avons en projet beaucoup de choses, mais dans un premier temps, nous avons songé à financer une mammographie pour ce dispensaire. Dans une seconde projection, nous avons en vue, avec la collaboration de certaines pharmacies, tout un dispositif à mettre à la disposition des citoyens pour prévenir le diabète. Nous avons pensé surtout au secteur de la santé en priorité car nous considérons que c’est essentiel dans la vie ». Les jeunes du village auront aussi leur part « de cadeaux », même si Yacine ne s’est pas plus étalé sur ce chapitre. Mais déjà en fin de journée, il devait présider la cérémonie de remise des trophées du tournoi de foot organisé ces derniers jours au village. A noter que le joueur n’a pas manqué de « dédier cette journée à mon grand père El Hadj Younsi et à mon oncle. Du fond du cœur merci à tous », concluait-il à chaque fois son speech. Interrogé plus sérieusement sur son avenir sportif, le joueur s’est voulu réservé : « Pour le moment, je suis à Aït Bouadha, après je passerai quelques jours de vacances chez moi ici en Algérie. Après, même pour le Ramadhan franchement, je ne sais pas où je serai », répliqua-t-il avec tact.
Djaffar Chilab