Dans la douleur

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Avant-hier vendredi, le village d’Aït Abdelmoumène, qui s’étend sur plusieurs milliers d’hectares joignant plusieurs communes, de souk El Tenine à Beni Douala, Ouadhias et Mechtras, se révéla trop exigu pour contenir la foule venue rendre un ultime hommage au militant de la revendication berbère.

Ils étaient tous là Ousalem, Laskri, Nebbou, Hocine Haroun et même l’infatigable Ali Yahia Abdenour, qui malgré le poids de l’âge, a tenu à être là pour saluer la mémoire du militant. Il y avait des intellectuels, des hommes de culture, des avocats, des médecins, des élus locaux et des centaines d’anonymes et de villageois. Il était difficile de se frayer un chemin pour jeter un dernier coup d’œil sur la dépouille du défunt. Après la prière du vendredi, la dépouille enveloppée dans l’emblème berbère quitta, sur les épaules de ses amis, le domicile familial pour être enterrée juste à quelques mètres de là dans sa propriété. La tristesse se lisait sur tous les villages. Et lorsque sa veuve et ses trois enfants (2 garçons et 1 fille) lui ont dit au revoir pour la toute dernière fois, les présents n’ont pu retenir leurs larmes. Le président du comité de village prit alors la parole pour remercier les visiteurs et dire : « La mort d’Ahcene Taleb n’est pas une perte pour notre village seulement mais pour toute l’Algérie ». Le fils ainé du défunt, très ému, dira aux présents : « Mon père vous aimait tous, il aimait toute la Kabylie et toute la berbèrie. Il a mis sa vie au service de Tamazgha. Le livre qu’il a écrit sur l’histoire de notre village sortira sauf imprévu avant la fin de l’année. Merci à vous tous ». Un de ses cousins qui lui a rendu visite à l’hôpital de Paris nous révélera : « Ahcene savait qu’il allait mourir mais il n’avait aucune crainte, il était prêt. Son dernier souhait était de pouvoir revoir sa Kabylie, ses amis de lutte et les camarades avec lesquels il a grandi ». Ainsi donc, Taleb Ahcene a réussi à réunir tous les militants de la cause Amazighe, toutes tendances politiques confondues, chez lui à Aït Abdelmoumène. Un objectif pour lequel il aura milité toute sa vie. Une victoire à mettre à l’actif du grand militant disparu trop tôt. Dda Ahcene a, pour rappel, rendu l’âme le 31 mai dernier, à l’âge de 60 ans, dans un hôpital de la région parisienne, suite à une longue maladie, qu’il a combattue énergiquement jusqu’au bout. Sa dépouille mortelle a été rapatriée jeudi dernier. Il a été accueilli à l’aéroport international Houari Boumediene par sa famille et tous ses amis du monde culturel Kabyle. Au village, s’était le deuil et la tristesse. Le fils prodige s’en est allé. Les villageois que nous avons questionnés nous ont tous dit : « C’est l’un des meilleures, sinon le meilleur fils de la région. Un homme modeste, respectueux, aimant et d’une intelligence raffinée. Il a toujours été un militant disponible et infatigable. C’est une grande perte non seulement pour le village mais pour toute Tamazgha ». Le défunt est né le 18 janvier 1955 à Aït Ali Ouahmed dans le village d’Ait Abdelmoumène. Après une brillante scolarité à l’école primaire de son village, puis au lycée technique de Dellys, dans la wilaya de Boumerdès, il obtient son bac avec la mention excellent. Il avait été reçu d’ailleurs, avec l’élite nationale, par le Président Houari Boumediene. Il poursuivra ses études à Montréal (Canada) et participera à la création de la première association berbère dans ce pays. En 1980, il rentre au pays avec en poche un diplôme d’ingénieur en mécanique. Il est vite embauché à Hassi Messaoud (Sonatrach). Trois ans plus tard, il rejoint l’université de Tizi-Ouzou comme enseignant de sciences physiques. Il s’engage dans le mouvement culturel berbère et met tous ses moyens au service du MCB, d’ailleurs plusieurs numéros de la revue Tafsut ont été clandestinement tirés chez lui à Ait Abdelmoumène. Il élabore ensuite un dictionnaire Français-Berbère de technologie. En 85, alors que des membres de la ligue algérienne de défense des droits de l’homme sont arrêtés, il leur donna son soutien fut présent aux côtés de leurs familles. Il contribua par la suite à l’élaboration du dictionnaire informatisé de la langue berbère. Quelques années plus tard, lors de l’ouverture politique, il s’opposa fermement à la dislocation du MCB. Il avait tout fait pour préserver son unité mais d’autres ont préféré croire au Père Noël. Au début des années 90, il soutient ouvertement le FFS. Après les élections avortées de 91, il poursuit son combat contre les vendeurs de rêves et les dictateurs de tous bords. En 96, il s’installe en France et enseigne les sciences physiques, il s’inscrit en 3e cycle linguistique berbère à l’Inalco de Paris. Il a choisi de travailler sur les locutions kabyles. Même loin de son pays, il suit tout ce qui se passe sur la scène nationale et en Kabylie particulièrement. Il a aussi consacré un ouvrage à l’histoire de son village qui paraîtra avant la fin de l’année selon les déclarations de son fils ainé.

Hocine Taieb

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