Le challenge de l'évaluation pédagogique

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L’épreuve du baccalauréat a commencé dimanche par un petit couac, une erreur sur le nom de l’auteur d’un poème. Un poème sur la Palestine écrit par Nezzar Kabbani a été attribué à Mahmoud Darwich. La ministre de l’Éducation rassure les candidats que cette erreur n’aura pas d’incidence sur l’évaluation de la matière, même si l’on sait que, parfois, lorsqu’on connaît le véritable auteur du texte, on peut en tirer des idées qui serviront pour la compréhension et l’étude du texte en question. Néanmoins, une telle bévue, commise par l’Office national des examens et concours, paraît une « peccadille » par rapport à l’exercice de mathématiques de la session 2008 où l’on eut affaire à une véritable aporie. Une impasse logique qui a fait couler beaucoup d’encre et soulevé moult protestations. Le deuxième exercice du baccalauréat de Mme Noria Bengebrit, en tant que ministre de l’Éducation depuis mai 2014, semble globalement réussi, comparé aux sessions précédentes. Cependant, dans la gestion du baccalauréat, le déroulement des épreuves compte moins que le climat de la scolarité- sur les plans pédagogique et administratif- qui a prévalu depuis la rentrée scolaire. Mme la ministre et son staff de direction semblent faire une approche rationnelle de la problématique, en ne considérant le Bac que comme le couronnement d’une politique pédagogique en amélioration continue. Au lieu d’avoir une fixation sur les modalités techniques d’examen- qu’il faut, bien entendu asseoir et maîtriser-, il a été mis l’accent sur le parcours pédagogique qui doit mener à l’examen. On connaît les conditions pédagogiques et psychologiques qui ont présidé à cette préparation. Plus d’un mois de grève des enseignants en février-mars et d’autres perturbations aussi pénalisantes les unes que les autres. À quelques jours de l’examen du Bac, la ministre de l’Éducation s’est positionnée sur tous les fronts pour rassurer les élèves et leurs parents, mais aussi pour montrer de la fermeté par rapport à certaines revendications qui tentent de reproduire des conduites ou des pratiques qui vont à contresens de la pédagogie et de la promotion de l’enseignement. En effet, jusqu’à la dernière minute, une grande partie des élèves et de leurs parents avaient entretenu le secret espoir de voir reconduit le seuil des cours sur lesquels vont porter les examens. L’équivalent en arabe de ce seuil, à savoir la « Ataba », a fait fureur. C’est presque un néologisme qui a eu les faveurs de la presse, à l’image de « harraga ». Plus loin que la presse, il constitue un slogan revendicatif porté sur les banderoles et peint par les tagueurs sur les murs des lycées. La fermeté de Mme la ministre s’est aussi exprimée sur les légendaires fraudes de copiage qui ont marqué presque toutes les sessions de ces quinze dernières années, avec parfois des moyens technologiques de dernier cri. Pendant les huit mois de scolarité des dizaines de milliers d’élèves ont recouru aux cours dits de soutien, cours payant assurés par les mêmes enseignants officiant dans les lycées; cependant, dans ce cas précis, les cours sont assurés dans des garages rudimentaires, des appartements ou d’autres abris de fortune faisant office de salle de classe. L’informel n’a pas épargné même l’enseignement. Pour une véritable évaluation du cycle secondaire, de façon à assurer le passage à l’université d’élèves bien formés, ayant le minimum requis pour les études graduées, une idée a circulé depuis plusieurs mois au sein du ministère de l’Éducation, consistant à instaurer la fiche de synthèse- évaluation de la scolarité elle-même -,  qui sera combinée à la note du baccalauréat. C’est là si elle arrive à se produire, une petite révolution dans l’enseignement secondaire à même de réhabiliter l’assiduité et la participation.  

 Des chantiers titanesques

Sur ces quatre points importants -seuil des cours, copiage, cours de soutien et fiche de synthèse-, Mme Benghebrit, qu’une certaine aile politique islamo-conservatrice avait attaquée de façon abjecte dès sa prise de fonction en mai 2014, a eu le courage et la franchise d’exposer publiquement sa vision. Une vision novatrice qui tranche radicalement avec la démagogie qui a enfoncé et maintenu dans la médiocrité l’école algérienne. En effet, la ministre de l’Éducation entend, progressivement, réhabiliter l’acte pédagogique et les normes docimologiques permettant d’évaluer le plus objectivement possible les élèves. L’idée du seuil des cours devra être neutralisée d’abord par la fin du recours aux grèves intempestives, lesquelles réduisent énormément le nombre d’heures d’enseignement; donc des cours entiers sont « séchés ». Si, au cours des réformes des programmes qui sont prévus pour les prochains mois, il s’avère que des cours ou des volets pédagogiques sont inutiles ou superfétatoires, il y a lieu de les éliminer dès le départ. Le principe étant de faire garder au baccalauréat sa valeur et son aura universelles. À part une très faible minorité de bacheliers qui sont à même d’affronter l’enseignement universitaire y compris, pour certains, à l’étranger, le reste des étudiants trouvent mille difficultés à s’adapter au climat de l’université. Au cours de ces dernières années, il a été établi que plus de 50 % d’entre eux redoublent la première année. Il est vrai aussi que l’orientation dans les filières universitaires joue un rôle majeur dans la chance de réussir ou non son parcours universitaire. L’on se souvient de cette bachelière en lettres, qui a obtenu au milieu des années 2000, une notre de 6 en philosophie et qui a été orientée précisément en…philosophie! Mme Benghebrit compte lutter contre la fraude, outre les moyens classiques de surveillance, par l’intelligence des questions qui doivent s’éloigner du « parcoeurisme ». Lorsque les questions sont basées sur la répétition mécanique de ce qui a été donné en cours, tous les risques de copiage existent, et il est difficile d’y faire face. Néanmoins, les questions d’intelligence devront mobiliser plus et mieux les enseignants, non seulement pour les concevoir, mais aussi pour les soumettre aux critères docimologiques à même d’harmoniser le barème de notation. Le troisième défi de la ministre de l’Éducation est de mettre fin aux cours de soutiens informels. Contrairement à une idée qui avait circulé au temps de l’ancien ministre Benbouzid, consistant à requérir vainement la force publique et…les impôts pour dénicher et arrêter les enseignants qui s’adonnent à ce « métier », Mme Benghebrit dit ne pas croire à la solution coercitive ou répressive. Il suffit, soutient-elle, de retirer intelligemment des cours informels ces « contingents » d’élèves par le rehaussement du niveau et de la qualité d’enseignement, et par le sérieux et la discipline qui doivent reprendre leur place naturelle dans l’institution scolaire. Ce sont là trois grands challenges, auxquels se joint la fiche de synthèse. En réalité ils constituent un seul et même défi: celui tendu vers la réhabilitation de la pédagogie et de l’école algérienne. Cette dernière s’est enlisée depuis des années dans une ornière fangeuse où son bannies toutes les considérations liées aux impératifs de l’économie nationale et aux besoins d’ascension sociale par la compétence et la qualification. Tous les chiffres des réalisations des infrastructures et équipements scolaires, arborés avec ostentation à tout bout de champ, ne pourront faire écran à ce besoin de « révolutionner » l’école algérienne sur le plan pédagogique.

Amar Naït Messaoud

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