Tala Tinzar, un village au passé glorieux

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En allant à Tala Tinzar, un village de la commune de Béni Maouche où vivent une centaine de familles, il est facile de lire sur les visages des villageois de l’amertume induite par toutes les misères qu’endurent les citoyens privés de tout, notamment les loisirs qui font cruellement défaut chez la masse juvénile et les commodités les plus élémentaires pour une vie décente dont le village est insuffisamment doté.

Pour pallier au manque de projets que les autorités locales ne leur ont pas accordés, la population a financé elle-même certains projets comme celui de la fontaine publique qui se réalise en ce moment grâce à une collecte d’argent qui a été faite par les villageois qui ont mis les mains aux poches. Le paradis que n’ont cessé de leurs promettre les élus qui se sont succédés à l’APC, lors des campagnes électorales, ne s’est pas encore réalisé. Pire que ça, le président de l’association socioculturelle, Arezki Laurès, de Tala Tinzar, a mis en exergue, dans son réquisitoire, une répartition inégale criarde entre les villages du budget alloué par les pouvoirs publics à la commune de Béni Maouche au titre du plan de développement communal de 2015, de l’ordre de 6 milliards de centimes dont le village de Tala Tinzar n’a reçu que des miettes. « Les budgets alloués par les pouvoirs publics à notre commune sont mal répartis et les villages ne sont pas mis sur le même pied d’égalité. Faut-il avoir des élus à l’APC pour pouvoir prétendre à sa part du budget ? Je vais vous expliquer en détail ce qui s’est passé. Notre commune a bénéficié cette année d’une cagnotte conséquente dans le cadre des PCD qui avoisine les 6 milliards de centimes. Nous avons cru bénéficier de quelques projets pour rattraper le retard du fait qu’un sous développement aigu frappe notre village qui a toujours été considéré comme le parent pauvre de la commune. Pour preuve, il n’a bénéficié malheureusement que d’une modique somme de deux millions de dinars, une goutte dans un océan alors qu’il souffre de l’insuffisance d’infrastructures de base », s’est insurgé notre interlocuteur. Tala Tinzar est un village de l’Algérie profonde qui a donné de valeureux martyrs à la révolution mais qui souffre d’un sous développement aigu. Pour s’y rendre, au lieu de faire un détour par Amdoun n’Seddouk et la ville de Béni Maouche, il est préférable de prendre un raccourci par la commune de M’cisna sachant que la chaussée de la route de montagne à emprunter est bien entretenue. Tala Tinzar se trouve à la limite géographique entre deux wilayas, Béjaïa et Sétif. Nous avons une trentaine de kilomètres à parcourir mais le panorama sylvestre en vaut la peine. Nous suffoquons à Seddouk avec le mercure qui monte déjà le matin. Chanceux que nous sommes, de plus en plus que nous gagnons de l’altitude le mercure descend progressivement.

Paysages enchanteurs

Nous sommes début juin, période où l’herbe se sèche dans la vallée en témoigne ces tas de foin trouvés sur les abords de la route attendant le passage de la botteleuse pour les botteler. Sur la montagne, on dirait que nous sommes au mois de mars, période de la végétation extrême de l’année avec une verdure qui plane partout. La nature a façonné un environnement sauvage de toute beauté faisant de l’endroit un paradis de l’escapade et de l’escalade. Sur la route, des maisons pavillonnaires éparses nouvellement construites sont alignées l’une à l’autre, la plupart sont assorties de jardins fleuris entourés d’un muret. Derrière des régiments d’oliviers et de figuiers, deux arbres fétiches donnant des produits du terroir, fierté de cette région. Ce décor champêtre d’une rare beauté fait penser à un endroit édénique à l’état pur et sauvage, idéal pour la détente. Mais ceux qui vivent dans ce coin perdu crient leur détresse à notre arrivée, au point d’assourdir les malentendants. Ce village qui n’a pas reçu une once d’investissement, a donné pourtant un lourd tribut durant la guerre de libération en témoigne le cimetière des chouhada érigé à l’entrée du village, où on a pu compter sur la plaque en marbre commémorative 64 Chahid transcrits. De là nous apercevons au loin l’ancien village avec ses maisonnettes construites avec de la pierre locale et de la terre comme mortier et charpentées avec de la tuile rouge. Elles ressemblent à des gites ruraux. En avançons et au détour d’un virage, nous tombons sur la petite placette du village, où une nuée de vieillards au nombre de sept assis sur un banc en ciment et adossés au mur languissaient au soleil de printemps. C’est Hamlat Allaoua, un ancien moudjahid, qui s’est chargé de nous raconter l’histoire de ce village musée au passé glorieux. « Notre village a enfanté des hommes de valeurs qui se sont sacrifiés pour notre indépendance. Et nous comptons aussi un héros qui s’appelle Arezki Bairi dont le nom de guerre Arezki Laurès. Très jeune, il était incrusté de la fibre nationaliste. Il a entamé sa vie de militant du mouvement national en 1952 à Belcourt, Alger. Participant à des actes de sabotage des édifices publics il fut recherché par la police coloniale et c’était Ali Mellah qui l’a affecté aux Aurès où il a été intégré dans les rangs de Mustapha Ben Boulaid qui, pour le mettre à l’épreuve, lui a donné une mission délicate qui était celle de tuer un policier au centre de Batna, opération menée adroitement par Arezki Laurès », a commencé à raconter ce vieux qui a encore une bonne mémoire.

