La direction de la culture de Béjaïa, en collaboration avec l’APC d’Amalou, avait décidé depuis plusieurs mois de rendre hommage au grand chanteur kabyle Allaoua Zerrouki, en organisant un grand colloque dans son village natal. Les équipes des deux organismes partenaires, cadres et employés, avaient beaucoup travaillé pour sa préparation, et la veille dudit événement, tout paraissait au point.
Dans le programme figurait une visite collective à la maison du défunt et le dépôt d’une gerbe de fleurs à sa mémoire. Rappelons que les circonstances de sa mort, de son enterrement, de son déterrement et de l’incinération de ses restes avaient fait scandale et mis en émoi la population. Ayant été enterré à Paris et sa tombe complètement délaissée, l’administration du cimetière parisien avait déterré ses restes, après plusieurs décennies de sa mort, et les a incinérés pour libérer la place.
Dans le programme de la journée d’avant-hier lundi, deux invités étaient annoncés pour présenter des communications en rapport avec l’événement. Il s’agissait de Rachid Mokhtari, chercheur, auteur de plusieurs ouvrages sur la chanson de l’exil, notamment, et de Rachid Oulebsir, également chercheur, spécialiste de l’histoire amazighe, dont celle de la région, en particulier. En plus de cela, était annoncée la présence d’Abdelkader Bendamache, président du Conseil National des Arts et des Lettres et quelques autres personnalités importantes. La présence du wali de Béjaïa a également été annoncée. L’après-midi, plusieurs témoins et amis du défunt chanteur étaient également prévus, pour apporter un témoignage vivant sur la vie de l’artiste qu’ils ont bien connu. Le mouvement associatif avait aussi répondu présent, comme l’Etoile Culturelle d’Akbou et Tafat. L’ONDA a également tenu à être présent pour sensibiliser les artistes de la région et les informer de leurs droits.
Absence de chef d’orchestre
Malheureusement, les choses ne se sont pas du tout déroulées comme prévu. Il manquait visiblement un chef d’orchestre à cette symphonie si longuement et si minutieusement préparée. D’abord, les deux communicants, Rachid Mokhtari et Rachid Oulebsir, ne sont pas venus et étaient injoignables. Il n’y avait non plus aucune trace ni du wali, ni du président du CNAL, M. Bendamache. Par contre, plusieurs artistes de la région, de Béjaïa, d’Amizour, de Sidi Aïch, entre autres, avaient fait le déplacement.
Ce n’est que vers midi que le président de l’APC d’Amalou, M. Azoug, a donné le signal de départ vers la maison ou Allaoua Zerrouki a passé son enfance, située sur les hauteurs du village. Sous un soleil de plomb, les nombreux visiteurs se sont rendus à la place dite des « Trois fusillés », pour y déposer une gerbe de fleurs sur le monument aux morts. Puis, il y eut la visite de la maison où a vécu l’artiste.
Maison d’enfance de l’Artiste
Pour rappel, les parents d’Allaoua Zerrouki sont originaires d’El Flaye. Ils ont dû fuir la région pour aller s’installer chez des parents à Amalou. Ils sont morts en 1922, alors qu’Allaoua n’avait que sept ans. La maison où il a vécu n’appartenait donc pas à ses parents. C’est celle que les invités au colloque ont été invités à visiter. Là c’était le choc. La maison où a vécu le célèbre auteur compositeur et interprète de la chanson kabyle est complètement en ruines. Il n’y avait rien à visiter, rien à voir du tout dans cet amas de pierres, que personne n’a pensé restaurer et préserver. Il y avait foule à cet endroit, et tous ont été choqués de découvrir l’état de la Maison. Il y avait une indélicatesse de la part des organisateurs à montrer cet endroit dans cet état. Allaoua Zerrouki a, encore une fois, été humilié. A la place d’un hommage, ce furent des dommages qui ont été infligés à la mémoire du symbole de l’art musical kabyle. Avec beaucoup de pudeur, beaucoup de visiteurs se sont retirés pour ne pas profaner davantage la mémoire du défunt. L’homme à qui on a retiré même la sépulture se voit encore poursuivi par le mépris des hommes indignes. Il est vrai que ladite maison est un bien privé sur lequel la commune n’a aucune autorité. Mais qu’est-ce qui l’aurait empêché en collaboration avec les autorités culturelles de la wilaya, le mouvement associatif et les anciens du village, de négocier la récupération de la bâtisse abandonnée par ses propriétaires légaux, pour en faire un lieu de mémoire ?
Ouverture du Colloque
De retour à la Bibliothèque communale où les « festivités » devaient se tenir, la cacophonie a encore continué. Une cérémonie d’ouverture du colloque a été organisée, où l’improvisation sentait à plein nez. On ne savait qui faisait quoi. Aucun fil conducteur dans les discours prononcés, à la hâte, parce qu’improvisés. Le président de l’APW, Mohamed Bettache, a tenu à honorer le colloque de sa présence, malgré les circonstances que traverse son assemblée, ainsi que Mme Bouiche, une élue de la même APW. Mme Gaoua, directrice de la Maison de la Culture de Béjaïa, Yazid Abdi, responsable du Centre Culturel d’Amizour, et de nombreux artistes, ainsi que plusieurs centaines de citoyens, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes d’Amalou et de sa région, étaient présents. Des cadeaux ont été remis à quatre artistes, honorés à cette occasion, avant de décider, vers quatorze heures d’aller déjeuner. A quinze heures, le colloque n’avait toujours pas commencé. Une partie des invités a quitté les lieux, pendant que les deux tiers de l’assistance présente la matinée ne sont pas revenus l’après-midi.
