C'est une tradition bien établie. La section du Croissant rouge algérien (CRA) de la commune d’Aïn-Bessem, à une vingtaine de kilomètres au Sud-ouest de la wilaya de Bouira, aménage chaque mois de Ramadhan son propre local situé au centre-ville d’Aïn-Bessem en un restaurant Errahma.
Correctement entretenu par l’équipe de bénévoles qui assure son bon fonctionnement, ce lieu d’accueil sert chaque jour plus de 350 repas aux nombreux démunis et gens de passage qui y affluent. Louable geste s’il en est, cette initiative est plus que salutaire d’autant plus qu’elle permet à de centaines de personnes de rompre dignement le jeûne, surtout que ces dernières n’ont généralement pas où aller en ce mois de piété de dévotion et de solidarité. Pour mieux servir ces «hôtes», pas moins de 27 bénévoles ont été mobilisés, en plus de deux cuisiniers de métier. M. Hmida Hachimi, le président de la section locale du CRA, souligne que c’est lui qui a choisi le personnel qu’il connaît parfaitement. «Tous sont des adhérents du CRA ou des scouts de la section locale. D’autres sont des citoyens qui aiment nous aider dans l’organisation», dira-t-il. D’ailleurs, ceux-ci travaillent bien et sont chaleureux. Un aspect très important, étant donné qu’ils sont appelés à servir des gens majoritairement démunis et en manque de chaleur familiale. Aide-cuisinière, une employée fait savoir que dans le souci d’assurer un meilleur service, le responsable du restaurant a pris la bonne décision de scinder le personnel en deux équipes qui se relient. Ici, quelque cent repas sont servis, tandis que plus de 200 repas sont acheminés jusqu’aux domiciles des familles nécessiteuses de la commune. Cependant, l’affluence est telle que le restaurant s’est avéré exigu. Toutefois, le responsable ne manquant pas d’imagination, il a décidé de transformer le bureau d’accueil du CRA en cuisine et de libérer l’espace de la grande salle pour accueillir les citoyens. Ainsi, grâce à cette formule, les retardataires peuvent savourer un repas, une fois les premiers arrivés ont fini de manger.
Le dernier virage…
Jeudi 25 juin, septième jour du mois de Ramadhan. Un silence absolu couvre le principal carrefour de la ville d’Aïn-Bessem, à quelques minutes de l’appel du muezzin à la prière du Maghreb. La rupture du jeûne pour les habitants d’Aïn-Bessem et ses environs est toute proche. La place publique du centre-ville débusque les rares personnes encore assises sur les bancs en bois de la place. Le centre-ville est noir malgré l’éclairage public omniprésent. Quelques ombres humaines prennent tournure sur un coin retiré et silencieux. Cependant, le siège de la section locale du croissant rouge connaît une animation peu ordinaire, quelques minutes avant le f’tour. L’odeur de la chorba frik et des plats mijotés soigneusement emplit l’atmosphère. Le lieu, aménagé par les adhérents du CRA et des jeunes bénévoles de différentes associations, à l’occasion du mois de Ramadhan, en restaurant de Rahma, commence déjà à accueillir ses «invités». Des voix jeunes sortent de l’intérieur de l’ancienne construction comme pour s’annoncer au visiteur inconnu. Ce dernier qui se cache presque le visage et s’interdit de prononcer mot. «Ce qui me fait de la peine, c’est de les voir avancer ainsi, la tête baissée. C’est cela qu’on appelle raser le mur. Ils ont honte», confie Nourddine, responsable du groupe local des scouts musulmans algériens (SMA) et ancien habitué de ce travail de solidarité au sein du CRA. Un jeune homme bien habillé n’ayant l’air de ne manquer de rien, se cherche, lui aussi, une place pour s’offrir un petit repas au milieu des nécessiteux. Cela semble déranger un des bénévoles : «Ce n’est pas normal, on se trouve à chaque fois confronté à ce genre de situation. Cela c’est pour les pauvres !». «Ce n’est pas notre problème qu’il soit pauvre ou non. C’est peut être un passager comme tous les autres passagers que nous avons l’habitude d’accueillir chaque soir en pareille période», lance un de ses camarades. Le bénévole sourit alors et dit au jeune : «Je plaisante seulement, allez-vous asseoir, faites comme chez vous». Difficile de croire qu’il s’agit d’une plaisanterie. C’est sans gravité rassure Hmida, le responsable de ce restaurant durant cette opération de Ramadhan. Hmida est à sa huitième année d’expérience dans la gestion de ce resto Rahma, mais aussi un membre actif du CRA depuis des années. «Cela remonte à peu près au début des années 90. J’ai toujours aimé ce travail de bénévolat», confie-t-il. Un éducateur, quand il voit les jeunes «se chamailler», cela ne le choque pas. «Ils sont trop stressés. Attendez qu’ils servent tous les repas, qu’ils voient les autres manger à leur faim et vous verrez comment ils deviennent calmes et très aimables. Ils font de l’ambiance, surtout celui-là que vous voyez un peu énervé», rassurera-t-il. Et c’est vrai. Le garçon se calme très vite et retrouve facilement le sourire. Et toute l’équipe autour de lui.
