Mais où était passé le public?

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Elles étaient cinq filles engagées chacune dans un combat féroce pour la vie. Toutes victimes d’une société machiste, elles ne s’en sortent pas indemnes.

C’est ce combat dramatique que retrace, avec un réalisme poignant, la pièce intitulée «L’automne des femmes», jouée lundi soir à Bouira par la troupe théâtrale de Tizi-Ouzou. Il reste à déplorer l’absence du public. Faute d’information, ou manque d’engouement pour le théâtre ? Toujours est-il que les cinq comédiennes ont joué devant une salle quasi vide. Quel dommage ! La pièce qui était à sa 23ème représentation méritait un meilleur accueil. En effet, le talent déployé avec beaucoup de simplicité méritait de longues ovations. Nous avons retenu les rôles les plus importants de trois filles face à leur destin :

Jolie, intelligente, Rachda voit la vie en rose. Mais celle-ci vire soudain au cauchemar. Son bac à peine en poche, elle se fait enlever, un jour, avec des amies, par un groupe de terroristes. Ayant réussi à leur fausser compagnie, après avoir connu l’horreur, elle ne devait plus connaître la paix. Rejetée par les siens, puis par le village tout entier, elle trouve refuge en ville, où il ne lui reste, pour vivre, qu’à faire comme toutes ces filles perdues… Incarné avec brio, ce rôle a été confié à Lila Benatia. Le théâtre de Tizi-Ouzou qui connaît son talent a fait appel à elle pour ce rôle central. Vient ensuite le personnage de Zohra, une autre étudiante. Gironde et belle, elle aussi rêve d’aller loin dans ses études. Mais ce rêve se brise sur un écueil. Les parents de Rafik s’opposent catégoriquement au mariage. Zohra qui a toutes les grâces, n’a qu’un défaut : elle est pauvre. Le fils, se débattant comme un diable dans le bénitier, sombre dans la dépression. Retombé en enfance, il croit reconnaitre sa mère, lorsque la jeune fille va le voir à l’hôpital psychiatrique où il est interné. Zohra (Naïma Harras)) souffre mille martyres d’être appelée mama. Pourtant, elle fait contre bonne fortune bon cœur. Pour sauver son amour, elle se dit qu’après tout l’épouse est aussi une «maman». Et forte de cette résolution, elle va chaque vendredi à l’hôpital avec un nouveau livre et un bouquet de fleurs. La troisième héroïne se situe à l’opposé.

Naziha est forte. Brillante et belle, elle exerce le métier de journaliste. Première rencontre et premier échec avec Réda. La fille a trop de caractère. Elle rencontre ensuite Toufik et leur relation ne dure guère. C’est ainsi qu’elle arrive à la cinquantaine. Modèle de réussite dans sa vie professionnelle, Naziha rate sa vie sentimentale. Zoulikha Talbi est très à l’aise dans ce rôle qui semble taillé pour elle. Sa passion pour son travail a étouffé tout autre sentiment chez elle. Elle le sait et ne s’en plaint pas.

A ce moment de la pièce, on s’interroge : pourquoi cinq rôles ? Pourquoi ce costume orange qui fait penser à un uniforme, à la caserne ou à la prison ? Pourquoi une psychanalyste (il y a une psychanalyste et ce rôle est confié à la jeune et talentueuse Farida Saber) ? La première question, on se demande pourquoi l’auteur n’a pas pris un médecin, une avocate, une députée, une ministre, tous ces métiers absorbants qui éloignent de la vie sentimentale ? Ainsi que nous l’expliquait une des actrices en marge de ce spectacle, ça aurait pu être toutes ces femmes et bien d’autres encore, et la pièce n’aurait plus de fin. L’auteur s’est contenté de ces cinq rôles qui lui ont paru les plus représentatifs. Pour l’uniforme, il représente, selon elle, l’uniformité de la vie, les règles sociales, les tabous, les traditions séculaires… Quant à la dernière question, toutes les filles avaient des crises et éprouvaient le besoin de consulter. Le drame veut que la psy à leur contact découvre qu’elle est elle même «malade», la maladie de ses clientes lui a révélé la sienne.

Les cinq actrices se sont révélées toutes très brillantes. Le théâtre de Tizi-Ouzou qui sait dénicher les belles pièces et les jeunes talents mérite un hommage particulier. La troupe ira ensuite à Batna, Oum El Bouaghi et Souk Ahras, après avoir fait Naama, Aïn Safra, Saïda, Mascara, Tissemsilt, M’Sila… La pièce a participé au festival du théâtre féminin et a eu un grand succès. Le public bouiri a manqué une belle occasion de se divertir, car en dépit des accents tragiques et des larmes qui traversent ce spectacle, l’humour et le rire y ont leur place.

Aziz Bey

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