Témoignages
Peu après quinze heures, un cadre de la direction de la culture a enfin pris les choses en mains, et a invité deux prestigieux noms de la chanson kabyle, en l’occurrence Kamal Hammadi et Arezki Bouzid, à donner leurs témoignages sur leur ancien ami, Allaoua Zerrouki. Ils ne manqueront pas de rappeler les circonstances du décès de leur ami et de son enterrement. Mort dans un hôpital parisien, ses amis ont cotisé pour transférer sa dépouille en Algérie pour son enterrement. Mais sa seconde épouse leur a demandé de l’enterrer à Paris et de donner l’argent collecté au fils de Allaoua, afin qu’il puisse continuer ses études. La première épouse de Zerrouki, Nouara Azoug est morte en chahida, les armes à la main, en 1961. Elle avait entre autres, également participé à la bataille d’Alger. C’est dire que cette famille n’a rien d’ordinaire. Son engagement social, artistique et politique était total. Allaoua Zerrouki a été le seul artiste kabyle à chanter sa femme, en la citant nommément. Il en était fou amoureux, tout comme il aimait son pays sans réserves. Il a également été le premier chanteur kabyle à introduire la batterie dans l’orchestre kabyle, ainsi que la guitare métallique qu’il avait achetée en Espagne. Après leurs interventions, la parole a été donnée au public, qui a montré la grandeur de sa vision, et le respect qu’il a pour la mémoire du fils du village. Trois grandes propositions ont enfin été dégagés : Consacrer la place centrale du village à Allaoua Zerrouki en la baptisant de son nom et en érigeant une statue grandeur nature de l’artiste ; réunir l’œuvre du chanteur en un coffret spécial, à la fois pour la préserver et mieux la faire connaître, et enfin, l’ouverture d’une école de musique du nom de Allaoua Zerrouki. Arezki Bouzid a enfin tenu à chanter une chanson à la mémoire de son ami Allaoua Zerrouki. C’est ainsi que le colloque a été sauvé du naufrage dans lequel il allait sombrer. Pour la deuxième journée, il était prévu la projection d’un film documentaire et la visite du barrage de Tichy Haf à l’initiative de l’association écologique « Ardh ». Peut-être y reviendrons-nous dans une prochaine édition.
Qui incriminer ?
Dans tout cela, qui incriminer ? Les préparatifs dont nous avons été témoins avaient bien été faits, et tous les éléments ont été étudiés sérieusement par les organisateurs. Pratiquement rien n’a été laissé au hasard, et le concept de Colloque-Hommage devait inaugurer une nouvelle façon de faire des collectivités locales de véritables acteurs du développement culturel de proximité. Les nombreux couacs remarqués sur le terrain ne sont pas seulement dus au manque d’expérience. L’absence des communicants, des invités de marque, dont le wali reste inexpliquée. C’est pour cela qu’il faudrait regarder dans la direction de la prise de conscience de l’importance de l’événement, du respect dû à l’artiste et des valeurs morales décadentes de ceux qui sont censés être les exemples dans ce pays. En fin d’après midi, des dizaines de jeunes habillés en tenues antiques de soldats berbères, à pieds ou à cheval, ont organisé une magnifique parade sur le boulevard principal du village, en traversant le CEM où se déroulait une festivité spécifique aux femmes, appelée « Ourar nelkhalath ». En soirée, des pièces de théâtre ont également été présentées au public. La deuxième matinée de ce colloque, une surprise de taille attendait les participants. Abdelkader Bendamache est finalement venu, au grand bonheur des organisateurs qui avaient désespéré de le recevoir. Le programme a alors été réadapté. Abdelkader Bendamache, en compagnie de Kamal Hammadi, ont donc animé une conférence à la mémoire de Allaoua Zerrouki.
La composante du CNAL renouvelée
Durant la conférence, Abdelkader Bendamache a annoncé en avant première que la composition du Conseil national des arts et des lettres venait d’être renouvelée et que quatre-vingt pour cent de ses membres ont été reconduits dans leur mission. Lui-même a été réélu président du CNAL pour un second mandat, et la commune d’Amalou a été choisie pour en faire l’annonce. Abdelkader Bendamache a longuement parlé du rôle et des objectifs du CNAL et a répondu aux questions des artistes et de l’assistance qui en a profité pour clarifier la situation et mettre à jour leurs connaissances. Dans l’après-midi, Karim Khima a prévu d’organiser une sortie à Tichy Haf pour sensibiliser la population à l’importance du respect de l’environnement.
N. Si Yani