Au service des plus démunis
Le repas d’aujourd’hui est composé de la chorba-frik, du Tajin Zitoun, une salade et du pain, ainsi que des fruits et de la zlabiya, de quoi garnir une Meïda à défaut d’une table ramadhanesque. Cet élan de générosité prend de plus en plus d’ampleur puisque tous les citoyens de cette localité du moins les mieux lotis, participent à cette action de solidarité pour assurer quotidiennement et, durant tout le mois du jeûne, le repas à quelque 350 familles. «Les aides que nous recevons de la part des citoyens sont de plus en plus importants. On pourra dire que la culture de la solidarité s’installe chez-vous !», dira Hmida. Il y a aussi les bénévoles, ces femmes cuisinières qui passent toute la journée devant les fourneaux, juste pour venir en aide à ces pauvres. Ces jeunes, des avocats, des entrepreneurs, des élus qui sont tous là pour servir leurs prochains et leur apporter ne serait-ce qu’un soutien moral. «Ce n’est pas l’énervement du jeûne mais la peur de ne pas satisfaire ces nécessiteux. C’est un travail difficile et très délicat. Il y a beaucoup d’engagement, de sacrifice. Nous-mêmes, nous ne mangeons presque rien mais nous ressentons une grande satisfaction quand nous voyons les autres contents de notre service», insiste Noureddine, un homme d’une quarantaine d’années, très communicatif, engagé dans ces actions depuis toujours. «Vous savez, faire du bien, ce n’est pas chose facile. Ça demande beaucoup de sacrifices», ajoutera-t-il. Mêmes propos tenus par Hmida du CRA local : «J’ai commencé ce travail très jeune. J’ai toujours aimé cela. Cela fait au moins une dizaine d’années que je n’ai pas goûté à la chorba de ma mère en cette période de jeûne». Cela lui manque mais ne le dissuade pas de poursuivre sa mission au sein du CRA. «C’est un engagement moral. Nous le faisons pour rendre les autres heureux, pour les aider et les accompagner dans les moments difficiles. Nous le faisons pour notre communauté pour notre pays et pour le bon Dieu», déclarera-t-il. Hmida est fier de toutes les actions qu’il a bien remplies au sein du CRA depuis qu’il est membre : «J’ai fait une formation de secouriste et j’interviens pour tout. J’ai été à Boumerdès après le séisme de 2003 et je suis régulièrement présent dans les opérations de solidarité organisées durant le mois de Ramadhan». Notre interlocuteur affirme également que la section locale du CRA est également engagée dans plusieurs autres actions de solidarité et de développement humain : «A part nos actions humanitaires, notre section a réussi à former plus de 500 secouristes dans la ville d’Aïn-Bessem. Nous avons aussi des classes de couture, de cuisine traditionnelle pour les jeunes filles sans travail. Chaque année, nous formons des centaines de jeunes filles et mères de famille pour les aider à gagner dignement leurs vies».
Une ambiance conviviale
Pour l’équipe qui gère l’établissement, c’est toujours une question de sacrifice, d’engagement et de don. «Quand on met le pied une fois, on revient une deuxième, troisième…et autres fois. Notre modeste restaurant nous sert surtout à renouer avec nos traditions et coutumes de solidarité et d’entraide», soutient une autre femme, la quarantaine, elle aussi bénévole au CRA. Et à celle-ci d’insister : «C’est la même chose pour vous les journalistes. Une fois, votre confrère d’El-Khabar est venu faire un reportage et depuis, il s’est lancé avec nous, dans cette action de solidarité. Tout au long de l’année, il participe avec nous dans des actions de solidarité». Et de signaler un autre fait : «La plupart de ceux que vous voyez là sont des cadres de l’Etat. Des étudiants, des fonctionnaires…et des ingénieurs. En plus de leur travail de servir le repas aux nécessiteux, certains se chargent de transporter les bénévoles chez eux une fois tout le travail terminé (vaisselle, parterre…et un briefing à la fin)». Autre fait à signaler, c’est que ces bénévoles ne mangent rien de ce qu’ils préparent. Bien au contraire, ils ramènent de chez eux et échangent avec leurs camarades. Et ils ne mangent pas beaucoup, c’est juste avec quoi rompre le jeûne. Difficile de croire à cela, diront certains, mais l’image est là. Petit lait, salade faite à la maison, des petits sandwichs… chacun sort de son petit sac ce qu’il a ramené de la maison et propose à son camarade d’y goûter un peu. Juste un peu parce qu’il n’y pas assez de temps pour manger. En effet, à peine servis, les plats sont vite débarrassés de la table, lavés et remis à leur place dans la cuisine. Le tout dans une ambiance conviviale, joviale, d’engagement et de solidarité. Le rire en maître, incarné surtout par Noureddine, le scout. C’est lui d’ailleurs qui est chargé d’accueillir les visiteurs. Histoire de les mettre à l’aise. Pour le repas, bon ou mauvais, c’est selon les moyens dont dispose le CRA. «Le Croissant-Rouge n’a pas de budget. Nos moyens sont limités. Je me permets de lancer un appel, par le biais de votre journal, aux bienfaiteurs pour nous aider à mieux servir nos nécessiteux», souhaite-t-on. Moyens limités, siège étroit, conditions de travail quelque peu difficiles mais le désir de servir autrui est plus fort que tout. «Notre action est surtout à caractère humanitaire. Certes nous manquons énormément de moyens, mais notre engagement au service des plus démunis nous fait surpasser toutes ses
Oussama Khitouche

