C’est l’un des marchés les plus séculaires de Kabylie. Il a gardé son nom : Souk N’Sebt. Il se tient chaque jour, et exceptionnellement comme marché hebdomadaire chaque samedi. Aujourd’hui, les jeunes marchands de fruits et légumes le défendent parce que des décisions administratives voudraient qu’il soit éradiqué pour d’autres destinations. « Ce n’est pas un marché informel », nous diront les délégués de cette corporation que nous avions rencontrés sur place en train de se préparer à son éventuelle délocalisation. « Ce marché a une longue histoire. Il existe depuis plus d’un siècle. Certains anciens marchands se souviennent même des années 40 quand il était un lieu de rencontre aux militants du PPA », nous dira le premier délégué en la personne de M. Diaf Nourredine. Et à un autre marchand plus âgé que lui d’intervenir: « moi, j’y ai exercé au milieu des années 70. Il y avait le marché couvert très bien entretenu et il y avait même des toilettes publiques. Chaque matin, le balayeur passait et nettoyait tout. Nos aînés nous racontaient que des vendeurs venaient de Ain Bessam, des Issers et de Bordj Menaiel. Vraiment, nous étions heureux de voir tant d’étrangers. Aujourd’hui, je vois qu’il a perdu son charme d’antan. Des producteurs de fruits et légumes approvisionnaient même les colons avec leurs produits frais ». Et d’ajouter: « nous payons nos taxes de manière raisonnable ». Par contre, notera un autre intervenant, ce n’est plus le cas aujourd’hui. « Tous les manques sautent aux yeux. Il n’y a ni eau ni éclairage public ni toilette. Au contraire, il y a même une décharge improvisée au contrebas », poursuivra un autre délégué. « Pour éviter que les marchands y jettent leurs produits avariés ou autres déchets, nous avons proposé à l’APC d’y affecter un tracteur et nous allons nous charger de déverser ces saletés nous-mêmes dans la benne lorsque nous avions observé la grève durant le mois de novembre dernier durant une quinzaine de jours », poursuivra le même délégué. Et à M. Diaf de nous faire un historique de ce marché depuis maintenant 2011. « Vous savez, le marché a été vendu à l’agence foncière sans que personne nous ait consultés. Nous n’étions même pas associés à ce bradage. Le marché de Tizi-Gheniff n’est pas informel pour qu’on nous déplace dans ces clapiers », haussera-t-il le ton. Il évoque ensuite les projets qui y sont retenus: « l’agence foncière a programmé 20 logements LSP. D’ailleurs, à chaque fois que l’équipe qui devrait faire l’étude du sol arrivait sur les lieux, nous l’avions refoulée ». Un autre intervenant reviendra sur la grève des quinze jours. « Pour arrêter cette grève, nous avons tenu un meeting populaire qui a réuni plus de deux mille personnes. Au terme de nos interventions avec le soutien de la coordination des comités de villages, nous leur avons expliqué que notre mouvement n’était engagé que pour sauvegarder ce marché séculaire et non pour d’autres considérations. D’ailleurs, ils nous ont soutenus jusqu’à la signature du PV avec les autorités », soulignera le troisième délégué. Dans le dit PV, il y avait beaucoup de décisions qui ont été retenues afin d’améliorer nos conditions de travail dans cet espace commercial. « Je vous citerai le raccordement au réseau d’eau potable, la réalisation de toilettes, l’éclairage public et d’autres points comme la création d’une commission mixte marchands/APC, en vue de suivre la situation. Depuis, il n’y a eu rien », précisera le premier délégué. « Nous refusons cette idée de réaliser 36 locaux pour caser ceux qui activent dans l’informel. Nous ne sommes pas contre l’idée mais que cela se fasse en dehors du marché sur un autre terrain. Ils peuvent même leur construire un centre commercial. Nous travaillons légalement. Nous avons des registres de commerce et nous nous acquittons aussi bien des impôts que des autres taxes. Il y a au total 52 marchands qui ont leurs registres. Quant à l’activité elle fait vivre une centaine de familles ; plus de quatre mille quintaux entre fruits et légumes entrent quotidiennement au marché », notera M. Diaf Nourredine, l’un des six délégués. Ce qui taraude aussi l’esprit de cette corporation est l’adjudication du marché. « On ne connaît même pas l’adjudicateur. A chaque fois que le marché change de main, la taxe est revue à la hausse. Nous n’avions aucune fois participé à l’adjudication. Pourtant, c’est un marché qui rapporte à la collectivité jusqu’à 400 millions de centimes. En tout cas, nous n’allons pas rejoindre ni le marché de proximité ni encore moins les 34 cages à lapins. En principe, un tel marché devrait être réalisé dans un quartier et non à l’intérieur d’un autre marché. Les responsables du commerce et le wali devront comprendre que le marché de Tizi-Gheniff a un plan et un cahier de charges. Encore une fois, ce n’est pas un marché informel. Nous demandons seulement son aménagement dans les normes comme ça été la cas de celui de Boghni par exemple, parce que celui-ci aussi n’est pas informel », conclura M. Diaf Nourredine. Les délégués des marchands de fruits et légumes interpellent le wali en vue de diligenter une commission qui lui fera un constat sur le marché de Tizi-Gheniff et dans le seul but de lever toute équivoque à ce sujet. « Nous sommes prêts à fournir toutes les informations concernant ce marché », diront-ils tous à la fois.
Amar Ouramdane