Village martyr

Il a aussi révélé qu’Arezki Laurès est rentré à la vallée de la Soummam sur conseil de son chef Ben Boulaid qui a compté sur lui pour organiser la révolution dans cette région. « À son arrivée, il a rencontré Amirouche et Mira qui ont décidé de se répartir les tâches. Arezki a choisi d’organiser la révolution dans le versant Est de la vallée de la Soummam, le douar d’Ath Aïdel en poussant jusqu’à Oued Amizour », poursuit-il. Pour notre interlocuteur, si Arezki Laurès n’est pas mort tout au début de la révolution, il aurait facilement décroché le titre d’un haut gradé. À son actif 8 grandes batailles qu’il a menées dont la dernière a eu lieu à Oued Amassine un certain 20 Janvier 1956, où il est mort les armes à la main. « Les militaires français quand ils ont su qu’Arezki Laurès était de notre village, ils nous ont fait payer cher le fil à retordre qui leur a donné. Ils ont fait deux incursions dans notre village où ils ont tué des hommes », ajoute-t-il. Il a continué avec les yeux rougis, le fait de se souvenirs des atrocités subies par la population de son village, en plus des assassinats commis sur les civiles par les soldats du lieutenant Jilet. « La première incursion a eu lieu le 28 Février 1956. Le village a été encerclé par les paras. Pendant que certains d’entre eux sortaient hommes et femmes des maisons pour un rassemblement à la placette du village, d’autres délestaient les femmes de leurs bijoux. Une jeune fille qui a résisté en refusant de leurs donner ses bijoux avait été mise nue et ramenée dans cet état au lieu du rassemblement. Ce jour là les soldats ont tué trois personnes. La deuxième incursion a été plus affligeante que la première. Les soldats avaient incendié l’orge et le blé préparés pour le battage et tué 7 personnes. Toutes les familles ont été délocalisées vers d’autres villages, faisant du notre une zone interdite ou celui qui y met les pieds est tué sans sommation », a conclu le septuagénaire qui pour les problèmes actuels que vivent les habitants nous a orientés vers Hamlat Abdeslam, président de l’association socioculturelle Arezki Laurès que nous avons trouvé trônant derrière son bureau dans une salle où des photos des Chahid du village sont collées sur les murs. Il nous informa aussi qu’un film documentaire sur les figures de proue de la révolution est en plein tournage. S’agissant des problèmes actuels inhérents à son village, il entamera par celui qui frappe la frange juvénile. « La plupart des familles ont fui le village à la recherche d’une vie meilleure. Moi-même j’habite à Alger, mais je reviens souvent pour aider mes concitoyens. Je viens de créer la seule épicerie du village pour rendre service aux habitants. Ce qui me peine beaucoup c’est les jeunes restés au village qui manquent cruellement de loisirs. Ils n’ont pas de stade pour la pratique du sport. Nous pensons construire un foyer de jeunes où ils peuvent se réunir et mener diverses activités qui leurs ouvriraient davantage l’esprit et aiguiseraient leur intelligence par le biais de l’Internet, notamment. Pour l’emploi, les agriculteurs sont les seuls agents économiques. Mais travailler la terre nécessite des moyens carrossables car l’usage des bœufs et des mulets sont révolus. C’est pourquoi nous demandons à l’État de fournir des tracteurs pour les agriculteurs qui ont grandement besoin », a déclaré notre interlocuteur qui s’est arrêté un moment pour faire de l’ordre dans ses idées, avant d’attaquer les autres secteurs et il dira : « Nous buvons une eau de source mais notre fontaine nécessite des travaux que nous menons par l’argent collecté chez nos concitoyens. Nos routes d’accès au village ainsi que les ruelles nécessitent des revêtements. Quinze personnes ont bénéficié d’habitations dans le cadre du FONAL qu’elles ont construites sur leurs terres. Une dizaine n’est pas raccordée au courant électrique. Nous faisons des démarches auprès de l’APC qui nous a promis des projets mais personne ne sait pour quand. Une chose est sûre, le projet di gaz de ville pour notre village a été programmé pour 2016 ». Notre interlocuteur a terminé en informant que son village a donné des hommes de valeur durant la révolution et après l’indépendance aussi. Il compte huit commandants militaires, un ex-ministre, quatre professeurs en médecine et quinze Imams. Il n’a pas omis la chanteuse kabyle Ldjida Tamokrant, de son vrai non Hini Merboua, qui était parmi les premières femmes qui ont propulsé la chanson féminine kabyle et Timsi Abderrahmane, un poète qui a mis sur le marché un recueil de poèmes en tamazight.  Ainsi va la vie au village Tala Tinzar, où la population vit entre l’espoir et le désespoir.

 L. Beddar

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